Après l’échec des réformes introduites en 1936 par le Front Populaire, connues sous le nom de Blum-Viollette, du nom des ses initiateurs, qui, en fait, ne visaient, à travers l’intégration d’une partie de l’élite, que la discrimination et la division des populations, le fossé entre Algériens et Européens ne cessera de se creuser.
Aux plans social et économique, les chiffres parlent d’une domination sans partage de ces derniers sur l’économie, l’industrie et l’administration avec une concentration de la terre aux mains des colons qui ne sont pourtant que 980.000 contre 8.700.000 autochtones à la veille du 1er novembre. Les Algériens finiront donc par comprendre que la seule voie pour en finir avec la colonisation qui fait d’eux des indigènes est la lutte armée.
« Les révoltes populaires qui se sont déclenchées dès 1830 ont fini par s’estomper, il est temps alors de passer à un mouvement national », disaient les militants de l’époque. Ni discours sur l’intégration ni réformes ne sont à même de faire des Algériens des citoyens à part entière. C’est une prise de conscience à grande échelle, surtout après le lourd tribut payé par les populations dans les tristement célèbres massacres du 8 mai 45. Autre argument qui milita pour l’action armée : les déchirements et dissensions de la classe politique qui subissait en plus la pression de l’administration.
La crise des partis nationalistes du PPA (Parti du peuple algérien), MTLD (Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques) ne pouvait être dépassée qu’à travers une mobilisation autour de l’action armée. Les membres de l’Organisation spéciale (OS), très actifs mais contraints à la clandestinité, n’ont pas réussi à résoudre le conflit entre centralistes et messalistes du MTLD ; les centralistes se sont retirés du Comité révolutionnaire pour l’unité et l’action (CRUA).
Les anciens de l’OS sont convoqués pour une réunion à Alger en vue d’étudier la situation et de dégager une position claire autour de la lutte armée. C’est la fameuse réunion des 22. Les militants furent contactés, la préparation matérielle de la réunion est prise en charge par Mustapha Benboulaïd et Didouche Mourad. La rencontre eut lieu le 25 juin 1954 à Alger et fut présidée par Mustapha Benboulaïd.
Des représentants de toutes les régions du pays étaient présents. Au cours de ce conclave, on passe en revue les conditions dans lesquelles évolue l’Organisation (OS), la position de la direction du MTLD, les actions des membres de l’Organisation spéciale et les exactions subies entre 1950 et 1954. Mais le point essentiel de la réunion était de passer à la lutte armée. On réussit à convaincre les hésitants du principe du déclenchement de la révolution armée. Benboulaïd promit à ses compagnons qu’il prendrait en charge la révolution dans les Aurès pendant une année ou huit mois jusqu’à ce que tous la rejoignent.
Cinq hommes pour préparer la Révolution
On procède alors à l’élection d’un bureau connu sous le nom de comité des Six. Les membres de la délégation extérieure, qui avaient préparé la révolution dès le début, furent intégrés au groupe.
Il s’agit d’Ahmed Ben Bella, Hocine Aït Ahmed et Mohamed Khider. Ce comité fut chargé d’organiser les préparatifs pour la révolution, d’adopter le principe de la direction collégiale et d’œuvrer conformément à la décision émanant de la réunion consistant notamment à élire une direction composée de cinq personnes, à savoir Mohamed Boudiaf, coordonnateur général, Mustapha Benboulaïd, Didouche Mourad, Larbi Ben M’hidi et Rabah Bitat.
Les membres du groupe des 22, dont la quasi totalité n’est plus de ce monde, sont Abdelhafid Boussouf, Abdelkader Lamoudi, Abdeslam Habachi, Ahmed Bouchaïb, Amar Benaouda, Boudjema Souidani, Lakhdar Bentobbal, Larbi Ben M’hidi, Lyès Derriche, Mohamed Boudiaf, Mohamed Mechati, Mohamed Merzougui, Mokhtar Badji, Mourad Didouche, Mustapha Benboulaïd, Othmane Belouizdad, Rabah Bitat, Rachid Mellah, Ramdane Benabdelmalek, Saïd Bouali, Youcef Zighoud, Zoubir Bouadjadj.
De l’avis des historiens, le groupe historique des 22, qui a planifié le déclenchement de la guerre de Libération, demeure l’un des grands protagonistes dont les noms restent gravés dans la mémoire nationale. Il avait pu relever le défi de passer à la lutte armée sur fond de dangers et de difficultés comme les divisions et divergences entre les courants politiques nationaux dont le conflit au sein du MTLD. La création d’une nouvelle organisation baptisée CRUA n’avait guère permis d’avancer. Selon un témoignage d’un des membres du groupe des 22, « Mustapha Benboulaïd s’était déplacé en France pour convaincre Messali El Hadj d’adhérer à l’initiative ou de la soutenir, mais ce dernier avait rejeté l’idée en bloc ».
Il ajoute que plusieurs personnalités considéraient alors que « le pari était risqué ». Le groupe a défini les points urgents qui devaient être tranchés, en premier lieu la date de la proclamation de la lutte armée qui « ne devait pas dépasser six mois dans le souci de préserver l’élément de surprise ». On considérait qu’au vu de la situation politique de l’époque, l’administration se trouvait rassurée, à savoir que « les divisions qui régnaient ne pouvaient donner lieu à une quelconque insurrection ». La déclaration du 1er novembre fut rédigée et envoyée au plus grand nombre possible de régions du pays. Cinq membres seulement ont été chargés des préparatifs du déclenchement de la révolution ; les 22 étaient astreints à la clandestinité et ne pouvaient se rencontrer pendant au moins deux mois, chaque membre devant activer de son côté.
Le déclenchement de la lutte armée fut un succès, par l’effet de surprise et le nombre d’actions engagées à travers tout le territoire national, ce qui a fini par renforcer la mobilisation populaire autour de l’impératif de l’indépendance. Des partis hésitants au départ ont eux aussi suivi la voie de la raison, ajoutent encore les témoignages de militants de l’époque.
K. Daghefli