18 pays musulmans et près de 40 journalistes en conclave à Moscou: Comment détricoter la toile de Daesh

18 pays musulmans et près de 40 journalistes en conclave à Moscou: Comment détricoter la toile de Daesh

«Nous savons ce que l’Algérie avait subi durant les années de lutte contre le terrorisme. De ce fait, la voix de l’Algérie, son expérience sont nécessaires et importantes pour nous en tant que groupe stratégique», a indiqué le responsable du groupe de vision stratégique, Viniamin Popov.

Sous le slogan «Journalistes des pays musulmans contre l’extrémisme», s’est ouverte jeudi dernier, la troisième rencontre internationale sur l’extrémisme islamiste.

Plus d’une quarantaine de journalistes, écrivains, chercheurs et hommes de religion venant de 18 pays musulmans se sont rencontrés au «Président Hôtel» au centre de Moscou pour débattre de la lancinante question de la radicalisation via les réseaux sociaux. Cette rencontre organisée par le Groupe stratégique Russie et monde islamique a été rehaussée par la présence de Mikhael Bougdanov représentant spécial du président russe pour les affaires africaines et du Moyen-Orient et également vice-ministre des Affaires étrangères. De même que la rencontre a vu la présence du mufti de Moscou Albert Krganov ainsi que le représentant de la République du Tartaristan Rawil Akhmetshin. La rencontre intervient dans un contexte sécuritaire international très tendu. Le monde fait face à une montée très inquiétante de la radicalisation qui se manifeste par des attentats terroristes sanglants. La Russie a eu son lot. Une dizaine de personnes ont trouvé la mort, et plus de 35 autres ont été blessées, il y a quelques semaines, lors d’une explosion dans le métro de Saint-Pétersbourg, la deuxième ville de Russie.

«Les rapports de force évoluent et la situation est compliquée. Nous assistons à une guerre médiatique féroce et de ce fait le rôle du journaliste devient central et la quête de la vérité est tout aussi compliquée», a affirmé l’ambassadeur Viniamin Popov, le coordinateur de ce groupe de vision stratégique ajoutant que cette situation est encore plus compliquée avec la montée en puissance de l’islamophobie à travers les pays occidentaux, «ce qui n’existe pas en Russie», a-t-il noté.

L’Algérie a bien évidemment marqué sa présence à ce forum. «Nous savons ce que l’Algérie avait subis durant les années de sa lutte contre le terrorisme. De ce fait, la voix de l’Algérie et son expérience sont nécessaires et importantes pour nous en tant que Groupe de vision stratégique», a souligné l’ambassadeur Popov. Aussi, les participants ont eu à s’imprégner de l’expérience algérienne dans la lutte contre le terrorisme en tant que premier pays dans le monde à avoir connu l’émergence fulgurante de l’islamisme politique avec ses dégâts humains et matériels. Pour la première fois depuis la création de la confrérie des Frères musulmans en Egypte en 1928, l’extrémisme islamiste allait accaparer le Parlement en Algérie empruntant le marchepied des législatives de décembre 1991 avant de déclarer que la démocratie est une hérésie occidentale qu’il faudra désormais bannir dans la gestion des affaires de la cité. La menace extrémiste était donc claire et le processus électoral arrêté, le pays a basculé dans une guerre civile atroce.

La facture a été lourde: elle s’est soldée par 200.000 morts et des centaines de milliers de blessés, d’orphelins et de veuves, quant aux pertes matérielles, elles ont été estimées à plus de 20 milliards de dollars. Un véritable cas d’école pour les participants à ce forum mondial, qui ont également eu à constater par quels mécanismes l’Algérie est sortie du lugubre tunnel. Plus de 10 années de lutte antiterroriste menée sans merci par les services de sécurité doublée d’une action de déradicalisation unique en son genre. Ainsi, cette guerre sur le terrain est appuyée par des mesures politiques économiques et sociales.

La politique de la Rahma promulguée en 1995, a été suivie par le référendum sur la Concorde nationale en 1999 avant d’aboutir à la Charte pour la paix et la Réconciliation nationale en 2005. Au plan économique, des programmes quinquennaux ont été élaborés avec des actions ciblées envers la frange des jeunes comme l’accord de crédits sans intérêts et des encouragements pour la création de PME par le système Ansej et Andi. A ces actions s’ajoutent la récupération et la maîtrise des discours religieux aux niveaux des mosquées, la réforme du système éducatif et d’autres actions encore…une véritable expérience de la déradicalisation qui a même interpellé certains participants à expliquer un fait très marquant dans la crise du Moyen-Orient.

En effet, de tous les contingents de jeunes mobilisés par le Net pour se rendre au djihad notamment en Syrie, le nombre d’Algériens est infime comparé à celui des Tunisiens, Marocains, voire même de certains pays occidentaux comme la France, la Grande-Bretagne et la Belgique. Cette expérience unique de déradicalsiation a-t-elle donné ses fruits? La question est posée et le sujet a interpellé bien des spécialistes des questions sécuritaires. Le mufti de Moscou a résumé la situation en avançant que dans cette «guerre contre l’extrémisme» toutes les actions doivent se focaliser essentiellement sur la jeunesse. Il en veut pour preuve ces chiffres effrayants: «Près de 80% des combattants de Daesh sont âgés entre 25 et 30 ans» et «cette organisation terroriste agit sur près de 170.000 sites sur la Toile». Il ajoute dans ce sillage que «pour parer à cette vague de radicalisation, la Russie a décidé de créer une organisation de la jeunesse et qui aura des sections à travers tout le territoire de la Russie. Il faut aller vers cette jeunesse, la rencontrer, l’écouter et la former» appuie-t-il. Si l’objectif de la rencontre était de trouver les moyens de détruire le discours extrémiste, le conflit idéologique éternel entre l’Arabie saoudite et l’Iran a trouvé le moyen de refaire surface même s’il a été vite étouffé par le modérateur Popov. Prenant la parole, Mohamed Marandi, enseignant universitaire iranien, n’a pas ménagé l’Arabie saoudite qu’il a accusée frontalement d’être «le nid du terrorisme» par ses actions à travers le monde musulman. Ces propos ont fait sortir de ses gonds le représentant de l’ambassade saoudienne à Moscou qui a demandé une mise au point pour rétablir les choses. Il a estimé que c’est plutôt «l’Iran qui déstabilise la région avec ses ambitions expansionnistes». Il reste que la tendance générale s’oriente vers une demande d’organisation d’une conférence internationale sur la lutte contre le terrorisme de demander la criminalisation du cyberterrorisme ainsi que l’élaboration d’une stratégie claire pour combattre les deux phénomènes de l’extrémisme et du terrorisme.