49e anniversaire des massacres du 17 octobre 1961,Le jour où les masques sont tombés

49e anniversaire des massacres du 17 octobre 1961,Le jour où les masques sont tombés

Si retour de mémoire il y a, c’est sans doute du côté français, là où l’on commence timidement à reconnaître les faits, en partie, sans pouvoir donner à cette attitude un prolongement pratique qui trouverait sa place, par exemple, dans les manuels scolaires

ou dans un geste de repentance.

L’on n’est pas sûr que le concept de «retour de mémoire» dont parlent à profusion la presse et certains historiens spécialisés de la guerre d’Algérie soit le mieux indiqué pour parler de la journée du 17 octobre 1961 telle qu’elle a été vécue par notre communauté émigrée en France; ceci pour la raison suivante : c’est que, en réalité, il n’y a jamais eu d’extinction de mémoire, particulièrement du côté des Algériens victimes de ces indicibles atrocités.

Les survivants sont nombreux et les stigmates ne disparaîtront chez eux qu’avec le dernier souffle de la vie. Si retour de mémoire il y a, c’est sans doute du côté français, là où l’on commence timidement à reconnaître les faits, en partie, sans pouvoir donner à cette attitude un prolongement pratique qui trouverait sa place, par exemple, dans les manuels scolaires ou dans un geste de repentance.

Cependant, il serait certainement superflu de focaliser les débats sur les possibilités de repentance de la France coloniale par rapport aux crimes qu’elle a commis en Algérie ou sur des Algériens en France. Dans ce genre de situation, les faits dépassent largement le symbolisme.

C’est le cas de l’avant-projet de criminalisation de la présence coloniale en Algérie préparé par des députés de l’APN et qui, pour des considérations liées certainement à des intérêts diplomatiques qu’il s’agit de sauvegarder ou de ne pas compromettre, n’a pas pu trouver d’aboutissement.

Dans la réalité, la colonisation a vu sa présence criminalisée par le soulèvement du peuple algérien qui l’a balayée au cours d’une atroce guerre de libération. Le tribunal et le verdict de la révolution algérienne dépassent tous les actes que l’on peut réclamer à la symbolique législative.

Il est vrai que depuis quelques années une plaque commémorative placée par la mairie de Paris orne un pont de la Seine. Il y est rendu hommage aux Algériens morts noyés par la police de Maurice Papon dans cette profonde rivière française dans la nuit du 17 octobre 1961.

Emigration algérienne : une histoire de luttes

L’histoire de l’émigration algérienne en France avait timidement commencé au 19e siècle avant de trouver une première voie avec les contingents mobilisés pour la première guerre mondiale. En effet, plusieurs milliers de soldats algériens qui ont survécu à cette aventure européenne ont trouvé des points de chute dans les houillères de l’Alsace et de la Lorraine et dans d’autres sites miniers.

Entre les deux guerres mondiales, le mouvement s’intensifia et toucha l’ensemble du Maghreb au point où, dans certaines usines, les travailleurs nord-africains constituèrent la majorité des effectifs. C’est dans ce contexte que le mouvement national allait trouver une de ses voies d’expression sur la terre de la Métropole. Messali Hadj, ouvrier émigré et syndicaliste se saisira des outils de la lutte syndicale, vulgarisés par les partis de gauche, pour leur adjoindre les principes de la revendication nationaliste.

Avec son lieutenant Imache Amar, il fondera l’Etoile nord-africaine à Paris. Et c’est cet esprit de lutte et ce combat qu’il transférera en Algérie pour conduire le Mouvement national et le faire prendre en charge par d’autres jeunes militants.

La circonscription de ce qui deviendra pendant la guerre de Libération la «Septième wilaya» (le territoire français) était tracée à cette époque qui a vu l’émigration algérienne imbriquer la lutte pour les droits sociaux dans les usines à la revendication nationaliste de la libération de la patrie.

Cette présence humaine en France a assez tôt acquis un caractère politique par sa façon de s’organiser dans les villes et les quartiers français, d’entretenir la relation avec la terre natale et la famille laissée dans le village et, enfin, par la montée de la conscience syndicale et politique à la faveur des contacts avec les syndicats français et certaines organisations de gauche.

Cela donnait lieu à une structuration de plus en plus efficiente de la communauté algérienne en France et un développement réticulé de ses relations avec les organisations politiques et syndicales et les associations culturelles exerçant en Algérie.

Mohamed Harbi écrit dans FLN, mirages et réalités :

L’émigration donne le ton au mouvement national. D’elle partent les mots d’ordre et les initiatives.

On ne saurait décrire la frayeur qui s’empare de la bourgeoisie algérienne avant l’entrée en scène des nouvelles catégories sociales issues de la prolétarisation mieux que ne le fait Mohamed Zahi de l’association des Oulémas : l’ENA a fortement impressionné les milieux de travailleurs nord-africains. Elle a beaucoup de partisans et ces derniers font la contradiction de tout.

Il note aussi : «L’enracinement du mouvement messaliste est faible en Algérie et les forces sociales intéressées à la destruction du système colonial sont encore dans l’expectative. L’appui de la classe ouvrière française polarise l’espoir des messalistes, malgré les rapports tumultueux avec le PCF. La désillusion ne tarde pas. Le Front populaire se charge de l’administrer.

La dissolution de l’ENA, le 17 janvier 1937, par le gouvernement de Léon Blum, marque une étape nouvelle dans l’histoire du mouvement messaliste. Il ne rompt pas avec le mouvement ouvrier français, mais s’en éloigne.

Le 11 mars 1937, le PPA (Parti du peuple algérien) naît à Nanterre. Au-delà de ce qui peut être réclamé ou exigé de l’ancienne puissance coloniale en matière de reconnaissance de l’histoire sanglante entre les deux pays, les Algériens sont doublement interpellés par cette journée que l’on célèbre officiellement sous le nom de «Journée de l’émigration».

Ce dernier slogan risque d’être banalisé en l’amenant à signifier faussement un problème spécifique à l’émigration en tant que phénomène de mobilité sociale entre deux espaces géographiques et en tant que phénomène économique de transfert de revenus.

L’on est, en fait, interpellé sur l’écriture de l’histoire de façon à ce que la connaissance des évènements liés au Mouvement national et à la guerre de Libération sorte des cercles de la polémique pour atterrir dans les manuels scolaires ; ensuite, il est temps que les Algériens s’approprient définitivement cette mémoire de la lutte de l’émigration pour l’indépendance du pays et que la «Septième wilaya» et la Fédération de France deviennent un patrimoine aussi valorisé que le reste des structures de la révolution.

Par Saâd Taferka