Les associations patronales ont réussi, au cours de l’année 2015, à imprimer leur rythme à la vie publique nationale. Elles ont aussi réussi à ériger leurs préoccupations en enjeux politiques stratégiques.
L’année 2015 aura été, par excellence, l’année des «patrons». Partout présents, ceux-ci ont participé à tous les débats économiques ayant traversé le pays. Massivement. Evoluant jusque- là en vase clos, ils ne faisaient que quelques apparitions à l’occasion de la rencontre annuelle tripartite ou d’autres rencontres thématiques qu’organisent les associations patronales. Mais, durant l’année 2015, ils ont décidé de s’approprier le terrain et le pari a été gagné.
En effet, juste après la création par Abdelwahab Rahim, patron d’Arcofina de l’Union nationale des investisseurs, organisation qui s’est distinguée dès sa création par ses propositions très libérales et visant à mettre fin au financement de l’économie par l’argent du pétrole ainsi que par l’idée d’une implantation sur tout le territoire national pour mener un travail de pédagogie entrepreneuriale à l’endroit de la population, le Forum des chefs d’entreprise, alors managé par Réda Hamiani, lui a vite emboîté le pas et décidé de faire sa mue. Et c’est l’élection en 2014 d’Ali Haddad, patron de l’Etrhb, à la tête du FCE qui va marquer un grand virage dans l’histoire du patronat algérien. Ali Haddad, troisième fortune privée algérienne après Issad Rebrab et Djilali Mehri, était méconnu du grand public jusque-là. Homme d’affaires plutôt discret, c’était son groupe qui défrayait par contre la chronique. Mais, à peine élu à la tête du FCE et investi de la mission de faire de cette organisation patronale un vrai instrument de défense de l’entreprise et de promotion de l’économie, il s’est mis sur plusieurs fronts: élargissement de la base sociale du FCE, implantation de bureaux d’associations dans toutes les wilayas et à l’étranger, mise en place d’un plan émergence Algérie 2030, élaboration d’un plaidoyer de 50 propositions en faveur de l’économie productive, lobbying auprès du gouvernement algérien et des chancelleries étrangères, etc. En gros, le FCE a voulu se transformer en une vraie machine d’accélération de transition vers une économie de marché qui, depuis la chute brutale des prix du pétrole, s’imposait comme un choix inéluctable pour l’Algérie.
L’impératif d’en finir avec la dépendance aux hydrocarbures est le leitmotiv de tous les discours d’Ali Haddad. Mais, contrairement aux années précédentes où la rhétorique réformiste prenait largement le dessus sur les politiques mises en oeuvre sur le terrain, l’année 2015 s’est caractérisée, crise oblige, par la volonté politique affichée par le gouvernement. Plusieurs questions, qui étaient taboues, sont désormais abordées sans complexe: ouverture de tous les secteurs à l’investissement privé, réductions des subventions, création de banques privées, investissement à l’international, financement par le biais des marchés financiers, y compris étrangers, etc. Ces questions ont fait, durant l’année 2015, l’objet d’un débat très fructueux et, ce, dans tous les milieux.
«Les débats du FCE» ainsi que les autres forums mis en place, notamment l’initiative Cercle d’action et de réflexion autour de l’entreprise (Care) drivée par Slim Othmani ainsi que les activités de la Chambre algérienne de commerce et d’industrie (Caci), ont apporté beaucoup de punch aux débats sur l’économie du pays.
Les quelques acquis arrachés par le patronat, notamment la réduction de la TAP et de l’IBS, la dépénalisation de l’acte de gestion, ont également contribué à redonner confiance aux patrons en les confortant dans leur conviction que «l’entreprise doit être au coeur de toutes les politiques économiques».
Jamais les questions économiques n’ont occupé autant de place dans les médias, au sein des institutions et dans la société. Le mot «entreprise» est devenu, pour nombre d’Algériens, «le sésame de l’avenir».
La culture entrepreneuriale qui fait défaut aux Algériens, a enfin repris droit de cité. Beaucoup de jeunes voient désormais leur réussite possible dans l’entreprise. Et la preuve est à la fois le nombre de plus en plus important de PME qui se créent et le succès tonitruant de la section jeunesse mise en place par le FCE, à savoir Jil’FCE, que dirige Toufik Lerari, jeune patron d’Allégorie, boîte spécialisée en conseil et en communication, qui en trois mois seulement totalise déjà plus de 500 adhérents. De plus, «les succès stories» se colportent comme des blagues et tout le monde, y compris les simples ouvriers, se les raconte. Les noms d’Ali Haddad, Slim Othmani, Hassan Khelifati, Omar Ramdane, Mourad Oulmi, Mohamed Laïd Benamor, Ramdane Battouche, Mahieddine Tahkout, Abdelwahab Rahim, etc., sont sur toutes les lèvres. Le recentrage de l’intérêt national sur les questions économiques est aujourd’hui une réalité. Les acteurs économiques ne sont pas tous d’accord sur les priorités, encore moins sur les démarches du gouvernement, mais chacun, à sa manière, contribue à faire de l’entreprise la plaque tournante de tout projet de développement. Et si, pour l’heure, la maturité des dynamiques entrepreneuriales n’a pas encore été atteinte pour parler de l’année de l’entreprise, le patronat a fait suffisamment parler de lui pour oser qualifier l’année 2015 de «l’année des patrons».