24e anniversaire de la disparition de Rachid Baba Ahmed, le pionner du pop raï : Le café littéraire Romana rend hommage à l’interprète de «Youk baba jeim»

24e anniversaire de la disparition de Rachid Baba Ahmed, le pionner du pop raï : Le café littéraire Romana rend hommage à l’interprète de «Youk baba jeim»

El Halloui Tlemcani

À l’occasion de la commémoration du  24e anniversaire de la disparition tragique du pionner du pop raï Rachid Baba Ahmed et à la faveur de sa 2e édition annuelle, le café littéraire Romana a rendu hommage à l’artiste défunt. La cérémonie s’est déroulée mercredi dernier  à la Maison de la culture Abdelkader-Alloula de Tlemcen.

Au volet animation, des morceaux musicaux avec Lotfi Attar du groupe Raïna Raï de Sidi Bel Abbès, un one man show avec Abdelkrim Benabdellah, une exposition d’art plastique de Amine Bouchikhi dédiée à Rachid, une dédicace d’un livre de poésie de Numidia Djeroufi… Outre pour la circonstance, un flash-back sur la vie de l’interprète de «Youk baba jeim» dédié par Lotfi, Ali Abdoun (dramaturge), entre autres…

C’est lors d’une soirée de Ramadhan 1415, un mercredi 15 février 1995, vers 22 heures, après la rupture du jeun, que Rachid Baba Ahmed fut froidement assassiné à 49 ans par les terroristes. Alors qu’il se rendait à la boutique de disques et de cassettes qu’il tenait avec ses cousins à la rue de Mostaganem à Oran. Figure emblématique de la musique moderne, avec son inamovible casquette de base-ball américain rivée sur sa tête dégarnie, sa corpulence imposante, l’éternelle barbe hirsute, son sourire et sa jovialité légendaires, ses treillis militaires qui lui donnaient une allure de guérillero échappé d’un maquis latino-américain, sans parler de sa grosse BMW ou de sa Jeep, Rachid a laissé un vide incommensurable dans le domaine artistique.

Rachid Baba Ahmed est né le 20 août 1946 à Tlemcen, dans le quartier de Bel Air (Beau Séjour). Fils de Hadj Mohammed Baba Ahmed et Fatima Brixi-Reguig, Rachid a grandi dans une famille de mélomanes puisque son père et son oncle Mustapha étaient musiciens. Le premier jouait du rbeb, le second du violon avec Cheïkh Larbi Bensari. Passionné de musique, il s’essaiera à la flûte. Pour parfaire son initiation, il s’inscrira aux cours dispensés par l’orchestre Gharnata dirigé alors par le regretté Kheireddine Aboura, avec lequel il fera ses premières armes. En autodidacte invétéré, il acquerra une guitare pour jouer avec son alter ego Fethi, son frère «siamois», des airs de twist et de rock avec des paroles en arabe.

Parallèlement, Rachid apprenait le métier de bijoutier dans l’atelier de son père situé à la rue de la Bataille de Fillaoucène, attenant au bain maure éponyme, dans le quartier de Bab El Hdid. Son talent lui permit de réaliser des merveilles en la matière. C’est après l’indépendance que le parcours de notre jeune «troubadour», alors âgé de quinze ans, commença à se dessiner. Il forma le premier orchestre andalou à la Metchkana. Le groupe se composait de Rachid (chanteur, soliste guitariste), Chakib Rahmoun (chanteur), Hami Habchi (chanteur), Iliès Bekhchi (soliste guitariste), Benali Belarbi (batteur).

Quant au groupe familial qui a vu le jour dans les années 70 (de 1973 à 1978), il comptait, outre Rachid, ses trois frères Fethi (guitariste), Abdou (batteur) et Azeddine (percussionniste), ses deux cousins Hamed Baba Ahmed (claviste) et Ghouti Brixi (percussionniste), selon Fethi. Cependant, attiré par la musique moderne, dominée à l’époque par le groupe des Beatles et les Rolling Stones, il créera successivement les groupes de musique moderne «Les Fils du soleil», «Les Sphinx», «Les Vautours» et «El-Hayat», qui lui a valu pour la première fois, en 1968, le prix du deuxième meilleur orchestre du concours national d’Alger.

En 1969, Rachid enregistre son premier disque 45 tours en France, intitulé «Ayami qacira» (ma vie est courte). Prémonition ? Il enregistre également une chanson turque «Youk baba jeim», chantée auparavant par Cheïkh Larbi Bensari qui l’«importa» d’Istanbul, à l’instar de «Hanina» du Chem. Cependant, le microsillon, signé au nom des «Fils du soleil» et comportant les deux titres «Dally yagamra» (Indique-moi la direction ô lune) et «Djat el warda» (La rose est venue) était un ratage. «Ce fut un désastre, le disque n’a pas été du tout apprécié. Nous n’avons pas lâché prise alors que la concurrence des frères Megri du Maroc était féroce», confiait Rachid en 1992. Au début des années 1980, la révolution raï explose à Oran.

C’est dans ce contexte que le duo industrieux Rachid et Fethi créeront à Kiffane, dans la banlieue de Tlemcen, un véritable complexe d’enregistrement, doté de tous les équipements «hightech». C’est la naissance de leur label «Rallye», nom évoquant la passion des deux frères pour les courses automobiles, auxquelles ils participaient régulièrement en Algérie. Cependant, tout le monde continue à appeler la maison de production des frères Baba-Ahmed «Rachid et Fethi».

Le studio «Rachid et Fethi» va devenir la «Mecque» des musiciens

C’est sous ce nom qu’ils se lancent dans la production de raï, Fethi s’occupant de la gestion du label, Rachid des choix artistiques. Au début des années 80, le studio «Rachid et Fethi» va devenir la «Mecque» des musiciens et chanteurs oranais en mal d’«édition» de haute facture. A tour de rôle, les chebs défilaient chez Rachid, Cheb Khaled, Cheb Hamid, Houari Benchenet, Cheb Saharaoui, Chabba Fadéla, Chaou, Ahmed Zoheïr, Merioua… «En 1976, racontait Rachid, un éditeur de cassettes d’Oran m’a envoyé à Tlemcen un très jeune chanteur de raï, c’était Sahraoui. A l’époque, le raï ne me disait absolument rien. J’ai fait ça en musique synthétique, je m’inspirais de Jean-Michel Jarre. C’était très neuf».

En bon samaritain de l’art, l’homme-orchestre forme de jeunes talents tels que Cheb Anouar, Cheb Djalal, Noudjoum Es-Saf et beaucoup d’autres qui faisaient par ailleurs sa fierté. «Dans les années 80, lorsque j’étais professeur de musique à l’ITE Ibn Tofaïl, j’organisais pour mes stagiaires des sorties sur le terrain, en l’occurrence au studio de Rachid. En plus de sa disponibilité, il ne manquait pas à chaque visite de nous offrir une collation ainsi que des cadeaux symboliques portant le logo du studio ; c’était un type très généreux», nous confiera Cheïkh Hami Benosmane, musicien.

On se rappelle, lors d’une soirée de mariage chez les Baba Ahmed à Bel Horizon (Les Cerisiers), le groupe «iconoclaste» de Rachid fit «fusion» avec l’orchestre de variétés de Hami Benosmane. Une soirée qui coïncida avec une date «mémorable», celle du 5 octobre 1988, dont les échos parvenaient par bribes aux convives présents. Parmi ses œuvres, Mexico, une chanson à la gloire de l’équipe nationale de football, sortie au lendemain de la victoire des Verts en Tunisie lors du match aller du dernier tour qualificatif pour le mondial de 1986. Passionné par l’image, Rachid acheta une petite caméra vidéo (camescope) et quelques effets pour réaliser le premier clip vidéo, son baptême du feu, pardon de lumière, avec Saïm El Hadj de la RTA, un clip mettant en «scène» Anouar, qu’il envoya à la chaîne de Télévision algérienne. Insatisfait du résultat obtenu, il achète de France un matériel plus performant composé d’une caméra B.V 4 avec magnétoscope portable.

Le résultat était meilleur sur le plan de la prise de vue et du son, le montage se faisait à la station régionale d’Oran. Fatigué par le va et vient entre Tlemcen et Oran, Rachid décide de son autonomie en achetant une caméra professionnelle Betta (AM avec cellule complète de montage). A partir de ce moment-là, il se libère ; il réalise plusieurs clips portant le label «V.C.T» diffusés sur les chaînes des télévisions nationale et internationale. La «boîte» de Rachid et Fethi sera très sollicitée pour ses équipements techniques lors de l’organisation de grands évènements culturels, Riadh El Feth, la Coupole d’Alger, le Théâtre de verdure d’Oran, entre autres, bénéficieront du matériel nec plus ultra haute-fidélité, manipulé de main de maître par Rachid qui avait plusieurs cordes à son arc. En effet, il signera la musique de la fameuse pièce du défunt Alloula, «El-Adjouad».

Il décrochera même le prix de la meilleure musique au 19e Festival du théâtre professionnel d’Alger. Dans les années 80, Rachid signera une scénographie d’un spectacle «historique» dédié à la légendaire mangana du Mechouar (automate d’Ibn El Feham) au niveau de la Maison de la culture, à l’initiative de Si Mohammed Baghli, ingénieur, chercheur en legs universels. Il investira ensuite le domaine de la production audiovisuelle en proposant une série d’émissions clips et de distraction, intitulée «Wach raïkoum, qui sera bien suivie. Sa compétence reconnue et sa réputation établie, Rachid obtint l’autorisation d’installer une radio privée à Tlemcen, croit-on savoir, mais le destin a voulu que le maestro, digne fils de Tlemcen, soit froidement assassiné lors d’une veillée de Ramadhan, un mois de clémence et de repentance.

Froidement assassiné

Fidèle à la mémoire de son père, son fils Ilias n’a pas abandonné le legs de Kiffane, en l’occurrence le studio «Rachid et Fethi» parallèlement à la caméra, outre qu’il possède un compte Youtube «Zianide TV» dédié aux archives artistiques (vidéos, interviews) de Rachid. Par ailleurs, Ilias est bijoutier, à l’instar de son père et son grand-père. Il faut savoir que le centre communal de Bab El Khemis (Tlemcen) fut baptisé au nom de Rachid Baba Ahmed en avril 1997.

A la faveur de cet hommage, une association dénommée «Ahbab Rachid Baba Ahmed» y avait élu domicile. Mais la reconversion de l’établissement culturel en Centre international de presse (CIP) à l’occasion de la manifestation panislamique de 2011 causa des dégâts collatéraux à la «mémoire» de Rachid Baba Ahmed avec la disparition de son nom des lieux ainsi que le gel de ladite association qui perdra son local «au profit» de l’Association musicale Cheïkh Mohammed Bouali.

Nous eûmes un pincement de cœur lorsque nous vîmes une fois en 2011 le portrait du défunt jeté dans un coin dans une salle désaffectée du CIP. S’agissant de la commémoration du 24e anniversaire de sa mort, c’est le silence radio du côté de Tlemcen FM ; idem du côté de la presse où aucune halte posthume n’aura été marquée.

Ah ! Amnésie quand tu nous tiens !