Comment lutter contre la récession et appuyer la relance économique (Analyse)

Comment lutter contre la récession et appuyer la relance économique (Analyse)

Un taux de change approprié et une ouverture commerciale contribuent à la croissance et à l’emploi.

Non sans surprise, les deux chocs sanitaire et pétrolier de mars 2020 intervenant dans le contexte d’une économie fragilisée par la mauvaise gestion depuis 2010 ont plongé le pays dans une récession et fait ressortir l’obsolescence du modèle de développement basé sur la rente pétrolière. Il est donc impératif de se donner une nouvelle stratégie qui reflète les réalités économiques domestiques et internationales (le réajustement des chaines de valeur, le processus de décarbonisation, l’économie de la connaissance, la numérisation et l’intégration de l’intelligence artificielle dans le vie économique).

Ceci implique une nouvelle stratégie à long terme de diversification de l’économie et des exportations pour assurer une place à l’Algérie dans le monde de demain. Pour réussir cette dernière, il faut : (1) une relance des réformes pour une ouverture réussie du régime commercial ; (2) des mesures pour améliorer le climat des affaires, y compris une réelle promotion globale des exportations ; et (3) des politiques macroéconomiques visant à soutenir la compétitivité extérieure et éviter les fluctuations des taux de change réels et la surévaluation réelle, soit une politique de change appropriée. Deux grandes questions à discuter ci-dessous : (1) quelle est l’efficacité de la politique de change et de la politique commerciale du pays ; et (2) quelles sont les mesures à prendre pour faire de ces politiques de véritables leviers de gestion macroéconomique pour lutter contre la récession et appuyer la relance économique.

Le système de change actuel de l’Algérie (à mi-chemin entre le rigide et le libéral) : trois points importants à souligner :

(1) la détermination de la valeur externe du dinar algérien :  a évolué dans le sens d’une plus grande flexibilité pour faire de la politique de change un levier de gestion macroéconomique. Jusqu’en décembre 1973, le taux de change du dinar était fixé par rapport au dollar en raison de la prépondérance du pétrole dans les échanges extérieurs de l’Algérie. À partir du 1 janvier 1974 et pour se prémunir contre la volatilité du dollar, le taux de change était fixé par rapport à un panier de monnaies qui reflétaient la structure des échanges commerciaux du pays et qui faisaient l’objet d’ajustements occasionnels. À partir du 1er octobre 1994, la Banque d’Algérie (BA) a mis en place un système de gestion souple du DA (flottement dirigé) à travers des sessions quotidiennes de fixing avec la participation des banques commerciales. Le 2 janvier 1996, dans un souci de libéralisation des échanges extérieurs du pays et du passage à un système de taux de change flexible, un marché interbancaire de devises a été institué par le règlement numéro 95-08 du 23 décembre 1995. Ce marché réunit les banques et les établissements financiers au sein duquel sont conduites toutes les opérations de change au comptant et à terme entre la monnaie nationale et les devises étrangères librement convertibles et permet de faire jouer d’une certaine façon l’offre et de la demande. La source principale de l’offre de devises sur le marché officiel est la BA qui est l’acheteur exclusif des recettes d’exportations des hydrocarbures. Les autres exportations ne génèrent que des montants très faibles (soit environ 1 milliard de dollars) dont la moitié peut être conservée par les exportateurs (500 millions de dollars). Les sessions de fixing et le marché interbancaire qui y a succédé font partie des réformes qui s’inscrivaient dans le contexte de la libéralisation du secteur extérieur;

(2) le ciblage de la politique de change : la politique de change de l’Algérie est de maintenir la compétitivité extérieure de l’économie en ciblant l’indicateur de mesure de cette dernière (le taux de change effectif réel, TCER) à un niveau proche de son niveau d’équilibre (pour faciliter une croissance sans inflation et un solde du compte coutant soutenable). Chaque année, la BA détermine un niveau cible de TCER et intervient sur le marché pour contenir les mouvements de change nominaux bilatéraux en ligne avec la cible ;

(3) la convertibilité du DA depuis 1997. Ces réformes avaient ouvert la voie à la décision des autorités de : (i) rendre le dinar algérien convertible en acceptant les obligations énoncées à l’article VIII, sections 2, 3 et 4 des statuts du FMI, avec effet au 15 septembre 1997. Cela signifie que le gouvernement s’engage à s’abstenir d’imposer des restrictions sur les paiements et les transferts pour les transactions internationales courantes ou à s’engager dans des accords de change discriminatoires ou des pratiques multidevises ; et (ii) accepter l’ouverture de bureaux de change. Mais dans la réalité le gouvernement avait demandé à l’époque et à juste titre une dérogation pour limiter les accès aux devises pour les ménages en raison des faibles réserves de change du pays en 1998. Toutefois, même lorsque le pays avait accumulé des niveaux élevés de devises après la remontée spectaculaire du baril du pétrole, l’exclusion des ménages du marché officiel des devises a été maintenue de façon surprenante.

La libéralisation de la politique commerciale dans les années 1990s.

L’Algérie a connu trois moments forts en matière d’ouverture commerciale, avec deux grandes vagues de reformes en 1989 et 1994, suivies par la signature en avril 2002 d’un accord d’association avec l’Union Européenne AAUE). Depuis le processus de réformes est en panne.

(1) La première vague amorcée en 1989 par suite des restrictions financières causées par le choc pétrolier de 1986. Elle a permis de passer d’une politique commerciale sous le seul contrôle de l’État (qui accordait des droits d’importation monopolistiques à des entreprises publiques désignées avec autorisation préalable de la banque centrale pour le paiement des biens et services importés) à la mise en place d’un système plus flexible dans lequel les entreprises se voyaient attribuer un certain montant de devises et de crédits à utiliser à leur discrétion. La loi sur la monnaie et le crédit, adoptée en avril 1990, accompagnée de la loi de finances complémentaire en août 1990, ont introduit un système de concessionnaires et de grossistes, contribuant dans une certaine mesure à l’éclatement des monopoles d’importation. Toutes les restrictions en matière de licences d’importation ont été abolies pour la plupart, bien que quelques importations continuent d’être soumises à un contrôle administratif en raison de restrictions commerciales nationales; (2) La seconde vague a été lancés en 1994 et comprenait de larges mesures de libéralisation des échanges (suppression de la règle d’autofinancement, libéralisation de l’importation de 42 types de matériel industriel et professionnel d’occasion, suppression des exigences minimales de maturité pour le financement des importations, réduction de la protection tarifaire et baisse des tarifs d’importation maximaux en 1996 de 60 pour cent à 50 pour cent, puis à 45 % le 1er janvier 1997. Les prohibitions à l’importation étaient limitées à trois catégories et plus tard abolies au milieu de 1995. Du côté des exportations, pratiquement toutes les prohibitions à l’exportation antérieures – environ 20 produits – ont été supprimées. En juin 1996, le système commercial de l’Algérie était libre de restrictions quantitatives ; (3) la signature de l’Accord d’association avec l’Union Européenne (AAUE). L’AAUE a été signé en avril 2002 et est entré en vigueur en septembre 2005. Il accordait un délai de transition de 12 années pour opérer le démantèlement. Cet accord devait catalyser la dynamique de réforme de l’économie du pays. L’Union Européenne devait appuyer l’Algérie dans sa démarche de remise à niveau des entreprises nationales. In fine, le succès de l’AAUE dépendait de la capacité de l’Algérie à diversifier l’économie en générant une masse critique d’investissements directs étrangers et nationaux dans les secteurs à forte intensité de main-d’œuvre axés sur l’exportation.

Une politique commerciale plus restrictive depuis 2014 avec la multiplication des barrières tarifaires et non tarifaires et une insertion internationale en panne.

La remontée spectaculaire du prix du pétrole à partir de 2000 et l’accumulation de réserves de change importantes a mis un coup de frein au processus de réformes que le pays a entamé avec l’appui du FMI entre 1994 et 1998 (au moment où le pays subissait une grave crise de change. Le choc pétrolier de 2014 a conduit, au contraire les autorités à ne pas reprendre le processus de réformes mais plutôt à réintroduire des barrières non tarifaires (certificat d’origine, certificats de conformité et de qualité d’un tiers indépendant, relevés de notes rédigés en arabe et indiquant clairement l’origine des produits), des restrictions (interdiction temporaire de 851 produits annoncée le 1er janvier 2018), remplacées ensuite par une hausse de la protection tarifaire (mise en place d’un ensemble de tarifs entre 30 et 200% sur plus de 1000 produits). Non sans surprise, l’indice de restriction du commerce extérieur de l’Algérie se situe de nouveau au niveau élevé de 0,38 (0 étant excellent et 1 étant la limite théorique de la restriction totale). De plus, le pays se classe 150 sur 180 (indice de perception de la corruption 2018). 157 sur 190 (Doing Business, 2019), 110 sur 126 (Indice d’innovation, 2018). Bien que tous ces indices ne soient pas très fiables pour rendre compte de la complexité des pays, ils fournissent toutefois une indication. Pour l’AAUE, les avantages à long terme de l’accord reposaient d’abord et avant tout sur des réformes très ambitieuses que le pays devait conduire avec une assistance (limitée) du partenaire, notamment pour la mise à niveau des entreprises algériennes. Ces réformes de grande portée étaient incontournables pour attirer les investissements directs étrangers (IDE), améliorer la réponse de l’offre et abaisser la protection tarifaire. Cependant, en l’absence de réformes de la part de l’Algérie mais aussi l’absence d’engagement du partenaire, le coût pour le pays est lourd : (1) manque à gagner en termes de recettes budgétaires d’environ 8 milliards de dollars entre 2005-2019) : (2) faiblesse des exportations hors pétrole stagnant autour de $1 milliard ; (3) un niveau d’IDE qui n’a jamais dépassé $1,3 milliards ; et (4) un volet commercial qui a pris le pas sur le volet investissement. Les autorités algériennes ont attiré l’attention du partenaire à deux reprises en 2010 et 2015 sur les impacts négatifs de cet accord. Pour ce qui concerne l’OMC, le processus d’adhésion est en panne.

La politique de change actuelle ne peut jouer pleinement son rôle en matière d’ajustement conduisant à une monnaie surévaluée et à une perte de compétitivité extérieure.

Plusieurs raisons à cela, notamment des facteurs institutionnels (le rôle de « market maker » de la BA sur le marché des devises constituant ainsi facteur de blocage pour le développement de ce dernier et le caractère flou du cadre réglementaire relatif au principe de la libre convertibilité des paiements et transferts afférents aux transactions internationales courantes, une certaine rigidité du régime de flottement dirigé), des facteurs structurels (un secteur financier réprimé et faiblement intégré au système financier international et in fine un accès limité aux emprunts internationaux) et des facteurs macroéconomiques (absence de politiques budgétaire et structurelles de soutien). Ces contraintes se lisent à travers un certain nombre de distorsions, notamment :

(1) l’existence d’un marché parallèle de change profond en plein boom pétrolier (2000-2014) qui a généré $800 milliards de recettes d’exportation du pétrole et d’accumuler des réserves de change significatives qui ont atteint 198 milliards de dollars en 2014 (5 ans d’importations de biens et services). Encore plus étonnant, la profondeur de ce marché parallèle ($5 milliards de dollars) et la persistance d’une prime de 20-25 %. Cette dualité de marché des changes ne peut s’expliquer que par le maintien – inexpliqué et inexplicable- de certaines restrictions pour les ménages, le développement considérable de la fraude fiscale, la surfacturation des importations et la sous facturation des exportations et l’absence de politiques macroéconomiques appropriées. Depuis le choc pétrolier de 2014, le marché parallèle a repris du souffle avec un volume de transactions en hausse (environ 6-8 milliard de dollars beaucoup moins depuis la fin 2019) et une prime qui se situe aujourd’hui à environ 50% alors que les réserves de change sont de 53,5 milliards de dollars à fin juin 2020 (14 mois d’importations) ; (iv) une crise de change en 2022 n’est pas à écarter compte tenu du niveau des réserves actuelles et des projections de recettes et de dépenses en devises étrangères du pays, environ  $44 milliards de dollars à fin 2020 et $24 milliards à fin 2021, un niveau inadéquat pour couvrir les besoins de notre économie en 2022;

(2)  une monnaie nationale surévaluée et une economie non compétitive : le déficit de la balance courante a doublé entre 2014 et 2019 pour atteindre 9,9 % du PIB et devrait se creuser davantage pour se situer à environ 16,3%  du PIB en 2020 en raison du double choc sanitaire et pétrolier de mars 2020. Pendant la même période, le dinar s’est déprécié de 37% par rapport au dollar, contribuant à amortir l’impact de la baisse des prix du pétrole. En outre, le taux de change effectif réel ne s’est déprécié que de 7% en raison d’une inflation plus élevée en Algérie que chez ses partenaires commerciaux. À fin juin 2020, les taux de change effectifs nominaux et réels se sont dépréciés (de 20.7 % et 11,6 %, respectivement), reflétant principalement les mouvements du dollar par rapport aux devises des principaux partenaires commerciaux. En dépit de la dépréciation, le taux de change du DA reste surévalué et le déficit du compte courant est loin de sa norme en 2019 et davantage plus loin en 2020, indiquant une surévaluation significative du TCER d’environ 40-50%.

Propositions de réformes de la politique de change et de la politique commerciale pour sortir de la récession et relancer l’economie nationale.  

Trois volets de reformes :

(1) Le volet de la politique de change : alors que de nombreux éléments fondamentaux tels que les termes de l’échange sont exogènes à une petite économie ouverte comme celle de l’Algérie, d’autres facteurs comme les dépenses publiques et le niveau de protection des importations peuvent être influencés par des politiques publiques bien ciblées. Tout d’abord, les politiques macroéconomiques devraient viser à soutenir la compétitivité extérieure et à éviter les fluctuations du taux de change réel et la surévaluation réelle. Dans ce contexte, les mesures suivantes sont à considérer : (1) maintien par la BA de sa politique de ciblage du taux de change effectif réel en ligne avec son niveau d’équilibre. Il sera important toutefois que la BA développe sa capacité à suivre l’évolution de la compétitivité par rapport à ses principaux concurrents concernant les exportations hors hydrocarbures ; (2)  poursuite par la BA de la dépréciation nominale du dinar de façon progressive pour corriger la surévaluation tout en contenant les pressions inflationnistes à court terme : (3) reprise en main des finances publiques sur le plan des recettes mais également du côté des depenses budgétaires (courantes et en capital) afin de contenir la demande publique et alléger les pressions sur le taux de change ; et (4) mise en œuvre de mesures structurelles pour renforcer et élargir l’offre globale ;

(2) Le volet de la politique commerciale : les mesures suivantes sont à considérer: (1) ouverture progressive de l’économie pour engranger des gains de productivité et faciliter la diversification ; (2) discussion avec l’UE au sujet de l’absolue nécessité de réaménager l’AAUE (après avoir adopté une stratégie de baisse progressive des barrières tarifaires et non tarifaires) ; (3) mise en place d’incitations à l’investissement plus neutres pour encourager la diversification des exportations ; (4) accélération des discussions pour une adhésion à l’OMC ; (5) Prise de mesures pour attirer les IDE, notamment une révision de la loi «49/51» (au-delà de ce qui a été considéré dans le contexte de la LFC 2020), pour limiter son application aux secteurs stratégiques, tout en ouvrant les secteurs non stratégiques aux investissements étrangers. Par ailleurs, des réformes structurelles ambitieuses sont nécessaires pour améliorer le climat des affaires. Des politiques appropriées et ambitieuses sont également nécessaires pour favoriser l’innovation au-delà de ce qui se fait aujourd’hui en matière de start ups. L’environnement institutionnel devrait être rendu plus favorable pour les institutions qui peuvent financer l’innovation ;

(3) Le volet de l’unification des marchés officiel et parallèle de change : Une démarche globale est indispensable. L’existence du marché parallèle pose de sérieux problèmes de gestion macroéconomique et représente un obstacle majeur à une meilleure gouvernance économique et à une relance de l’economie sur des bases saines et inclusives. Pour mettre fin à la dualité du marché des changes en Algérie, les autorités sont encouragées à articuler un programme de réformes générales qui incluraient la réforme du marché de la devise et qui serait étalé sur le long terme. Ce programme s’articulerait autour de 3 grands axes : (i) un premier axe à court terme visant la réduction de l’écart entre le taux officiel et le taux parallèle ; (ii) un second axe sur le moyen terme pour renforcer le fonctionnement du marché officiel de change ; (iii) un troisième axe est d’assécher les sources d’offre du marché parallèle ; et (iv) un quatrième axe à long terme visant à l’unification à terme des deux marchés par le biais d’une libéralisation du compte capital de la balance des paiements pour faire bénéficier le pays d’entrées de ressources extérieures.

Abdelrahmi Bessaha