20000 cancéreux privés de soins : Le Val-de-Grâce pour les uns, le cimetière pour les autres

20000 cancéreux privés de soins : Le Val-de-Grâce pour les uns, le cimetière pour les autres

Le professeur Kamel Bouzid, chef de service d’oncologie médicale du Centre Pierre et Marie Curie d’Alger, est en colère. Très en colère. Et il le fait savoir lundi 10 octobre sur les ondes de radio nationale chaine 3 en affirmant que 20 000 cancéreux algériens meurent chaque année faute de soins en Algérie. Alors que les équipements font défaut, le ministre du Travail et de la Protection sociale leur refusent des soins à l’étranger. En revanche, les pontes du système peuvent se faire soigner au Val de Grâce, à Paris.

« Sur les 44000 nouveaux cas de cancer par an, 28000 ont besoin de traitement par chimiothérapie. Or seulement 8000 sont pris en charge, les autres meurent car les structures, les équipements et les médicaments font défaut, » révèle le professeur Bouzid, une autorité en matière de traitement du cancer connue et reconnue depuis une vingtaine d’années.

« Et cette situation n’est pas nouvelle », ajoute-t-t-il. Elle perdure depuis au moins une dizaine d’années et elle devrait durer jusqu’en 2014 date à laquelle de nouveaux centres seront fonctionnels.

Situation calamiteuse

Interrogé sur le centre de radiothérapie du CPMC de l’hôpital Mustapha Bacha fermé pour travaux, le professeur a eu des mots cinglants.

Kamel Bouzid : « La situation est calamiteuse et cela ne date pas d’hier. Elle date de plusieurs mois, pour ne pas dire de plusieurs années. Et je vous confirme que même s’il n’est pas à l’arrêt pour des raisons liées à la maintenance de certains appareils, en particulier les simulateurs, les rendez-vous de radiothérapie sont fixés au mois de juin 2012 pour des malades qui se présentent maintenant.»

Quid des délais de traitement? Le professeur est encore plus cinglant.

« Les centrages sont faits, c’est vrai, mais les malades ne subissent leurs traitements que dans des délais totalement inacceptables d’un point de vue médical. D’un point de vue cancérologique. A la limite, on se demande si un traitement fait 6 mois après la chirurgie ou le traitement médical est réellement indiqué. Les délais de traitement sont totalement inacceptables d’un point de vue médical. »

Plusieurs centres de radiothérapie à travers le pays, à l’exception de celui de Blida, sont concernés par cette situation qualifiée par le professeur de « lamentable ».

Pourquoi une telle calamité ? Le professeur affirme que les médecins spécialistes en cancérologie n’ont eu de cesse de dénoncer la situation.

« Elle est due au défaut d’équipements, explique-t-il. Le problème a été soulevé au niveau des autorités. Il a été pris en compte puisque le ministre de la Santé et le président de la République ont engagé un plan d’acquisition d’équipements, mais ce plan ne sera comblé qu’en 2014. Le ministre a annoncé l’acquisition de 57 accélérateurs. Entre temps, il y a des milliers de patients qui n’auront pas leurs traitements de thérapie dans des délais raisonnables. »

Des équipements ont été acquits à coups de millions de dollars, mais ils ne sont pas encore fonctionnels.

Des médecins qui pleurent tous les jours

« La radiothérapie n’est pas accessible aux Algériens contrairement aux directives du président de la République lorsqu’il a auditionné le ministre de la Santé. Il a dit que les Algériens doivent être égaux dans les soins et que le cancer est une priorité nationale », s’offusque Kamel Bouzid.

« Je connais des médecins de radiothérapie qui pleurent tous les jours en apprenant la mort de leur patients qui attendaient un traitement qui n’arrivait pas, » dira Kamel Bouzid.

Or ajoute-t-il, donner un rendez-vous pour juin 2012 pour un cancer du rectum ou un cancer de l’utérus qui saigne est « une fumisterie ». « Il vaut mieux dire : ‘on ne peut pas vous traiter, on n’a pas les moyens, on ne peut pas’ », s’indigne le professeur.

Le ministère du Travail dit niet aux soins à l’étranger

Pourquoi ne pas envoyer ces malades pour des soins à l’étranger? « Le ministère du Travail dit que ce problème ne concerne pas. Avant 1994, les cancéreux étaient pris en charge à l’étranger », souligne le professeur. Le ministère du Travail et de la protection sociale oppose son véto au transfèrement des malades vers l’étranger au motif que les soins sont déjà disponibles en Algérie.

Kamel Bouzid révélera aussi que les pénuries de médicaments pour le traitement du cancer sont chroniques.

« En 2010, j’ai commande 32 000 flacons pour mon service au CPMC, la pharmacie n’en a commandé que 10 000. Cela ne peut pas marcher comme ça, » dira Kamel Bouzid.

Les dirigeants eux se soignent au Val-de-Grâce

Comment peut-on laisser des malades mourir alors que depuis l’arrivée au pouvoir du président Bouteflika l’Etat algérien a dépensé des milliards de dollars dans le cadre de la politique de santé?

A quoi servent les multiples auditions du ministre de la Santé si celui-ci n’est pas en mesure de garantir des soins adéquats à des milliers de cancéreux ?

Comment peut-on refuser à des Algériens souffrant de pathologies graves et lourdes des soins à l’étranger alors que leurs dirigeants, président, ministres et hauts gradés de l’armée, se font soigner au Val de Grâce, à l’hôpital américain de Paris, en Espagne ou en Suisse avec l’argent du contribuable ?