Deux ans après l’indépendance de l’Algérie, soit en 1964, des milliers d’Algériens vivant au Maroc ont fait l’objet de traitements que l’on peut décrire d’atroces. Durant cette époque, les Algériens résidant au Maroc avaient subi de graves dépassements exercés par des policiers et gendarmes marocains avec la bénédiction du roi Hassan II. Incarcérés, tabassés et certains torturés, des milliers d’Algériens sont traités comme des ennemis.
Face à cette situation, le président de l’Algérie indépendante, Ahmed Ben Bella, a adressé une lettre d’avertissement à Hassan II, le mettant devant le fait accompli, tout en promettant une forte réplique algérienne si la situation devait continuer ainsi. La lettre, dont nous possédons une copie, a été suivie par la réponse de Hassan II à Ben Bella, dont nous possédons également une copie. Aujourd’hui, nous dévoilons à nos lecteurs les contenus des deux lettres.
La lettre de protestation
Le 5 janvier 1964, le président de la République algérienne, Ahmed Ben Bella a adressé une lettre de «protestation» au roi Hassan II, dans laquelle il condamnait avec la plus grande fermeté les traitements inacceptables des autorités marocaines envers les Algériens résidant au Maroc. En voici quelques extraits :
«Cela fait près de six mois que les Algériens vivant au Maroc font l’objet de différentes traques de la part des policiers et gendarmes marocains. Cette situation s’est amplifiée et est devenue insupportable, d’autant que tout le monde parle de ces graves dépassements», expliquait Ahmed Ben Bella à son homologue marocain.
Mieux, le président algérien écrira : «Nous avons toujours espéré que les Algériens vivant au Maroc auront droit à un traitement exemplaire, d’autant plus qu’ils se trouvaient au Maroc pour améliorer leur vie, retrouver la paix après des années de colonialisme et surtout vivre avec leurs familles comme s’ils étaient dans leur propre pays. Mais malheureusement, les coups se sont multipliés contre les Algériens. Ils sont tabassés et incarcérés dans les prisons marocaines et les centres de détention. Et même ceux qui ont servi le royaume marocain durant des années n’ont pas échappé à ces traitements. Encore une fois, je dirais que je suis entièrement déçu de ces traitements réservés aux Algériens dont certains sont nés au Maroc et seules leur nationalité et leurs racines les relient à leur patrie, cela est clair». Selon les termes employés, le premier président de l’Algérie indépendante paraît très en colère. D’ailleurs, il s’est montré virulent en niant la culpabilité des Algériens dans les troubles vécus au Maroc, à cette époque.
«Je ne pense guère que les Algériens aient tenté de provoquer des troubles au Maroc, sinon ils auraient été jugés. Je vous rappelle qu’entre nos deux pays il existe une convention permettant à nos deux peuples d’avoir droit à la résidence dans l’autre pays, de s’installer là où ils se sentent bien, de circuler librement et vivre en paix», tient à rappeler Ben Bella. Il ajoute : «Après l’organisation d’un Sommet des quatre chefs d’Etat à Bamako, suivie de la rencontre des ministres des Affaires étrangères à Addis-Abéba, tout le monde avait espéré que ce genre de traitements aller prendre fin, surtout que le Sommet de Bamako avait exigé aux deux pays (le Maroc et l’Algérie) d’éviter tout ce qui pourrait aggraver la situation, cela sans vous rappelez que les Marocains vivant en Algérie se portent très bien et personne ne les a touchés». «Mais je vois très bien, par contre, que la situation des Algériens établis au Maroc s’est compliquée davantage, les dangers se sont amplifiés et tout le monde se pose des questions sur les objectifs réels de cette situation. Une situation qui pourrait avoir des préjudices graves quant aux relations de nos deux pays et les sentiments de haine seront plus grands. Alors, il est dans l’intérêt des deux pays que les autorités marocaines prennent leurs dispositions et leur responsabilité pour éviter que ce genre de situation ne se répète. Je tiens une nouvelle fois à vous rappeler les conventions que nous avons signées et il est de notre devoir de les protéger et de les défendre. Pour cette raison, je tente, par la biais de cette lettre, d’attirer votre attention sur tout ce qui se passe dans votre pays, et je demande que Dieu vous guide vers la voie juste et sage. Mes salutations». C’est ainsi que se termine la lettre de Ben Bella.
La réponse du roi Hassan II à Ben Bella
Cinq jours après, le 10 janvier 1964, le roi Hassan II a adressé une réponse à son homologue algérien, dans laquelle il nie les tortures et les incarcérations des Algériens établis au Maroc. Toutefois, le roi marocain a indiqué que ni son gouvernement ni son administration n’avaient jusqu’à présent décider d’engager des opérations contre les Algériens résidant au Maroc ! Voici le contenu de cette lettre.
«Salam Aâlikoum wa Rahmatou Allah wa Barakatouhou. Nous avons reçu votre envoyé spécial, en l’occurrence Monsieur Madjid Meziane et ce, dès son arrivée à Rabat. J’ai lu la lettre que vous m’avez adressée et j’ai trouvé très utile d’apporter quelques remarques sur cette lettre à votre envoyé spécial. Je pense que ces remarques ont été rapportées par Monsieur Madjid Meziane et ce, dans un climat de fraternité et de transparence.
Ce climat que nous tenons à maintenir par toutes nos forces, dans l’espoir que cela dure aussi longtemps dans les relations entre nos deux pays, malgré les forces ennemies qui tentent de les empoisonner. Vous avez parlé dans votre lettre d’Algériens maltraités au Maroc, je vous réponds que les informations qui vous ont été transmises sont infondées et ne portent aucune précision. Nous n’avons malheureusement pas identifié les personnes (Algériens) qui auraient subi des tortures ou qui auraient été incarcérées, comme rapporté dans votre lettre. Je dirais plus que nous n’avons aucun Algérien dans les centres de détention, comme cela a été confirmé dans votre lettre. Mais, par contre, je peux vous confirmer que ni notre gouvernement ni notre administration relevant de ce gouvernement n’ont ordonné ‘’jusqu’à présent’’ d’engager des opérations contre les Algériens qui ont choisi, avec toute liberté, de s’installer au Maroc», a écrit le roi Hassan II à Ben Bella. En effet, on peut relever une phrase lourde de conséquences dans la lettre de Hassen II, lorsqu’il écrit notamment : «Nous n’avons pas décidé, jusqu’à présent, d’engager des opérations contre les Algériens résidant au Maroc». Cette phrase semble être un avertissement clair envers l’Algérie. Cela veut dire qu’il se pourrait que des Algériens soient la cible des autorités marocaines, bien entendu au cas où les relations entre les deux pays se détériorent davantage. Dans sa réponse, le roi du Maroc dira que son pays est un pays leader en ce qui concerne les droits de l’homme. «Comme si c’était vrai !» «Le Maroc, comme vous le savez, est parmi les pays rares dans le monde qui a choisi la démocratie et la liberté d’expression comme seules voies pour l’instauration d’un Etat de droit. Ce choix risque d’être exceptionnel pour le Maroc, car ailleurs, l’idée de gouverner fait rage. De petits hommes tentent aujourd’hui de gouverner et de diriger des Nations».
Hassan II visait-il Ben Bella en le traitant de petit homme ? «Mais nous, au Maroc, nous avons opté avec le peuple marocain pour un Etat de droit, tout en faisant beaucoup d’efforts pour nous assurer des garanties juridiques et administratives, non pas uniquement pour les Marocains, mais également pour tous ceux qui s’attachent au Maroc, sans aucune exception», avait répondu le roi. Il ajoute : «Pour cette raison si, comme vous l’avez rapporté, des Algériens sont torturés et incarcérés au Maroc, eh bien nous serons les premiers à les protéger et les défendre. Puis, puisque l’occasion nous ait permis de parler de nos relations, nous tenions à vous exprimer, dans un autre cadre loin de cette histoire d’Algériens maltraités, notre déception dans la mesure où votre excellence n’a pas exploité le pas fait par le Maroc dans le cadre du réchauffement de nos relations, lorsque nous avons envoyé un nouvel ambassadeur en Algérie. Le Maroc a tenté, à travers cette importante démarche, de relancer les relations des deux pays afin de les remettre sur les rails. Mais vous avez refusé de recevoir l’ambassadeur marocain, mais dans tous les cas, cela ne nous a pas affecté. Je dirais plus que le fait de refuser de recevoir le représentant marocain en Algérie n’a rien changé dans notre engagement pour instaurer de bonnes relations entre nos deux peuples», conclut la lettre.
Par Sofiane Abi