En cette belle matinée ensoleillée de mardi, le quai du port d’El Djamila (Ex-La Madrague) à Aïn Bénian est noir de monde. Des dizaines de personnes attendent sous un chapiteau aux couleurs marines, bleu blanc. Pour la plupart, des familles et des enfants.
Les quelques bancs implantés restent insuffisants. Assis, debout ou perchés aux barrières du quai, les voyageurs attendent le bateau reliant El Djamila-la Pêcherie, depuis plus d’une heure. Impatients, certains d’entre eux ne cessent d’errer sous le chapiteau. Premier jour de la navette maritime El Djamila-la Pêcherie. Le port d’El Djamila est pris d’assaut.
Des couples, des familles, des enfants, des jeunes, des moins jeunes, sont tous là pour monter à bord du bateau Ischiamar III. Beaucoup d’entre eux sont munis d’appareils photos et de caméras, histoire d’immortaliser cette «inoubliable» traversée. «Pour ces familles, ce n’est pas un moyen de transport mais plutôt une balade touristique», affirme l’agent au guichet de tickets. Pour Sid-Ali, résident à Aïn Bénian depuis quatre ans, ce bateau est une merveille.
«C’est un plaisir de faire cette traversée en plus, ce n’est pas du tout cher», dit-il. Une navette qui devrait, selon lui, mettre fin à ses souffrances quotidiennes sur la route pour se rendre à son travail à Alger. «Ça y est, c’est fini pour le transport privé dont les bus sont souvent sales, vétustes et hors d’usage», assure le cinquantenaire. Seulement, poursuit-il, «il faut assurer le transport à partir de la pêcherie, port d’accostage du bateau».
Il insiste ainsi sur une importante exploitation des bus de l’Etusa qui, pour lui, sont un modèle en termes de discipline et de professionnalisme. Assis sur l’un des bancs d’attente, M’barek surveille ses quatre petitsenfants. Tickets en main, il attend le fameux bateau. «J’ai vu le bateau hier, aux informations à la télé et j’ai décidé de ramener ma famille pour faire cette balade», dit-il. Natif d’El Djamila, ce septuagénaire raconte son calvaire sur la route Alger-Aïn Bénian. «Pour me déplacer sur Alger, je mets deux heures pour l’aller et deux heures pour le retour en taxi».
Faisant l’éloge de ce nouveau moyen de transport, il ajoute : «Ce bateau est un immense bienfait pour nous. Il nous permettra de se déplacer facilement sur Alger-Centre et d’éviter les embouteillages sur la route du littoral.» Vêtue de ses plus beaux habits, comme un jour d’Aïd, Nada, sa petite- fille, semble impatiente.
Elle attend l’arrivée du bateau avec ses soeurs et cousines. Un bateau qu’elle aussi a vu à la télévision. Venue de Bou Saâda passer les vacances d’été chez ses grands-parents à Aïn Bénian, la fillette découvre aujourd’hui un nouveau moyen de transport. Elle qui n’est jamais montée à bord d’un bateau, n’est pas prête à oublier sa toute première expérience.
Toute fière, elle promet de rapporter le récit de sa traversée à ses copines de classe, dès la prochaine rentrée scolaire. Plus loin, Hadda attend sur un banc. Elle semble impatiente. «Je vais faire une balade en mer», ditelle toute contente. Une première pour la vieille de 98 ans. Originaire de Biskra, Hadda rêve de voir ce moyen de transport aller jusqu’à sa ville natale. Une plaisanterie qui n’a pas échappé à sa belle-soeur qui l’accompagne.
«Mais, il n’y a pas de mer à Biskra», réplique la bellesoeur, avant que ses quatre enfants n’éclatent en rires. «C’est la soeur à mon mari. Elle a passé le mois de Ramadhan et l’Aïd avec nous à Bouzaréah. Elle devait rentrer hier, à Biskra mais nous l’avons retenue pour faire cette balade en mer», explique encore la belle-soeur. Sa petite Fériel qui passe en 2e année primaire, semble aussi excitée que sa tante Hadda. «Mon père m’a promis de nous ramener ici à Aïn Bénian pour prendre le bateau.
Comme je suis déjà montée dans une barque avec mes oncles, je n’ai pas du tout peur de cette balade en mer. C’est ma tante Hadda qui a peur», dit-elle en sourire. 10h 50, le bateau apparaît de loin. «Il arrive, il arrive», crient les gens, postés sur le quai depuis plus d’une heure, à l’attendre. Le bateau avance. Il entame son entrée au port. Curieux, tout le monde le scrute des yeux. «Il est plein de monde», lance un jeune à la vue de la terrasse du bateau noir de monde. Accostés, les passagers à bord triment pour descendre.
La passerelle était bloquée par les gens sur le quai qui se pressaient de monter. Un comportement qui a d’ailleurs retardé le débarquement et l’embarquement. 11h 30, 244 voyageurs sont à bord. Le bateau quitte le port d’El Djamila sous le regard des curieux et surtout de ceux déçus de ne pas avoir «décroché» le ticket, «fameux sésame», pour monter à bord. Les «chanceux» à bord, nombre d’entre eux ont préféré rester sur les deux terrasses de l’embarcation pour mieux admirer le port d’El Djamila et la ville de Aïn Bénian s’éloigner.
Un agent de l’ENTMV (Entreprise nationale de transports maritime des voyageurs) s’adresse aux passagers sur la terrasse inférieure. «Fumer est interdit à bord. Si vous avez besoin de quelque chose, adressez-vous à moi car le reste de l’équipage est italien et ne comprend pas l’arabe ni le français». Dix minutes plus tard, le jeune agent, revient sur la terrasse. «Reculez tous et entrez en salle. Le bateau risque de ne pas sortir du port si vous restez là, c’est lourd», crie-t-il. Le bateau s’éloigne du port d’El Djamila.
A bord, tous les passagers veulent aller sur les terrasses. Ici la vue est imprenable : la mer bleue, les vagues qui fondent sous le bateau et la terre qui s’éloigne progressivement. Une mission qui demeure seulement, impossible puisque l’espace ne suffit pas pour autant de monde. Mourad qui a réussi à se frayer une place sur l’une des terrasses, admire la vue qui s’offre à lui. Il montre à sa fille Rym, soulevée sur ses bras les différentes stations parcourues par le bateau : Le phare de Baïnem, la cathédrale de Notre-Dame, le port de Franco et les deux îlots à Raïs Hamidou et la jetée de Bab El Oued…
R. N.