Le pays des pharaons regrettera-t-il sa deuxième révolution ? Trop tôt pour le dire. Pour l’heure, les plus optimistes préfèrent parler d’une phase transitoire inéluctable avec, bien sûr, son prix à payer. Celui-ci s’annonce déjà fort élevé avec des dizaines de morts et de blessés. Et avec les appels des Frères musulmans à manifester encore, il est fort à craindre que le face-à-face des pro et anti-Morsi fasse encore un autre lot de victimes.
Deux personnes ont trouvé la mort, hier soir, et 70 autres ont été blessées aux abords de la place Tahrir au Caire où s’affrontaient pro et anti-Morsi, a annoncé la Télévision d’Etat. La chaîne a précisé que les corps avaient été emmenés dans un hôpital de campagne sur l’emblématique place de la capitale égyptienne. L’armée égyptienne a annoncé qu’elle allait intervenir pour séparer les protestataires près de la place Tahrir. «Nous ne prenons pas parti. Notre mission est de protéger la vie des manifestants», a affirmé le colonel Ahmed Ali. «L’armée va intervenir pour séparer les deux camps», a-t-il ajouté. Par ailleurs, l’agence officielle Mena a indiqué que 12 personnes sont mortes et 460 blessées dans des heurts à Alexandrie entre pro et anti-Morsi. Un responsable de la santé dans la ville côtière a précisé à l’agence que la plupart des décès étaient dus à des tirs de balles réelles. A Assiout (sud), une personne a été tuée lors de heurts entre des partisans de l’ex-chef d’Etat et les forces de l’ordre qui ont également fait 19 blessés, selon la même source. Plus tôt dans la journée, quatre manifestants pro-Morsi ont été tués lors d’échanges de tirs avec les forces de l’ordre devant le siège de la Garde républicaine, non loin du palais présidentiel, selon l’agence. Un journaliste de l’AFP sur place a vu deux corps sans vie qui ont été recouverts d’un drap blanc et un troisième gisant, la tête fracassée par une balle. Partis d’une mosquée de Nasr City, un faubourg du Caire, des milliers de manifestants islamistes ont défilé devant la Garde républicaine située non loin du palais présidentiel. Ils ont tenté d’accrocher sur les barbelés entourant le bâtiment une photo de l’ex-chef de l’Etat, bravant à deux reprises les avertissements des soldats, avant que les tirs n’éclatent. Les deux camps ont tiré à l’arme automatique, selon le journaliste, déclenchant la panique, les gens se ruant dans toutes les directions, tandis que les balles sifflaient et que de nombreux blessés gisaient au sol. Les islamistes ont lancé un «vendredi du refus» du «coup d’Etat militaire» et de «l’Etat policier» qui a arrêté de nombreux dirigeants des Frères musulmans, la confrérie dont est issu M. Morsi, lui-même toujours détenu par l’armée. Le camp adverse a, de son côté, mobilisé des milliers de manifestants sur la place Tahrir pour «défendre la révolution du 30 juin», allusion à la journée ayant vu les plus importantes manifestations contre le président déchu. Dans le même temps, cinq policiers ont été tués par des hommes armés dans le Sinaï (nord-est), peu après la mort plus tôt dans la journée d’un soldat dans cette région instable, frontalière avec Gaza et Israël, selon des sources des services de sécurité.
Ri. Agences
Atmosphère tendue ce matin
L’atmosphère était tendue, ce samedi matin, au Caire. En plusieurs endroits, des barricades et des rues jonchées de pierres et de pneus calcinés témoignaient des violences de la nuit, tandis que les forces anti-émeute étaient présentes à plusieurs carrefours et sur des ponts, avec des hommes armés, a constaté un journaliste de l’AFP. La tension était encore perceptible aux abords de l’université du Caire, sur la rive occidentale du Nil, où les Frères musulmans ont établi des barricades et arboraient des portraits du président déchu devant les forces de sécurité. Les accès à la place Tahrir étaient contrôlés par des anti-Morsi armés de bâtons. Le calme prévalait toutefois sur la place, où quelques centaines de personnes ont passé la nuit dans un village de tentes dressé sur le terre-plein central. Dans la nuit, les Frères musulmans ont appelé à de nouvelles manifestations, faisant craindre de nouveaux débordements, malgré leur insistance sur le caractère «pacifique» de leur mobilisation.
Le Département d’Etat US condamne
Les Etats-Unis ont condamné, hier, les affrontements meurtriers survenus en Egypte et demandé instamment aux responsables du pays, y compris ceux de l’armée, d’arrêter les violences après que 25 personnes ont trouvé la mort dans le pays. «Nous condamnons la violence survenue aujourd’hui en Egypte. Nous lançons un appel à tous les responsables égyptiens pour qu’ils condamnent l’usage de la force et empêchent de nouvelles violences de leurs partisans », a déclaré la porte-parole du Département d’État Jen Psaki. La porte-parole a ajouté que les États-Unis «attendent des militaires qu’ils assurent le respect des droits de tous les Égyptiens, incluant celui de se réunir pacifiquement, et appellent tous les manifestants à protester dans le calme». Washington est de plus en plus confrontée au dilemme qui fait qu’elle ne souhaite pas condamner ce qui peut être considéré comme un coup d’État, tout en reconnaissant que le Président Mohamed Morsi, élu démocratiquement, n’a pas réussi à mettre en place le gouvernement qu’il fallait.
Les islamistes appellent à de nouvelles manifestations
Les islamistes ont appelé, tôt ce samedi, à de nouvelles manifestations «pacifiques» en soutien au président Mohamed Morsi, renversé par l’armée. Dans la nuit, des islamistes ont attaqué le gouvernorat du Nord-Sinaï et y ont hissé leur drapeau. Trois jours après que les militaires ont déposé M. Morsi, sa confrérie des Frères musulmans a appelé à de nouvelles manifestations, faisant craindre de nouveaux débordements à l’issue d’une journée d’affrontements, notamment au Caire et à Alexandrie (nord), les plus grandes villes du pays. Galvanisés par leur guide suprême, Mohamed Badie, les partisans de l’ex-chef d’Etat islamiste ont multiplié les manifestations hier. Devant le siège de la Garde républicaine, ils ont tenté d’accrocher la photo de M. Morsi sur les fils barbelés qui entourent le bâtiment proche du palais présidentiel, bravant les avertissements des forces de l’ordre. Plus tard, d’autres pro-Morsi se sont dirigés vers la Télévision d’Etat, passant à proximité de l’emblématique place Tahrir, où les opposants au président déchu avaient appelé à une manifestation rivale pour «défendre la révolution du 30 juin», allusion à la journée ayant vu les plus importantes manifestations contre le président déchu. Des affrontements violents, durant lesquels des tirs ont été entendus, ont alors éclaté, faisant deux morts, avant que l’armée n’envoie ses blindés s’interposer. Dans la ville côtière d’Alexandrie (nord), des heurts similaires ont fait 12 morts et 460 blessés, selon l’agence officielle Mena.
Le numéro 2 des Frères musulmans arrêté
Khairat al-Chater, l’adjoint au Guide suprême des Frères musulmans égyptiens a été arrêté, tard dans la nuit d’hier, a annoncé une source de sécurité à l’AFP, deux jours après un coup militaire contre le président Mohamed Morsi, issu de la puissante confrérie. «Khairat al-Chater et son frère ont été arrêtés sur ordre du parquet», a affirmé à l’AFP un général du ministère de l’Intérieur. «Ils se sont rendus sans violence», a-t-il ajouté sous le couvert de l’anonymat. Des chaînes de télévision locales ont affirmé que M. Chater avait été arrêté dans une maison du faubourg de Nasr City, dans l’est du Caire. Les autorités avaient lancé après le coup militaire de mercredi quelque 300 mandats d’arrêt contre des membres des Frères musulmans.
«Inquiétude croissante» de Ban Ki-moon
Le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, a mis en garde, hier, les Egyptiens contre toute politique de «représailles». Le règlement de la crise dans le pays implique qu’il n’y a «aucune place pour les représailles ou l’exclusion d’un parti ou d’une communauté», estime Ban, cité par un porte-parole de l’ONU. Ban suit «avec une inquiétude croissante les derniers développements de la crise en cours en Egypte», dont les «informations préoccupantes» sur les limites apportées à la liberté d’expression et les heurts mortels entre manifestants. «Il y a des informations horribles sur des violences sexuelles», a estimé M. Ban, selon le porte-parole. Le secrétaire général de l’ONU a appelé les forces de sécurité égyptiennes à «protéger les manifestants et à empêcher les violences», et estimé que ces manifestations ne devraient suivre que «des voies pacifiques». Ban pense que l’Egypte vit aujourd’hui un «moment crucial» et doit revenir pacifiquement à un gouvernement civil et démocratique.