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Au moment où les charognards de la religion l’ont accaparée et en ont fait leur otage, voilà un homme des Lumières qui est venu remettre les pendules à l’heure…
Des visions erronées de l’islam donnent de cette religion l’image d’un dogme fermé à toute rationalité. Portés par des orientalistes occidentaux, mais également des courants internes au monde musulman, elles se sont attachées à effacer ou à réduire un patrimoine scientifique et intellectuel immense. Aujourd’hui plus que jamais, le thème est d’actualité. Ancien ministre de l’Education nationale (1992-1994), le professeur Ahmed Djebbar, éminent spécialiste en histoire des mathématiques, hautement reconnu par la communauté universitaire internationale, a produit de nombreux ouvrages sur la question. Dans la conférence qu’il anima vendredi après-midi au Salon international du livre d’Alger il démontrera comment l’islam bien au contraire a su accaparer la raison et ses outils, notamment chez les philosophes grecs pour pouvoir avancer et se défendre et s’imposer contre la religion chrétienne et juive.
Sa conférence s’est traduite sous forme d’une présentation panoramique à l’aide d’images explicatives. Il fera remarquer d’emblée que dans la civilisation des pays d’islam il y a des divisions, d’un côté on donnait de l’importance aux sciences rationnelles et de l’autre aux sciences de transmission. Il citera les noms de Ibn Al Nadim et Ibn Khaldoun au XIVe siècle. Au IXe siècle on reconnaît que la science permet de comprendre l’oeuvre de Dieu. Comment? Par l’appropriation de la raison grecque. L’arithmétique, la géométrie etc toutes ces sciences-là étaient pourtant inconnues aux Arabes qui se sont mis à traduire ces nombreux textes pour les comprendre jusqu’à les adopter à tel point qu’ «on ait dit que la deuxième langue après le grec est l’arabe» fera remarquer le conférencier qui lors d’une digression, arguera reconnaître entièrement la langue maternelle comme une véritable langue à part entière au même titre que l’arabe classique tout comme la langue amazighe qui un jour sera reconnue comme «une grande langue de culture».
Aussi l’influence de la pensée d’Aristote sera éminente, notamment chez nos philosophes arabes tels Haroun Al-Rashid. Ahmed Djebbar soulignera que «les musulmans avaient besoin de ces textes pour apprendre à argumenter» toujours dans la perspective de défendre la religion contre les arguments qui contraient l’islam, mais aussi les aider à maîtriser les bases cosmologiques des débats théologiques.
La théologie spéculative
Les théologiens contraints d’apprendre ces outils vont être contaminés par la rationalité et vont introduire cette dernière dans la théologie. «Le Kalam» qu’est la théologie spéculative dite rationnelle, basée sur le raisonnement, mais pas seulement sur la transmission». Ahmed Djebbar citera une grande légende écrite dans le cadre d’un combat idéologique culturel à Baghdad. Ce combat idéologique a évolué. Cette légende va devenir un acteur que les intellectuels à Baghdad vont fabriquer pour défendre une position selon laquelle pour défendre même sa religion il faut qu’elle utilise l’arme de la rationalité. Cette position va être combattue par ceux qui considèrent qu’on n’a pas besoin de rationalité pour défendre l’islam contre ses ennemis. Dès lors, le discours, la foi, ne suffisent plus. Cette démarche est née au VIIIe siècle.
Nous sommes dans la période de l’islam premier. De l’islam de la liberté.
Le deuxième kalife, El Mansour
Pas l’islam de la contrainte où toute personne doit penser comme le kalife, comme beaucoup de présidents aujourd’hui dans le monde». Au VIIIe siècle, nous apprend-on, on se met à écrire le fiqh, à rédiger les textes théologiques sachant que la langue arabe n’avait pas de science, elle n’était pas écrite. Au VIIe siècle on est en train de récolter les versets des différentes versions…
«Le grand débat va se poser entre ces deux questions: faut-il s’occuper uniquement du savoir transmis ou du savoir produit par la raison? Ce n’est pas si simple que ça.», avoue l’orateur. Arrivée du deuxième kalife El Mansour, Mohamed Djebbar indique qu’ «il va y avoir une synthèse de la pensée d’Aristote qui va être utilisée par les musulmans pour défendre l’islam. Nous sommes à une époque où la philosophie n’est pas du tout vue comme opposée à la pensée religieuse ni à la religion. Au IXe siècle l’appropriation de la pensée d’Aristote et de Platon pour comprendre les outils, passe par la traduction en arabe, parfois plusieurs fois pour l’exploiter de façon efficace. Parlant du kalife El Maamoun, ce dernier, nous explique-t-on va choisir comme théologie officielle le mouatazilisme. El Mansour fait donc traduire la Logique d’Aristote. El Mehdi son fils fait traduire les Topiques d’Aristote. Haroun Rachid financera la Physique d’Aristote. Ahmed Djebbar finira sa conférence en insistant sur les courants philosophiques arabes et leurs richesses dont certaines n’ont fait qu’utiliser les outils des Grecs pour servir la religion comme El KIndi, Ibn Sina, mais il citera aussi le courant contestataire dont El Razi.
Et d’expliquer qu’Ibn Rochd reconnaît que Dieu reconnaît la rationalité. La conclusion nous a été donnée en aparté par ces mots: «Avant il y avait une cohabitation féconde entre vouloir atteindre la connaissance par la raison et atteindre la connaissance par la transmission des informations de ceux qui sont venus avant. Aujourd’hui c’est une cacophonie. La rationalité existe heureusement encore dans les sciences exactes, mais tout le monde parle de tout et n’importe comment sans connaître les règles etc. Si tu n’es pas un spécialiste tu n’a pas le droit de toucher au Coran pour l’interpréter c’est tout simple comme aux maths. Il y a le savoir par la transmission mais on ne peut pas le contrôler et il y a le savoir par la raison. Aujourd’hui on vous dit qu’il n’y a qu’une seule manière de comprendre le Coran. Avant on pouvait l’interpréter différemment. c’est dictatorial!»