Lorsqu’un jour, le peuple aspire à vivre, le destin se doit de répondre…La Tunisie aux urnes ! Et les Tunisiens dont on disait qu’à force de courber l’échine, ne pourraient jamais se relever, effectuent en ce dimanche 23 octobre 2011-une date à retenir- leur meilleur réveil.
Dès le matin, 08 heures passées de quelques minutes, ils sont, comme prévu, des centaines de personnes formant des files interminables qui rejoignent les bureaux de vote, pour élire l’Assemblée constituante. Ils s’en donnent à cœur joie. Par ce premier scrutin libre de l’histoire du pays, les Tunisiens veulent tourner définitivement la page de Ben Ali chassé en janvier par une révolution populaire après 23 ans d’un règne sans partage. « C’est ma première…» Comme si les mots lui échappent, Moncef, la cinquantaine consommée, rencontré à la rue de Paris espère «voir renaître la Tunisie, celle qui nous panse la plaie toujours cicatrisante d’un passé vécu sous un système dictatorial qui a fait de nous des sous-citoyens». Certes, les Tunisiens ont trop souffert, notamment durant la dernière décennie qui a vu le système Ben Ali se refermer comme une huître pour finir dans l’autisme, la paranoïa et la corruption. On presse le pas et notre première station est, le choix fait, un quartier populaire : centre Sidi Ali Azzouz sis au cœur d’El Madina. « Tout se passe dans l’ordre», dit, souriant, le chef du centre qui nous souhaite la bienvenue. A l’intérieur c’est un cocktail de générations. « Je n’ai pas fermé l’œil toute la nuit tellement je suis contente de voter pour la première fois de ma vie. Je suis ici pour donner ma voix à la Tunisie et à l’avenir», fait savoir Selwa, interprète de formation.
« I have a dream »
L’ambiance bon enfant qui règne en cette matinée annonce que la Tunisie offre au monde un bouquet de fleurs, de liberté et de dignité. «On veut élire cette assemblée pour signer l’acte de naissance de notre pays », philosophe Hosni. « I have a dream »… Les autres électeurs attendent avec impatience leur tour. Au milieu de la cour de cette école primaire, une image insolite a attiré notre attention: se saluant les uns les autres, militaires et citoyens, souriants, discutent librement et évoquent l’«avenir de la Tunisie». Que de chemin parcouru, contre vents et marées, presque seuls, les Tunisiens sont, sous l’œil agréablement surpris du monde entier, enfin aux urnes. S’il s’agissait d’un scénario de film, il aurait pour titre : «Mission impossible». Qui l’eût cru ? Seulement dix mois après la chute du tout-puissant Ben Ali, les Tunisiens, après avoir réussi leur révolution, votent en toute liberté et sans pression. Quelques minutes plus tard, on se retrouve à la rue de Rome. Excepté les cafétérias et restaurants, tous les autres commerces ont baissé rideau. Et pour accéder au centre Bourguiba, des électeurs, qui jubilent « ces moments éternels », jouent des coudes. Un entrelacs indescriptible de compor- tements inédits, tellement naturels et jusqu’ici cantonnés aux limites du raisonnable. Les approchant, plusieurs ont même dévoilé leur parti auquel ils font confiance : «On votera pour Ennahda». Mais l’annonce officielle des résultats ne se fera qu’aujourd’hui ou demain. On est loin de chanter victoire. Contente de se rendre aux urnes, Najat, une adolescente pleine de décontraction, accompagnée de son papa, n’a pas trouvé mieux que de dire « I have a dream »…et le rêve s’est réalisé. Les élections représentent donc le dernier, et le plus important, test de la transition tunisienne. Un examen de passage indispensable, véritable étalon d’une démocratie naissante. 9 heures tapantes. Deux voitures noires stationnent à l’intérieur du centre.

Carnets à la main, des observateurs, de toutes nationalités, notent les moindres détails. Des lacunes ? « Everything is good (tout est bien)». C’est aussi l’avis de Soobhany Aboo Twaleeb, consultant venant des îles Maurice. «C’est très calme», résume-t-il. Mais ce n’est pas un sans-faute, puisque certains observateurs, à l’instar de Rahma et Akram Abdellawi, des Tunisiens, ont relevé notamment la difficulté trouvée par les personnes aux besoins spécifiques. « Cette frange n’a pas l’accès facile», déplore la Tunisoise. Une affluence record a été enregistrée au centre de la cité El Omrane comme dans l’ensemble des centres visités. Plus de 7 millions d’électeurs étaient appelés à élire les 217 membres d’une Assemblée constituante qui devra rédiger une nouvelle constitution et désigner un exécutif, lequel gouvernera jusqu’aux prochaines élections. N’étant qu’une simple formalité électorale sous le règne de Zine El-Abidine Ben Ali, constamment réélu avec des scores défiant l’imagination (99,91% en 1994), l’acte de voter est aujourd’hui un fait inédit. C’est une instance électorale (ISIE) totalement indépendante de l’exécutif qui a piloté tout le processus électoral, à la place du ministère de l’Intérieur. Comme l’écrivait le poète Abu El Kacem Chebbi, grand pourfendeur des « tyrans du monde » : Lorsqu’un jour, le peuple aspire à vivre, le destin se doit de répondre…
F. I.
SELON L’ISIE : «Les résultats officiels du vote seront annoncés demain»
Les résultats « officiels » de l’élection de l’assemblée constituante dimanche en Tunisie « seront annoncés mardi (demain ndlr) », a déclaré le président de la commission électorale indépendante (Isie) Kamel Jendoubi. « On va essayer d’avoir des résultats dès lundi mais les résultats officiels seront annoncés mardi après-midi lors d’une conférence de presse », a-t-il déclaré lors d’un point de presse à Tunis. L’Isie avait initialement prévu de donner des résultats lundi après-midi. Mais l’affluence des électeurs, qui continuaient à arriver dans les bureaux de vote une heure et demi avant la clôture (prévue à 19H00, 18H00 GMT), et quelques dysfonctionnements logistiques pourraient retarder les opérations de dépouillement. « On fera de notre mieux. Les gens se sont déplacés massivement. C’est un énorme travail qui nous attend encore », a déclaré Souad Triki, la vice-présidente de l’Isie. Le taux de participation à ce scrutin historique, neuf mois après la révolution qui a chassé Ben Ali du pouvoir, « s’approche de 70% », avait déclaré peu auparavant M. Jendoubi.
Le Président tunisien par intérim Mbazaa annonce son retrait de la vie politique
Le président intérimaire tunisien Foued Mbazaa annonce son « retrait définitif de la vie politique » dès la désignation d’un nouveau président par l’assemblée élue hier, rapporte la presse tunisienne. « Je reconnaîtrai les résultats (des élections) quel que soit le vainqueur et quelle que soit la couleur de la majorité (dans la future assemblée). Je remettrai le pouvoir à celui qu’aura désigné l’Assemblée constituante comme nouveau président de la République », a-t-il déclaré dans un entretien à paraître dans l’édition dominicale du quotidien arabophone Assabah.
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Le mode de scrutin adopté
La proportionnelle “au plus fort”
Le mode de scrutin adopté pour les élections de l’Assemblée nationale constituante est le scrutin de listes à la proportionnelle au plus fort reste qu’une bonne partie d’électeurs interrogés ignorent son fondement. Ces élections sont organisées en vertu d’un décret-loi adopté en avril dernier par la Haute Instance pour la réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique. Contrairement au scrutin majoritaire, qui attribue les sièges aux candidats ayant obtenu le plus de voix, ce mode d’élections les répartit selon le nombre de voix recueillies par toutes les listes recevant plus de 5% des suffrages exprimés. C’est « le quotient électoral », explique Nadjib Brarhi, enseignant universitaire. Pour lui, c’est le mode le plus juste, mais le plus compliqué ». Cas de figure : la circonscription Tunis 1 compte 192 081 électeurs inscrits pour 9 sièges, soit un quotient prévu de 21 342. Si une liste obtient trois fois ce quotient, précise notre interlocuteur, trois sièges lui seront attribués. Idem pour toutes les listes rassemblant plus de 21 342 voix. Ce premier calcul effectué, enchaine M. Brarhi, vient ensuite l’attribution des sièges restants.
Résumant la situation, l’universitaire indique qu’en Tunisie, la technique du « plus fort reste » a été préférée à celle de la « plus forte moyenne ». Ce mode de scrutin majoritaire consiste essentiellement en un découpage en circonscriptions, en Nombre d’élus. Le nombre d’élus par circonscription varie en fonction du nombre de la population par circonscription. « Plus la circonscription est grande plus le nombre d’élus est important », ajoute notre vis-à-vis. Il est à noter que 217 est le nombre total des sièges à pourvoir au sein de la Constituante répartis sur les circonscriptions électorales selon la proportionnelle: 1 siège en moyenne pour chaque 60000 habitants. Les 217 sièges sont répartis comme suit: 18 sièges pour les circonscriptions électorales à l’étranger et 199 sièges pour les circonscriptions électorales en Tunisie.
F.I.
Alors qu’il accomplissait son devoir électoral
Rached Ghanouchi chahuté
Le leader du parti Ennahda, donné comme favori par les pronostics, s’est rendu au Centre El Menzah 6 pour accomplir, comme tous les Tunisiens, son devoir: voter pour la Tunisie nouvelle. Cette formalité a pris beaucoup plus de temps que prévu. Arrivé au centre, le chef de cette formation Ennahda, mouvance islamiste, a été chahuté par des dizaines d’électeurs issus des autres partis. Les fameux « Dégage » et « Personne n’a besoin de vous » ont refait surface. Comme réponse à ces chahuts, Ghanouchi, très confiant, promet aux Tunisiens « une grande fête ».
F.I.
Ils sont en Tunisie depuis quelques jours
Les observateurs étrangers impressionnés par le déroulement du scrutin
La délégation d’observateurs composée de M. Cassam Uteem, ancien président de l’île Maurice, de M. John Hardman, président du Centre Carter, et de Mme Rosalynne Carter, militante des droits de l’homme, a été présente hier matin à l’ouverture des bureaux de vote. Dans une déclaration faite à la presse, M. Hardman a indiqué être «heureux de vivre ce grand événement en Tunisie », pour lequel, dit-il, « nous avons déployé 70 observateurs ». Dans la foulée, il a souligné : « Notre première impression est de constater l’excitation des Tunisiens qui profitent, pour la première fois, de leur droit d’exprimer leurs opinions politiques. » Unanimes, les observateurs relevant de cette mission d’observation électorale qui se sont déplacés dans deux bureaux de vote se disent « contents » de la manière dont cette opération de vote se déroule, et « impressionnés » par l’organisation de cet événement. « Nous avons ressenti un engouement de la part des hommes et des femmes, qui s’apprêtent à voter dans la bonne humeur », a déclaré M. Uteem, l’un des représentants du Centre Carter. Et d’ajouter : « C’est non seulement un jour de vote, mais aussi un jour de fête. » Il a également noté qu’habituellement, l’affluence aux centres de vote se fait d’une manière progressive, mais cette fois les électeurs s’y sont précipités dès l’ouverture des bureaux.
F. I.
Assemblée constituante
La 1re réunion prévu le 9 novembre
L’Assemblée nationale constituante, élue hier par les Tunisiens, tiendra sa première réunion par décret du Président de la République après la proclamation des résultats du scrutin. « La première réunion de la constituante aurait probablement lieu le 9 novembre 2011, après examen par le tribunal administratif des recours relatifs aux résultats des élections », a fait savoir K. Said, professeur de droit constitutionnel, sur la désignation du président de l’Assemblée. L’ordre du jour de cette première réunion sera axé, explique-t-il, conformément aux normes internationales. Le doyen d’âge de l’Assemblée nationale, assisté des deux plus jeunes, présidera la première séance qui sera consacrée à l’élection du président, des deux vice-présidents et du bureau de l’Assemblée, ainsi qu’à la formation des commissio
Ils ont dit…
Fouad Mbazaa, Président intérimaire :
« Je ressens beaucoup de fierté »
« Le peuple tunisien qui a réalisé beaucoup de miracles tout au long de son histoire va construire une vraie démocratie », a déclaré hier le président intérimaire Fouad Mbazaa, qui a voté à Carthage, près de Tunis.
Béji Caïd Essebsi, Premier ministre de transition :
« C’est un jour historique »
Le Premier ministre de transition Béji Caïd Essebsi a voté à La Soukra, dans le nord de Tunis. « C’est un jour historique sans pareil. En ce jour, le peuple tunisien exerce sa souveraineté (…) Je ne suis qu’un citoyen comme les autres, parmi les autres. Je suis désormais ex-Premier ministre ! » dit M. Caïd Essebsi, dont le gouvernement gère le pays depuis huit mois. Et d’ajouter : « J’ai donné ma voix au peuple tunisien .»
Yadh Ben Achour, président de la Haute instance chargée de piloter les réformes politiques :
« Mes impressions sont très positives »
M. Yadh Ben Achour, qui a présidé la Haute instance chargée de piloter les réformes politiques pendant la période de transition en Tunisie, a voté à La Marsa : « Mes impressions sont très positives et excellentes. Dès le début de l’ouverture des bureaux et même avant, le nombre de votants était impressionnant. Cela dépasse ce que nous attendions. Les Tunisiens sont conscients que ça représente pour eux une page nouvelle de leur histoire. C’est très émouvant. »
Noureddine, handicapé moteur rencontré dans un bureau de vote :
« Il nous faut des gens honnêtes »
Il a pour prénom Nourredine, père de trois enfants. Agé de 53 ans et originaire de Tunis, il est handicapé moteur depuis quelques années. Un handicap qui l’empêche de faire tout ce qu’il désire, mais « pas de voter ». Le seul handicap est tout ce temps qu’on a vécu sous les anciens régimes. Désormais, espère-t-il, un avenir meilleur attend la Tunisie nouvelle. Souriant, « de nature », dit-il, ce quinquagénaire croit au changement. Les têtes de liste n’attirent pas trop son attention. « Il nous faut des gens honnêtes qui permettront à notre pays de se mettre, une fois pour toutes, debout. » Mais son attente de voter « pour la première fois » tarde encore. Simplement, il s’est trompé de bureau de vote. Orienté, il est allé à la bonne adresse.
El hadja Zwina vote pour la première fois :
« Que la justice triomphe ! »
Originaire d’El-Madina, El hadja Zwina qui porte haut ses 78 ans est émue. Assise sur une chaise, elle attend, comme tout un chacun, son tour. « Inchallah, ca sera la justice qui triomphera », dit-elle. Optimiste ou pas ? « Aujourd’hui (hier, NDLR), je suis doublement contente : voter et être accompagnée par son neveu, lui aussi a hâte d’accomplir son devoir. » Le fait de se retrouver seule à l’urne, sans pression ni manipulation aucune est, pour elle, un évènement qui sera gravé dans sa mémoire.