250 consultants invités au siège de la présidence : Grand cirque à El Mouradia

250 consultants invités au siège de la présidence : Grand cirque à El Mouradia

Ce grand cirque était prévisible. Cinq jours après le début des consultations engagées samedi 21 mai autour des réformes politique de Bouteflika, l’exercice tourne au grand cirque.

Un ancien chef du gouvernement à qui l’on refuse l’agrément de son parti, un ex-candidat à la présidence à qui l’on dénie la même chose, trois ou quatre patrons de partis perdus de vue depuis une quinzaine d’années, un avocat connu pour sa proximité avec la présidence, depuis samedi 21 mai le palais présidentiel ressemble à cette auberge espagnole où chacun ramène ce qu’il peut, ce qu’il veut. Et ce n’est que le début…

C’est que le chef d’orchestre de ce cirque politico-médiatique, Abdelkader Bensalah, 70 ans, actuel président du Sénat, promet un grand ballet de consultants.

Selon M.Bensalah, pas moins de 250 invitations ont été adressées à différentes personnalités algériennes pour participer à ce grand raout politique.

Leaders de l’opposition, héros de la révolution, généraux à la retraite, ex-présidents de la république, avocats, chefs de partis microscopiques, la présidence a décidé de ratisser large. Aussi large que possible.

Pour donner l’illusion que l’ensemble de la classe politique algérienne adhère au projet de Bouteflika, il convient de rameuter le plus de monde possible.

Même ceux à qui Bouteflika a daigné le droit de créer des partis politiques. Y compris des responsables qui ont oublié l’existence même de leurs formations politiques créés vingt ans plutôt.

Comme dirait le dessinateur Dilem avec son humour corrosif, il ne maquerait plus que Cheikh Bouamama, cheikh El Mokrani et l’émir Abdelkader, pour achever la grande boucle.

Bien sûr, ceux qui ont initié ce grand carnaval, ceux qui le pilotent ainsi que ceux et celles qui y participent ou participeront prennent la chose très au sérieux. Ou bien feignent de la prendre au sérieux.

Alors il me revient à l’esprit deux épisodes de la vie politique algérienne, deux épisodes qui se sont déroulés au cours des vingt dernières années.

Le premier épisode remonte à l’été 1991.

Peu de temps après la grève insurrectionnelle fomentée par le FIS durant les mois de mai et de juin 1991, le chef du gouvernement de l’époque, Sid Ahmed Ghozali, invite tous les partis politiques, au moins une quarantaine, à une conférence nationale.

L’objectif de cette conférence est de trouver une sortie de crise au problème posé par cette insurrection islamiste.

Fallait-il ou non revoir le découpage électoral sauvagement trituré par son prédécesseur Mouloud Hamrouche, découpage tricoté au profit de son parti, le FLN? Fallait-il oui ou non organiser des élections législatives avant la présidentielle ?

Pendant deux jours donc, des responsables de partis politiques se sont livrés en direct, devant les caméras de la télévision, à un jeu de cirque au cours duquel propositions fantaisistes côtoient suggestions sérieuses.

Cet épisode avait marqué- sans doute marque-t-il encore ceux qui s’en souviennent-, l’opinion tant il avait contribué à donner de la classe politique algérienne une image aussi piteuse que risible.

La suite ? La suite,elle est connue.

De cette conférence, il n’en sortit rien. Mais absolument rien.

Quatre mois après cette conférence, les islamistes du FIS raflent la majorité aux législatives de décembre 1991 et l’armée est contrainte d’intervenir, moins de 15 jours plus tard, pour arrêter le processus électoral. Le président Chadli est poussé à la démission et cette fameuse conférence aura vécu de sa belle mort.

L’autre épisode remonte à janvier 1994.

Pour tenter de trouver une issue à la crise induite par la fin du mandat du HCE (Haut comité d’Etat), le pouvoir décide d’organiser une conférence nationale dite du « consensus ». Là encore, on ressort les bonnes vieilles ficelles.

Sous l’égide d’Abdelkader Bensalah – encore lui ! -, des partis politiques et des personnalités nationales sont conviés à débattre au Club des Pins.

Durant des jours, l’agora débat et conjecture sur les voies et les moyens de sortir de cette crise qui plombe le régime algérien.

Oui mais, sauf que pendant ce temps-là, l’essentiel se joue ailleurs.

Ailleurs où une poignée de généraux, quatre au juste, à savoir Khaled Nezzar, Mohamed Mediène, dit « Toufik », Liamine Zeroual et Mohamed Lamari, négociait avec Abdelaziz Bouteflika pour lui confier le pouvoir.

La suite ? La suite, on la connait.

La conférence nationale fait pchiiittt et tous les conférenciers sont sommés de regagner leurs pénates. Bouteflika refuse l’offre des quatre généraux.

Résultat, le ministre de la Défense, Liamine Zeroual, est poussé par ses pairs à accepter le poste de président de l’Etat.

Vingt ans après ces deux épisodes, les Algériens sont donc conviés à assister au même spectacle, au même cirque. Sous l’égide d’un autre président.

Mais, à encore, la recette est reconduite, calquée, presque à l’identique. Avec presque les mêmes acteurs politiques.

Encore mieux, cette fois-ci, ce sont quelque 250 personnalités qui sont désormais invitées à défiler au siège de la présidence pour soumettre leurs propositions, donner leurs avis. Consulter et se faire consulter.

250 personnalités conviées à formuler leurs avis sur des réformes politiques initiées par le président Bouteflika au crépuscule de son troisième mandat.

Comme dirait Dilem, il ne manquerait plus que Bouamama, El Mokrani et l’émir Abdelkader pour boucler la boucle.

Contesté par la rue, affaiblit par sa maladie, le président Bouteflika, 74 ans, a ainsi trouvé la parade idoine pour gagner du temps en attendant des jours meilleurs pour lui et pour son clan : engager des consultations pour amorcer une démocratisation du régime, celle-là même, cette même démocratisation qu’il n’a eu de cesse de refuser aux Algériens depuis son accession au pouvoir en avril 1999.

Le grand cirque d’El Mouradia ne fait que commencer…