Fait nouveau, les émeutes ont, pour la première fois depuis le début de la révolte sociale, gagné mardi la banlieue de la capitale tunisienne.
En Tunisie, la protestation gagne du terrain. Le dernier discours du chef d’Etat, Zine El Abidine Ben Ali, prononcé lundi, ne semble pas pouvoir apaiser les esprits des Tunisiens.
Au contraire, la contestation contre le régime autoritaire du président s’accentue. Fait nouveau, les émeutes ont, pour la première fois depuis le début de la révolte sociale, gagné mardi la banlieue de la capitale tunisienne. En effet, des affrontements ont éclaté mardi soir pour la première fois dans une banlieue de Tunis. Des affrontements ont opposé dans la cité Ettadhamoun, à 15 km du centre de la capitale, des manifestants et les forces de l’ordre. Un autobus a été incendié, des commerces et une banque saccagés.
La police a fait usage de gaz lacrymogène et des tirs de sommation ont été entendus pour disperser les manifestants. Ces heurts, qui ont duré deux heures dans la soirée, seraient les plus graves dans la banlieue de Tunis, où des manifestations ont été étouffées dans la journée. Ces émeutes ont éclaté peu après la publication d’un nouveau bilan officiel des morts depuis le début du mouvement qui fait état de trois nouvelles victimes. Le gouvernement a, en revanche, rejeté les estimations plus élevées émanant d’organisations de défense des droits de l’homme. «Nos chiffres disent 21 décès», a affirmé dans une déclaration, le ministre tunisien de la Communication, Samir Laâbidi, raportée par l’agence AFP. «Ceux qui ont parlé de 40 ou 50 morts doivent produire une liste nominative», a-t-il lancé, faisant état de dégâts matériels
«considérables» sans fournir d’évaluation chiffrée. Le précédent bilan officiel, communiqué mardi à la mi-journée, faisait état de 18 morts. Pour sa part, la présidente de la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH), Souhayr Belhassen, avait assuré qu’au moins trente-cinq personnes ont trouvé la mort dans les émeutes.
«Le chiffre de 35 morts s’appuie sur une liste nominative», avait-elle déclaré. Un peu plus tôt dans la journée, Sadok Mahmoudi, membre de la branche régionale de l’Union générale des travailleurs tunisiens (UGTT), avait évoqué une situation de «chaos» à Kasserine, principale ville du centre, et un bilan de plus de 50 morts les trois derniers jours.
Le responsable a évoqué également des «tirs de snipers» et des «pillages et vols de commerces et de domiciles par des effectifs de police en civil». Le gouvernement tunisien, lui, campe toujours sur ses positions : Kasserine a été selon lui «le théâtre d’actes de violence et de destructions perpétrés par des groupes qui ont attaqué deux postes de police, à coup de bouteilles incendiaires, de bâtons et de barres de fer». Une attitude qui embrase davantage les rues de la Tunisie.
Un cinquième chômeur se suicide
Un jeune Tunisien s’est suicidé mardi par électrocution dans un village de la région de Sidi Bouzid, dans le centre-ouest tunisien, en proie à une révolte contre le chômage, a indiqué l’AFP, citant des sources proches de la famille de la victime.
Il s’agit du cinquième suicide depuis le 17 décembre, date à laquelle Mohamed Bouaziz, 26 ans, un vendeur ambulant sans permis s’est immolé par le feu pour protester contre la saisie de sa marchandise, déclenchant des émeutes sans précédent en Tunisie. Allaâ Hidouri, 23 ans, diplômé de l’université et sans emploi, a grimpé sur un pylône électrique pour se donner la mort lundi soir en s’accrochant aux câbles à haute tension, a indiqué à l’AFP Mohamed Fadhel, un enseignant syndicaliste. Ce nouveau suicide a eu lieu après des violences ce week-end dans le centre du pays ayant fait 14 tués par balles selon le gouvernement et plus de 50, selon des sources syndicales.
L’armée à la rescousse
L’armée a été déployée mer-credi dans Tunis et une banlieue populaire, au lendemain des premiers affrontements aux abords de la capitale en près d’un mois d’une crise qui a fait des dizaines de morts et débouché sur une contestation de plus de 20 ans de régime autoritaire.
Des soldats armés, camions, jeeps et blindés, ont fait leur apparition dans la ville pour la première fois depuis le déclenchement des troubles sociaux qui secouent la Tunisie depuis la mi-décembre.
Ce développement est intervenu alors que des sources de l’opposition ont fait état du limogeage du chef d’état-major de l’armée de terre, le général Rachid Ammar. Celui-ci aurait refusé de donner l’ordre aux soldats de réprimer les émeutes et exprimé des réserves sur un usage excessif de la force, selon des informations rapportées par l’AFP. Dans la capitale, des renforts étaient postés à des carrefours du centre et à l’entrée de la cité populaire d’Ettadhamen (Solidarité), une banlieue où des jeunes et des policiers se sont affrontés la veille au soir. C’était la première fois que des violences se produisaient près de Tunis, l’épicentre du mouvement se situant jusqu’à présent dans le centre du pays.
L’opposition exige le départ du gouvernement
Dans un climat de répression et d’usage excessif de la force, l’opposition tunisienne monte au créneau et exige le départ du gouvernement actuel. En effet, des partis d’opposition ont exprimé leur déception après le discours du président tunisien, jugé «en deçà des attentes». Dans un pays où la moindre manifestation publique est contrôlée par le régime autoritaire, les partis politiques, laïcs ou islamistes, font front contre le président Ben Ali. L’opposition s’unit, pour la première fois, pour le maintien du trône par Ben Ali, désormais fâché par la population.
«Le discours du président est décevant et ne répond guère à la crise politique, sociale et économique que connaît le pays», a affirmé la Coalition pour la citoyenneté et l’égalité, un ensemble laïc. Plus radical, le Parti démocratique progressiste (PDP), principale force d’opposition, a conclu à un «échec du régime», appelé à la démission du gouvernement et à la constitution d’un «gouvernement de salut national». Selon dix ONG dont la Ligue de défense des droits de l’homme, les véritables causes de la crise sont «la corruption, le népotisme et l’absence de libertés politiques».
La France, un silence complice, les USA dénoncent l’usage de la force
Alors que le bilan meurtrier des émeutes qui secouent la Tunisie depuis le 18 décembre ne cesse de s’aggraver, la France garde toujours son silence sur ce qui s’est passé. Certes, le Quai d’Orsay déplore les violences, mais se refuse à se prononcer sur la gestion de la crise par le pouvoir tunisien. «On ne peut que déplorer les violences» en Tunisie, a déclaré mardi à l’Assemblée nationale Michèle Alliot-Marie. Critiquée par l’opposition sur l’extrême retenue de la réaction française face à la répression en Tunisie, la ministre des Affaires étrangères a mis en garde tous ceux qui voudraient «lancer des anathèmes», préférant offrir la coopération de la France dans le domaine du maintien de l’ordre.
Contrairement à la France, les Etats-Unis, ont fait part mardi de leur préoccupation face à des informations selon lesquelles les forces tunisiennes feraient un «usage excessif de la force» envers les manifestants. Le département d’Etat avait déjà fait part vendredi de sa préoccupation, convoquant l’ambassadeur de Tunisie pour demander le respect des libertés individuelles. Le gouvernement tunisien, qui s’est dit «surpris» par les commentaires de Washington, a en retour convoqué lundi l’ambassadeur américain à Tunis.
Le ministère tunisien de l’Intérieur reconnaît que la police a fait «usage des armes» mais, selon lui, «dans un acte de légitime défense, lorsque les assaillants ont multiplié les attaques».
Il a décidé la libération de toutes les personnes arrêtées lors des émeutes
Ben Ali limoge son ministre de l’Intérieur
Le Président tunisien Zine El Abidine Ben Ali a nommé mercredi un nouveau ministre de l’Intérieur, Ahmed Friaa, et décidé la libération de toutes les personnes arrêtées dans la foulée des émeutes survenues dans le pays. Au cours d’une conférence de presse à Tunis, le Chef du gouvernement tunisien Mohamed Ghannouchi a annoncé que «le président Ben Ali a limogé le ministre de l’Intérieur, Rafik Belhaj Kacem dans la foulée des violences survenues dans le pays au cours des dernières semaines» qui ont fait, selon un bilan officiel, 21 morts et plusieurs blessés parmi les manifestants et les forces de l’ordre. Le Premier ministre tunisien a également annoncé que le président Ben Ali avait décidé la libération de toutes les personnes arrêtées lors de ces évènements, à l’exception de celles impliquées dans des actes de vandalisme des biens publics et privés.
APS