Un phénomène qui gangrène la société
«Là où existe une détention d’un pouvoir décisionnel, il y a suspicion de corruption», a déclaré Mokhtar Lakhdari, directeur des affaires pénales et des grâces au niveau du ministère de la Justice
Effarant! La corruption fait ravage en Algérie. Chaque fois que les caisses de l’Etat se remplissent de pétrodollars, les foyers de corruption se multiplient. Selon le président de l’Organe national de prévention et de lutte contre la corruption, Brahim Bouzeboudjene, pas moins de 60.000 personnes en Algérie sont tenues de faire une déclaration de patrimoine. «Parmi ces personnes on dénombre 16.000 élus», a ajouté M.Bouzeboudjene lors de la conférence sur la lutte contre la corruption tenue hier, au Palais des nations à Alger.
Les 44.000 restants sont les cadres de l’Etat et les agents publics dont les postes est susceptibles d’ouvrir la voie à la corruption. En d’autres termes doit-on conclure que les 44.000 cadres occupant des postes importants au niveau des différentes structures de l’Etat sont de potentiels foyers présumés de la corruption? Le directeur des affaires pénales et des grâces au niveau du ministère de la Justice, Mokhtar Lakhdari, n’a pas de doute à ce sujet. «Là où existe une détention d’un pouvoir décisionnel, il y a suspicion de corruption», a déclaré M.Lakhdari lors de son passage, jeudi dernier, à l’émission Invité de la rédaction de la Radio nationale Chaîne III. «C’est pour cette raison qu’il faut une gestion transparente des affaires à tous les niveaux de responsabilité», a ajouté l’orateur. Depuis ces dernières années, la corruption a gagné pratiquement tous les niveaux de la société au point de devenir une véritable gangrène. Pour endiguer ce phénomène, le Président Bouteflika a signé jeudi dernier, un décret présidentiel sur la composition, l’organisation et les modalités de fonctionnement de l’Office central de répression de la corruption (Ocrc), a annoncé la Présidence dans un communiqué. Cet organisme, qui disposera d’officiers de police judiciaire dotés de larges prérogatives, est chargé d’effectuer, sous la direction du parquet, des recherches et des enquêtes en matière d’infraction et de corruption. Mais jusque-là, toutes les mesures prises par l’Etat algérien ne sont pas arrivées à juguler la corruption. Le dernier rapport de Transparency International, publié le 1er décembre dernier, est à ce titre éloquent. Sur les 183 pays classés, l’Algérie arrive à la 112e place avec une note de 2,9 sur 10. Selon ce document, la situation s’est largement aggravée par rapport à l’année dernière puisque l’Algérie a perdu 7 places. Selon le barème de cet indice, un score inférieur à 3 sur 10 indique que le pays connaît un haut niveau de corruption au sein des institutions de l’État.
Dans la région Mena, les résultats de ces pays sont dans l’ensemble mauvais. Par exemple, le Maroc est classé à la 80e place avec une note de 3,4 et la Tunisie à la 73e place avec un score de 3,8. L’Égypte est ex æquo avec l’Algérie. Le moins bien classé est l’Irak, à la 175e place avec un score de 1,8. Le mieux classé est le Qatar à la 22e place mondiale avec un score de 7,2. Transparency International rappelle par ailleurs, que durant les mouvements de révolte qui ont secoué le Monde arabe cette année, la question de la corruption était au coeur des manifestations populaires.
A l’évidence, ce rapport a été contesté par l’Algérie. Pour le directeur des affaires pénales au ministère de la Justice, Mokhtar Lakhdari «ce rapport n’est pas désintéressé. Transparency International fait appel à des hommes d’affaires, à des agences de risque économique. Il y a cet arrière-plan économique qui cache des enjeux stratégiques», a-t-il déclaré à la radio Chaîne III ajoutant que «Transparency ne s’intéresse qu’à la demande de corruption. Elle occulte l’offre de corruption. Les paramètres de Transparency occultent aussi des phénomènes répandus dans les pays en transition économique comme l’évasion fiscale et le transfert illicite de fonds à l’étranger», a déclaré ce jeudi Mokhtar Lakhdari. Pour sa part, le ministre de la Justice, garde des Sceaux, Tayeb Belaïz, a déclaré, dans son intervention, que l’Etat algérien est disposé à lutter contre la corruption, soulignant que l’Algérie a signé 37 conventions internationales de lutte contre ce phénomène. Pour lui, l’une des conditions de lutte contre la corruption est l’indépendance, l’honnêteté, la compétence et le haut professionnalisme de la justice.
En marge de son intervention, le ministre a affirmé que la justice algérienne est indépendante. «Je défie quiconque de prouver l’intervention des autres pouvoirs dans le travail de la justice», a-t-il indiqué, remettant en cause les affirmations de ceux qui avancent que la justice est aux ordres. Dans ses réponses aux questions des journalistes, M.Belaïz a reconnu que l’Etat a une responsabilité dans la prévention et la lutte contre la corruption. Il a ajouté que la société civile a, elle aussi, sa part de responsabilité en la matière.