Cette mesure a été également observée par la population qui avait trouvé refuge dans… les grandes artères là où elle ne risquait rien.
D’où le sentiment que nous ressentons fortement est celui d’une ville morte surtout dans certains quartiers défavorisés où le risque d’effondrement est omniprésent.
Une foule est massée devant les deux tentes dressées pour la circonstance aux fins de dispenser les premiers soins aux blessés, elle avait eu vent de la visite des deux ministres concernés au premier chef par ce drame, en l’occurrence les chargés de la solidarité et des collectivités locales devant lesquels elle envisageait de porter de vive voix ses doléances.
Le fort contingent de fidèles, s’étant joint à la foule déjà immense, l’espace devant les deux tentes s’était rétréci considérablement, de sorte que nous eûmes toutes les peines du monde à nous frayer un passage jusqu’au seuil des deux tentes gardées par deux éléments des services de sécurité.
Pour donner une idée de l’attente angoissante et à la fois pleine d’espoir suscitée par la venue des deux représentants de l’État, il faut dire que la terrasse de l’édifice qui borde un coin de la place ainsi aménagée devant les deux tentes a été prise d’assaut par un important groupe de jeunes qui y avait pris position malgré la présence du danger.
Alors que certains, poussés par leur curiosité, jouaient les badauds en toute innocence, d’autres armés de portables tentaient d’immortaliser ces moments dramatiques en prenant des photos.
À l’intérieur de la première tente, nous primes connaissance du bilan des dégâts humains.Tandis qu’on prodiguait des soins à un blessé au fond, un médecin de la Protection civile nous apporta son précieux concours dès que nous eûmes décliné notre qualité de journalistes.
Outre les deux décès occasionnés par la catastrophe, il nous fit savoir que le nombre de blessés était de 53, répartis en trois catégories, celle des blessés atteints physiquement au nombre de quatre, celle des traumatisés psychologiquement (35) et celle des malades chroniques (11) chez qui le moindre choc pouvait avoir des conséquences dramatiques sur leur équilibre psychique et physique.
Sous la seconde tente, séparée en deux pièces par une cloison, séjournaient trois blessés. Dans la première pièce allongée sur un matelas jeté sur le sol, un homme âgé d’une cinquantaine d’années était placé sous perfusion. Il ne portait aucune trace de blessures physique visible, ce devait être un malade chronique.
Dans la pièce suivante se trouvaient deux femmes alitées ayant des difficultés respiratoires, elles étaient en réanimation artificielle. Elles aussi ne présentaient pas de trace de traumatisme physique et par conséquent devaient appartenir à cette catégorie de malades chroniques que le choc avait profondément bouleversées. Leurs yeux quand ils s’ouvraient disaient toutes l’horreur vécue durant ce drame. Notre visite sous les deux tentes avait précédé de très peu celle des deux ministres.
Au moment où nous nous apprêtions à sortir, les deux hauts fonctionnaires de l’État faisaient leur entrée. S’arrêtant au chevet de chaque blessé et s’enquérant de ses nouvelles, ils avaient tenté de tranquilliser tout le monde en soulignant la présence de l’État aux côtés de la population sinistrée.
Interpellé violemment par un citoyen qui voulait attirer l’attention de Ould Abbès sur la détresse profonde où les plongeait le drame de vendredi, le ministre pour le faire taire a répliqué en lui faisant observer que ce n’était ni le lieu ni le moment. Dehors la tension était palpable. Les gardes du corps des deux ministres durent jouer des coudes pour s’ouvrir un passage dans la foule compacte et permettre à ces derniers de quitter les lieux.
Auparavant, les deux hauts responsables donnèrent un point de presse où il y eut peu de déclarations. L’essentiel tenait en deux mots. La situation serait maîtrisée du point de vue de la sécurité au double plan de la prise en charge des soins et de l’alimentation selon nos deux ministres. Mais tandis que les deux conférenciers s’exprimaient dans le pur style propre à la langue de bois, un début de fronde s’esquissait parmi la foule de mécontents.
Certains remettaient en cause l’existence des cinquante guitounes mobilisés ; d’autres rebondissant sur le mot moyens, mettaient en avant le nombre de sinistrés qui correspondait selon eux au nombre de la population recensé et avoisinait les neuf mille habitants. Ce n’est pas seulement les moyens d’accueil qui leur paraissaient ainsi insuffisants au regard des sinistrés, mais également l’eau et les médicaments.
QUAND TOUT MANQUE
Aux dires de nombre d’interlocuteurs interrogés sur leur situation, on manquait de tout. Quant à l’électricité, ils affirmaient que seul un foyer sur deux était éclairé. Comme le ton montait soudain d’un cran, l’énumération de leurs griefs alimentant la colère des citoyens et radicalisant leurs positions, les deux ministres montèrent dans leurs véhicules et vidèrent les lieux flanqués par une double haie d’hommes et d’enfants aux visages fermés.
Il est 14h30 lorsque nous prenions la direction du stade communal, plus au sud de la ville. Chemin faisant, nous remarquions, au fur et à mesure que nous nous éloignions du centre-ville où se concentre la vie sociale, culturelle et commerciale, que les dégâts matériels étaient moins importants.
En effet, les fissures que nous remarquions sur les murs du siège de l’APC, de la principale mosquée, la bibliothèque municipale et les gravats de plâtre et de ciment qui jonchaient l’espace immédiat se faisaient moins remarqués sur les édifices qui bordent la rue qui nous conduit vers la structure sportive. Conséquence logique, plus nous nous éloignons du centre-ville et plus l’onde de choc qui allait en s’affaiblissant faisait moins de dégâts.
Dès l’entrée du stade, nous nous heurtons à un dispositif de sécurité important décidé à en interdire l’accès à quiconque. Malgré la détermination des hommes en vert (gendarmes) armés de casques et de matraques, des jeunes tentaient de pénétrer de force. La présence de cette forme de violence justifiée par les meurtrissures d’un drame tout récent était attestée par une pluie de pierres jonchant le sol.
On comprend l’exaspération et le courroux de ces jeunes qui avaient, a-t-on appris auparavant, passé la nuit à la belle étoile ainsi que le reste de la ville. Mais on peu aussi comprendre l’attitude de ceux qui avaient pour consignes de défendre l’entrée du stade où étaient stockées les denrées alimentaires ainsi que les tentes et l’organisation des secours.
Là, nous faisons connaissance avec les deux responsables de cette organisation de secours et des moyens mis à leur disposition pour faire face à ce drame humain. En effet, un responsable au niveau de la DLEP de M’sila en l’occurrence Laroussi présidant à l’installation des abris, nous mettra au courant que parmi les 48 tentes reçues 20 ont été dressées et prêtes à recevoir les sinistrés.
Pour prévenir toutes accusations visant la bonne organisation, il dira qu’au niveau de chaque quartier touché par le sinistre existe un site de recasement où seul les vrais nécessiteux bénéficieront des dons.Au sujet de l’électricité et du téléphone, mêmes déclarations optimistes faisant état des efforts qui ont été à l’origine du rétablissement des réseaux perturbés par la secousse tellurique.
Pour déterminer le degré du sinistre qui a éprouvé les constructions, les services du CTC dépêchés pour la circonstance, sont à pied d’oeuvre au niveau des quartiers ayant subis d’importants dommages. Tout en nous livrant ces informations notre interlocuteur prendra le soin de souligner la formidable solidarité entre les wilayas de Bouira, Boumerdès, Bordj Bou Arréridj et la principale concernée par cette catastrophe M’sila.
De son côté, le directeur du commerce de M’sila, Amroune, détaillera et dénombrera les quantités de denrées mises à sa disposition pour faire face aux besoins de la population sinistrée. Ainsi apprenions- nous que le stock se constituait de 8000 sachets de lait, 8 000 pots de yaourt, 6 000 pains, 3 000 bouteilles d’eau minérale, 2 000 cartons de fromage et autant de gâteaux et que la distribution avait commencée le jour du drame.
D’IMPORTANTS MOYENS MOBILISÉS
Un simple coup d’oeil permet de mesurer l’importance des moyens mobilisés sur place, des camions citernes et d’autres contenant des denrées étaient stationnés dans l’enceinte sportive. Dans un coin les sapeurs-pompiers et des brigades anti-émeutes de gendarmerie formaient deux carrés distincts près à offrir leur secours.
Nous apprenons de la bouche du commandant de la Protection civile de Bouira que ces hommes sont arrivés sur les lieux du sinistre aussitôt que l’ordre leur a été donné par leur hiérarchie en même temps que ceux de Boumerdès.
Pour répondre à nos questions qui avaient traits au bilan concernant les dégâts matériels et humains, il nous a renvoyés à son collègue de M’sila qui avait établi son PC (Poste de commandement) près du centre de santé. Retour au centre-ville. Il est 15h. Un quart d’heure plus tard nous prenions possession des informations dont nous avions besoin.
Sans revenir sur les pertes humaines que nous avions signalées plus haut, nous ne retiendrons que le bilan des dégâts matériels. Concernant les constructions, le bilan fait état de 172 habitations touchées, dont 82 dans un triste état. De même, il signal la forte dégradation de deux CEM, quatre écoles primaires, des trois mosquées, du centre de santé, du siège d’APC et de sa bibliothèque.
La même source indique que depuis le début du sinistre la région a enregistré douze répliques. La plus importante a été enregistrée à minuit quarante-cinq. De magnitude 3,8, elle a causé autant de frayeur à la population déjà traumatisée que la secousse elle même qui a été de 5,2 sur l’échelle de Richter.
Pendant que nous prenions ces informations, un blessé arrivait sous la première tente pour recevoir des soins, tandis que dehors une équipe d’agents de la Sonelgaz travaillait d’arrache-pied pour rétablir le courant. Alors que, nous nous apprêtions à quitter la si meurtrie Beni Ilmene, l’imam du haut du minaret annonçait l’enterrement ce samedi après-midi des deux victimes de la catastrophe. Il s’agissait de Mohamed Triaâ, âgé de 70 ans et de Messaouda Aliliche, âgée de 47 ans.
Deux raisons majeures nous ont obligés à ne pas emprunter le même itinéraire qu’à l’aller : l’état de la route qui, sur 45 km en partant de Sidi Aïssa, présentait un état délabré qu’aggravaient les différents chantiers en activité sur différents tronçons et surout la longueur du trajet. Mais si l’état de la route de Hammam Dalâa offre un confort évident, le paysage lunaire que nous traversons est aussi triste et aussi désolé que le précédent trajet.
Au moment où nous faisons une courte halte au village El M’hir nous apprenons auprès de quelques citoyens interrogés que s’ils avaient ressentis la secousse avec la même intensité ils n’avaient eu à déplorer aucun dégât matériel. Ici la vie, contrairement au climat de deuil et de désolation de Beni Ilmene, semble suivre son cours normal.
Alors que les boutiques et les établissements publics et privés avaient leurs rideaux baissés dans la ville sinistrée, à El M’hir tout le monde vaquait à ses affaires dans la plus complète quiétude.
O.Soualah et R.Djari