Eternel Slimane Azem
Il a fallu attendre trente-deux longues années pour que le plus grand chanteur kabyle de sa génération soit réhabilité de manière officielle.
Trente-deux longues années à ajouter à la cinquantaine qu’a duré la carrière artistique du chanteur kabyle le plus prolifique, l’un des plus talentueux et des plus censurés et l’un des plus écoutés par les mélomanes. Il vaut mieux tard que jamais, diraient les plus conciliateurs. D’autres diront qu’un artiste de la trempe de Slimane Azem n’a vraiment pas besoin d’hommages. Car ce sont ses fans, qui se comptent par dizaines de milliers, toutes générations confondues, qui lui rendent quotidiennement hommage, sans oublier les chansons composéss à sa mémoire par d’autres géants de l’art comme Matoub Lounès et Kamel Messaoudi.
L’hommage à Slimane Azem qui a eu lieu lundi dernier à Alger à l’initiative de l’Onda (Office national des droits d’auteurs) est toutefois à mettre à l’actif du combat identitaire amazigh et de la réhabilitation de toutes les figures culturelles qui ne cadraient pas avec le moule désiré par le système du parti unique afin de mieux domestiquer le peuple algérien. Cet hommage, intervenant au lendemain de la commémoration du trente-cinquième anniversaire du Printemps berbère, constitue une victoire des hommes libres et des artistes honnêtes qui ne négocient pas leur passage à la télévision ni la programmation de leurs spectacles et de leurs tournées à coups de centaines de millions de centimes. Même si des voix ont commencé à crier à la manipulation et à la récupération, il ne faudrait surtout pas sous-estimer la portée de l’hommage rendu à Slimane Azem. Il ne faut surtout pas que cet hommage soit banalisé. C’est un grand événement qui doit être suivi d’autres, comme par exemple la baptisation d’espaces culturels en son nom comme cela s’est fait déjà ailleurs.
Slimane Azem auquel un hommage officiel et solennel est rendu pour la première fois dans l’Histoire est un homme et un artiste immortel malgré les tentatives maintes fois réitérées d’étouffer sa voix aussi bien par le système du parti unique mais aussi par ses relais artistes qui excellaient dans l’excès de zèle quand il s’agissait de Slimane Azem. C’est d’ailleurs au stylo que son nom fut ajouté par un autre chanteur kabyle, de service celui-là, à la liste des chanteurs kabyles indésirables à la radio kabyle d’Alger. Mais quand il s’agit d’un artiste de la trempe de Slimane Azem, les tentatives de la faire taire ont souvent provoqué l’effet inverse. Et dans les quatre coins de la Kabylie et chez les kabyles de l’émigration, on n’écoutait que Slimane Azem. Il représentait, en quelque sorte, le chanteur unique face au parti unique.
En dépit d’une exclusion de tous les médias écrit, audio et audiovisuel, Slimane Azem, était le number one de la chanson algérienne d’expression kabyle qu’écoutaient ses fans et qui inspirait tous les jeunes talents qui tentaient de se frayer un chemin dans le domaine de la chanson. Avec un rythme régulier, Slimane Azem a continué à chanter une multitude de thèmes qui touchaient de plus en plus les auditeurs. L’exil, dont il fut frappé de plein fouet, occupe la part du lion dans son oeuvre. Il a chanté et pleuré, sous une infinité d’angles d’attaque, ce thème qui lui était cher.
Les chansons de Slimane Azem sur ce sujet sont inénarrables et aucun régime politique, aussi funeste soit-il, ne peut les éroder. On chantera toujours, les larmes aux yeux et le coeur serré: A Muh a muh, Dhaghriv dhavarani, Anetsruhu netsughal, Ur iruh ur yeqqim, Atâs iasebrgh… L’Algérie, pays natal dont il a été privé jusqu’à sa mort, occupe également une place privilégiée de son répertoire. Il a composé plusieurs chansons sur son pays tant aimé. Puis il y a eu les chansons sur la vie sous toutes ses facettes, les textes sur l’existence et ses angoisses et ses incertitudes, les poèmes sur la solitude et les maladies physique et morale, etc. Slimane Azem a aussi composé des merveilles dont la thématique est de dimension spirituelle. Paradoxalement, un cas unique dans les annales de la chanson kabyle, Slimane Azem n’a chanté qu’une seule chanson d’amour: Nekk aouk/dhkem. Sur le plan musical, Slimane Azem, sans être aucunement un voleur «professionnel» de notes des compositions moyen- orientales, a, au contraire, inventé des dizaines de partitions dont la succulence ne peut souffrir d’aucune équivoque. Ses mélodies sont de véritables chefs-d’oeuvre qu’on écoute à satiété sans s’en lasser et sans avoir cette impression de les avoir déjà entendues chez un quelconque monstre sacré de la chanson orientale. Slimane Azem réhabilité, c’est une grande injustice qui vient d’être réparée et dommage qu’un tel hommage n’ait pas été organisé avec plus de recul et plus d’éclat pour lui permettre d’avoir beaucoup plus de retentissement. Mais il n’est jamais trop tard pour bien faire. Surtout quand il s’agit d’un chanteur dont la stature est monumentale.