22E édition du Fespaco,Le documentaire algérien revisite le passé

22E édition du Fespaco,Le documentaire algérien revisite le passé

«Dans le silence, je sens rouler la terre» de Lakhdar Tati et «Le Docker noir» de Fatma Zohra Zaâmoum déjà présenté au Panaf, deux films que le public burkinabé a eu à apprécier mardi denier.

Ambiance cinéphilique dans un climat caractérisé par une chaleur frénétique. Poussière de vie et pauvreté hélas! mais volonté et humilité, nous sommes bien à Ouagadougou.

Nous revoilà donc après avoir goûté à la cuvée 2009 qui a fait se distinguer l’Ethiopien Haïlé Gérima pour son fabuleux film Teza, Etalon d’or de la princesse Yennenga. Le plus prestigieux des festivals panafricains du cinéma et de la télévision, a été placé, cette année, sous le thème «Cinéma africain et marchés». Pour cette édition, ce sont au total 195 films dont 101 en sélection officielle et 84 en sélection hors compétition, prévus au menu. Ils seront projetés dans les différentes salles de la capitale du cinéma africain qui revêt à chaque fois un cachet bien particulier.

«Le Fespaco 2011 ne se raconte pas, il se vit», a affirmé le délégué général du Fespaco Michel Ouédraogo. Le public venu en force au stade de Ouagadougou, en ouverture de cette grandiose manifestation, le 25 février dernier, a, en effet, pleinement vécu la soirée inaugurale où a été donné un spectacle haut en couleur, dont un feu d’artifice au bout de la nuit. Le Fespaco, qui fête aujourd’hui ses 42 ans, donne à voir des films aux thématiques bien différentes.

L’histoire est un éternel recommencement

L’Algérie est présente à Ouagadoudou avec 12 films et non des moindres, toutes catégories confondues. C’est le directeur du CNC, Abdelkrim Aït Oumeziane, qui a représenté le ministère de la Culture.

En compétition, outre la projection du long métrage El Saha de Dahmane Ouzid, un film musical sur fond de dénonciation des travers sociaux du pays en général et le malaise de la jeunesse en particulier, Le voyage à Alger de Abdelkrim Bahloul, le public burkinabé a eu droit, le mardi dernier, à la projection d’affilée, de deux documentaires. Le premier est signé Lakhdar Tati. Son titre renvoie à un vers du poète Max Aub, Dans le silence je sens rouler la terre. Le film s’ouvre sur ce texte qui évoque l’aridité de la terre et la sécheresse des humains. Tati va à la rencontre des jeunes et leur demande ce qu’ils savent de la guerre civile en Espagne. Somme toute, pas grande chose. 1939, le général Franco est au pouvoir et les Brigades internationales qui lui sont opposées, sont accueillies dans des camps, en Algérie, par la France. Tati dresse sa caméra à Djelfa, lieu où a été enterré Max Aub qui décrit dans sa poésie cette partie de l’Histoire. «Tu te souviens.» écoutons-nous réciter. Des images en noir et blanc accompagnent ce passé révolu. Tati poursuit son enquête. Il est à la recherche du camp de Aïn Srair. Quand le guide du musée de Djelfa entend la question, il se tut.

La réponse est ailleurs. Elle est à l’extérieur des enceintes des maisons et des murs des officiels. Tati «l’intellect» prend le temps de la méditation comme un poète, qui reprend son souffle après chaque strophe. Le silence plane et laisse place à des images panoramiques et de travelling posés sur les jeunes des quartiers populaires d’aujourd’hui. Tati interroge l’histoire mais ne semble pas trop se méfier du temps qui passe, plutôt de prévenir sur l’absence de mémoire qui nous assomme de tous les côtés. Le hors champ de Tati est éloquent. Il annonce ce qui va suivre. La révélation faite par le bibliothécaire: il n’existe pas d’archives de cette époque en Algérie. En France peut-être. Nasser Khodja est professeur de littérature à Djelfa. Il confie: «Les algériens sont passionnés d’histoire mais il n’y a pas de documents, il manque les espaces de diffusion». Parmi cette vague d’immigrants espagnols en Algérie, certains se sont installés à Oran. Tati tente de trouver leur trace. Nada!

«L’histoire de l’Algérie a été manipulée», poursuit le professeur en littérature. La mer symbole d’horizon à «perpétuer», mais d’espoir aussi et d’ouverture vers l’inconnu est synonyme de fuite pour les Espagnols qui arrivent par bateau et accostent en Algérie. Ironie du sort, si jadis, des milliers d’Espagnols ont fuit le régime de leur pays en venant trouver refuge en Algérie, c’est en Espagne que désormais, des jeunes algériens rêvent de partir, quitte à être avalés par les poissons, comme dit le fameux adage populaire algérien.

Entre passé et présent, pouvoir et liberté, manque de chance ou le karma, Tati fait louvoyer sa caméra comme une sorte de vague… à l’âme pour dire les tourments de la jeunesse algérienne d’aujourd’hui, ou du moins, une partie d’entre elle. Tati ose et filme les arcanes de l’Algérie. Entre audace et pudeur palpable, cette image d’un réalisateur filmant à l’intérieur d’un carreau d’une fenêtre traduisant la ligne de marquage qu’il ne faut vraisemblablement pas franchir dans certains milieux conservateurs et obtus. Ignorance, absence de photos d’époque et puis, ce «je me souviens» encore une fois, rapporté cette fois par un Espagnol, témoin de cette époque.

M.Martinez Lopez se souvient de son arrivée à Oran et du traitement qu’ont subi ses parents. Comme l’histoire est un éternel recommencement, elle change seulement de direction et prend la tangente. Le vent tourne mais parfois, du mauvais côté. Tati donne la parole à deux générations d’homme. D’abord, à un vieux marin pêcheur qui dénonce l’absence de volonté chez les jeunes qui refusent de travailler et cultiver leur terre, tandis qu’un jeune ne parle que de «harga», partir rejoindre ses amis de l’autre côté de la Méditerranée et faire sa vie en Espagne. Une parenthèse enchantée assez naïve mais «cruellement» touchante qui, bien qu’elle parait hors de propos, clôture avec aisance ce film qui «se regarde» avec les oreilles et se sent à travers les images. Dans ce nouveau documentaire inédit Dans le silence je sens rouler la terre, on reconnaît la griffe de Lakhdar Tati qui s’est bien aiguisée.

L’histoire de l’Algérie a été manipulée

Une rigueur scénaristique affutée. Loin d’être lourd, ce film documentaire parle peu finalement, mais donne à comprendre. Entre chant et poésie, la musique des mots fait sensation. Celle de Tati sur le générique aussi! A saluer. Evidemment, en sortir et passer sans transition à un autre documentaire n’est pas sans danger. Bien que le film de Fatma Zohra Zaâmoum ne manque pas d’ d’intérêt, on y met un peu de temps avant d’absorber le tout et remettre la pendule de son cerveau à zéro. Le Docker Noir en hommage à Sembene Ousmane, écrivain et réalisateur sénégalais, met en exergue la vie de cet homme qui s’est voulu un réel combat. Combat pour les idées et pour le changement social et politique de son pays et enfin pour l’indépendance de l’Afrique. En introduction du documentaire, l’ex-directeur de la cinémathèque d’Alger, Boudjemaâ Kareche évoque la riche cinématographie de Sembene Ousmane mais aussi sa forte personnalité. C’est sa vie de docker, entre 1945 et 1950, qui est effectivement racontée dans son livre Le Docker noir qui déterminera l’écrivain talentueux qu’on va connaître plus tard. Si sa filmographie reste à voir et à revoir de par son actualité saisissante, elle témoigne du courage d’un homme qui «se sentait responsable des autres». Sembene Ousmane brosse le portait de la société africaine avec ce qu’elle comporte comme bassesse humaine mais entend également défendre la condition de la femme africaine, notamment dans son fameux film La Noire de… «On dit que Sembene Ousmane était austère. C’est plutôt de la discipline dans le travail. On rit beaucoup de nous-mêmes à travers ses films et à la fin, on se pose beaucoup de questions et on avance», déclare Samba Gadjigo, docteur en lettres modernes.

En somme, les problèmes sociopolitiques contemporains de l’Afrique sont loin d’être entièrement résolus. Si Sembene Ousmane a évoqué nombre d’entre eux, beaucoup reste à faire pour faire régner la liberté et la démocratie, outre mettre fin à la pauvreté qui, hélas! minent de nombreux pays africains dans le monde. Un film fort qui colore la fiction en noir et blanc par moment pour faire raviver les couleurs du passé.

On retrouve là, la touche de la plasticienne qu’est Fatma Zohra Zaâmoum, se plaisant, comme d’habitude, à combiner originalité de l’esthétique et pertinence du sujet traité.

O. HIND