32e anniversaire de la disparition du précurseur du chaâbi, M’hamed El Anka le sens d’une œuvre

32e anniversaire de la disparition du précurseur du chaâbi, M’hamed El Anka le sens d’une œuvre

Il y a 32 ans disparaissait Hadj M’Hamed El Anka, de son vrai nom Mohamed Idir Halo Aït Ouarab. Il était précurseur de la musique citadine algéroise paradoxalement appelée «chaâbie» (populaire).

(Paradoxalement en apparence, nous allons dire pourquoi). Toutes les chroniques qui rapportent sa biographie ont relevé cette petite anomalie qui affecte son nom patronymique : le préposé de l’état-civil, ayant entendu la personne qui se présentait comme étant «l’oncle» du nouveau-né, a transcrit «Halo» au lieu de «Khalou» et c’est ainsi que le futur artiste se verra affecter sur son acte de naissance ce nom un peu long mais néanmoins poétique de Mohamed Idir Halo Aït Ouarab.

Une légende peut-être qui cultive un sous-entendu ? puisque El Anka devait acquérir une identité sociale en l’absence du père souffrant qui se fait remplacer par son beau-frère. Mais à y regarder de près, cette anomalie fait office d’un surnom puisqu’aucun doute ne peut exister quant à son nom patronymique algérien – Aït Ouarab – qui comme on le sait en étant un nom agnatique porte l’identification de la tribu d’origine d’où El Anka est issu en Kabylie. En effet si El Anka est né le 20 mai 1907 à la Casbah d’Alger, 4, rue Tombouctou, sa famille est originaire du village de Taguercift aux enivrons de Fréha en Kabylie.

Cette double inscription géographique du maître du chaâbi, à la fois immergé culturellement dans l’espace algérois et kabyle, affectera toute son œuvre poétique et artistique. En fait El Anka est issu d’un mouvement migratoire massif des gens de Kabylie maritime (région d’Azzefoun) vers la Casbah d’Alger qui remonte au départ des Turcs au lendemain du débarquement des troupes d’occupation française à Sidi Fredj.

Quand El Anka est né, la communauté venue des montagnes kabyles s’était déjà installée à Alger depuis plus de 70 ans. Un temps suffisant pour qu’elle puisse mijoter une production artistique qui a pour toile de fond d’exprimer des sentiments de montagnards intégrés dans la ville algéroise.

Il fallait donc bien rénover cette musique andalouse, certes raffinée mais très routinisée, très même bourgeoise. D’ailleurs le vocable «chaâbi» qui allait qualifier le nouveau genre a été forgé en opposition à musique bourgeoise ou de cour. Le mot semble-t-il est apparu pour la première fois en 1946.

C’est au musicologue Boudali Safir, alors directeur des programmes d’ELAK (Emissions de langue arabe et kabyle) de Radio Alger à qui l’on doit cette appellation qui allait qualifier le genre musical naissant. Tout le secret de la réussite d’El Anka réside dans le travail de rénovation esthétique auquel il a soumis le legs musical andalou.

Il avait du reste bien mis à profit sa fréquentation de Si Said Larbi, un musicien très connu à l’époque et qui jouait dans l’orchestre de Mustapha Nador.

Grâce à Si Said Larbi, le futur El Anka est admis dans les fêtes qu’animait le grand maître. L’ayant remarqué le cheikh Nador lui propose de jouer au tar (tambourin). A la disparition du cheikh en 1927, le jeune artiste est déjà apte à le remplacer. Mais ne s’estimant pas encore parfait virtuose, El Anka sait qu’il a encore beaucoup à apprendre.

Il s’inscrit alors jusqu’en 1932 aux cours donnés par le cheikh Sid Ali Oulid Lakehal. S’il enregistre 27 disques 78 tours, sa notoriété qui va aller crescendo, il ne la doit pas uniquement à l’apparition du phonographe et de la radio mais aussi comme nous le disions, au travail de renouvellement esthétique qu’il a effectué surtout au niveau de l’interprétation des qsaïd (poèmes).

On connaît l’intérêt d’El Anka pour cheikh Hamada de Mostaganem, poète auprès de qui il s’abreuvera en connaissances contextuelles, esthétiques relatives au melhoun et aux poètes maghrébins tels les poètes M’barek Bouletbag, Benmsaïb, Benkhlouf, Benbrahim, Benkriou et tant d’autres. El Anka fait surtout un effort pour en comprendre le sens et la métrique.

Sa maitrise s’affirma d’ailleurs dans sa façon particulière d’interpréter les morceaux des grands bardes du terroir. Elle s’exprimait d’abord sur le plan vocal à travers une grande capacité de modulation de la voix, sur le plan instrumental à travers l’introduction d’instruments occidentaux qui viennent ainsi s’ajouter à ceux locaux et orientaux ; sur le plan musical à travers l’introduction des rythmes kabyles très «frénétiques» qui ont ainsi pu régénérer et féconder une musique andalouse quelque moribonde et rigidifiée.

L’œuvre d’El Anka fut profonde et eut beaucoup d’influence, si tant qu’elle a influencé des chanteurs appartenant aussi bien à l’expression arabe que kabyle à l’image d’El Hachemi Guerouabi, Matoub Lounès et Maâzouz Bouadjadj.