Des importateurs qui vaquent «tranquillement» à leurs oc cupations, des grossistes non astreints au chèque et revendeurs dégagés des rues qui cachent l’iceberg de l’informel. Et la mise en public d’un sujet à initiés : les réserves d’hydrocarbures baissent et déclinent. Le gaz de schiste est vu comme l’option du salut.
LES IMPORTATEURS SONT TRANQUILLES
«Dites-moi où est-ce que ça cale?». C’est la phrase la plus pertinente dite en 2012 quand on cherche à esquisser un bilan qui débute, classiquement mais pertinemment, par l’économie. La phrase, un mélange de constat et de désarroi, a été lancée par Abdelmalek Sellal, en direction de patrons algériens. Privés, bien sûr.
Ce n’est pas seulement une question de style – la différence entre Sellal et Ouyahia est évidente – mais un doute, enfin, ouvertement exprimé que les bilans roses et globaux sont très relatifs. En 2012, on a eu, une fois de plus, la confirmation que les dépenses faramineuses en Algérie ne créent pas beaucoup de croissance.
Le FMI qui se table en général sur les données officielles chiffre la croissance en 2012 à 2,5%… L’Algérie stagne puisqu’en 2011, la croissance a été pratiquement la même : 2,4%. Où est-ce que ça cale, est donc la bonne question 2012.
Les patrons privés ont leurs idées. Ils ciblent en priorité la bureaucratie et les banques publiques qui ne joueraient pas le jeu… Mais dans l’année à ça cale encore, les privés, en général défendus par les médias, ont reçu, une fois n’est pas coutume, une vive réplique des banquiers publics.
Ce n’est pas à cause de nous que «ça cale», a dit Abderrezak Trabelsi, président de l’Association des banques et établissements financiers (ABEF), en évoquant un «mauvais procès».
Chiffres à l’appui, il affirme que le tournant a été pris depuis 2005 et que les crédits au secteur privé sont supérieurs à ceux accordés aux entreprises publiques, avec respectivement 1.982 milliards de dinars et 1.742 milliards jusqu’à fin 2011. 53% sont ainsi destinés au secteur privé.
Au passage, il a expliqué que les demandes de financement des privés ne portent pas le plus souvent pour l’investissement productif… mais pour des opérations commerciales. La boucle est ainsi bouclée. Le privé n’est pas vraiment l’antithèse ou l’alternative au secteur public.
La vraie ligne de démarcation est bien entre producteurs et importateurs… Nul ne conteste que l’Algérie ait besoin d’importer. Le problème est qu’il existe une sorte d’hégémonie des importateurs qui oeuvrent à maintenir l’Algérie dans ce statut. Ces importateurs sont, de manière diffuse, au pouvoir. Même l’imposition du Credoc a fini par ne gêner que les producteurs, pas les importateurs.
Les chiffres du commerce extérieur l’attestent. Et ce sera le cas tant que les politiques publiques ne créent pas une discrimination positive en faveur des producteurs. A fin 2012, il est encore plus rentable d’importer que de produire. On sait, globalement, où «ça cale» pour l’économie. On sait aussi pourquoi. Le mystère est que des politiques présumées de «nationalisme économique» entretiennent la situation.
On parle beaucoup d’améliorer le «climat des affaires » en pensant aux opérateurs étrangers. En réalité, c’est le climat des affaires pour les producteurs nationaux et les Algériens qui investissent dans la production industrielle qui a besoin d’être amélioré. Encore faut-il oser s’attaquer aux situations de rente qui profitent aux puissants importateurs…
LE VENDEUR À LA SAUVETTE, FACE CACHÉE DE L’ICEBERG INFORMEL
Au dernier trimestre de l’année, après l’arrivée de Sellal, les autorités ont engagé une action spectaculaire pour faire dégager les rues des villes envahies par les vendeurs à la sauvette. Dans de nombreux quartiers devenus presque inaccessibles pour leurs habitants, cela a été le soulagement.
Mais si les autorités ont marqué des «points» en termes d’image après des années d’attentisme, la plupart des analystes restent dubitatifs. Le démantèlement des souks sauvages en fin 2012 illustre un retour d’assurance des autorités après le repli qu’elles ont effectué après les émeutes de janvier 2011.
On observe d’ailleurs que les opérations de démantèlement des souks informels sont devenues moins soutenues, la priorité étant donnée à la nécessité de trouver des solutions de rechange aux revendeurs informels mis au chômage.
Mais surtout, cette nouvelle action n’efface pas la défaite éclatante – et reconnue – du gouvernement en 2011 devant les «gros» de l’informel. Cette retraite a consisté en un nouveau renoncement – le second en quelques années – à faire appliquer une mesure imposant de recourir aux chèques pour les transactions commerciales supérieurs à 500.000 dinars.
C’était, à juste titre, la vraie mesure anti-informel, une action autrement plus significative même si elle est moins «visible» que le «dégagement » des petits revendeurs ! La mesure qui devait entrer en vigueur le 1er avril 2011, une date «poissonnière !», a été très officiellement renvoyée aux calendes grecques par un historique Conseil des ministres tenu en février. En 2012, le gouvernement ne songe même pas à en parler. Il est très improbable qu’il en soit autrement en 2013.
Les grossistes et les importateurs sont des acteurs autrement plus puissants et pèsent lourdement sur le circuit de distribution et le pouvoir, où ils ont leurs entrées, ne peut se permettre de l’ignorer. On fait dégager les rues, c’est toujours bien pour la façade. La lutte contre l’informel, le vrai, le sérieux, le dangereux, attendra. Pas besoin de sortir son chéquier pour savoir «où» est-ce que ça cale, la lutte contre l’informel.
Salem Ferdi