La 17e Tripartite (gouvernement, syndicats et patronat) en présence du directeur général du Bureau international du travail (BIT), se réunira le 14 octobre prochain à Biskra devant étudier la situation du monde du travail, les questions qui demeurent pendantes sur le front social après l’entrée en vigueur des effets induits sur les salaires par l’abrogation de l’article 87-bis du Code du travail et comment réhabiliter l’entreprise face à la chute du cours des hydrocarbures.
Il s’agit de distinguer nettement les politiques conjoncturelles de court terme des facteurs stratégiques, seuls déterminants d’un développement durable à terme, objet de cette présente contribution
1.-Les critères de représentativité utilisés aujourd’hui (indépendance, importance des effectifs, montant des cotisations reçues, expérience et ancienneté du syndicat, attitude patriotique pendant la guerre de Libération nationale sont peu adaptés à la réalité actuelle. L’objectif est de renvoyer l’essentiel des décisions sociales à la négociation en modernisant les règles de représentativité et de financement des organisations syndicales et patronales et de faire de la négociation collective le moyen privilégié de la transformation du droit du travail et de la maîtrise des évolutions socio-économiques des entreprises.
Le dialogue productif, condition du rétablissement de la confiance, est la seule voie pour trouver un véritable consensus, ce qui ne signifie nullement unanimisme, signe de décadence de toute société afin d’anticiper tout conflit préjudiciable aux intérêts supérieurs du pays avec des coûts faramineux.
Le goût du risque
Il faut éviter deux écueils. Premièrement, l’on doit se démarquer d’une vision culturelle largement dépassée des années 1970, tant sur le plan politique, économique qu’en matière diplomatique. Nous sommes en 2015 avec des mutations géostratégiques considérables entre 2015-2020 qui préfigurent de profonds bouleversements de cet ordre. La mentalité bureaucratique administrative des années 1970 est de croire qu’il suffit de changer de lois pour résoudre les problèmes. Cette vision est une erreur politique qui ne peut que conduire le pays à l’impasse, à une crise multidimensionnelle, voire à une déflagration sociale qu’il s’agit impérativement d’éviter. Deuxièmement, éviter que la Tripartite soit un lieu de redistribution de la rente (parts de marché et avantages divers supportés par le Trésor public à ceux présents via la dépense publique) en fonction d’intérêts étroits. Car lorsqu’un pouvoir agit bureaucratiquement, sans concertation, sans tenir compte de la réelle composante sociale, la société enfante ses propres règles qui lui permettent de fonctionner en dehors de l’Etat officiel, se traduisant alors par un divorce croissant Etat-citoyens.
On ne relance pas l’activité économique par décret ou par le volontarisme étatique, vision de la mentalité bureaucratique rentière. C’est l’entreprise et son fondement, le savoir, au sein d’une économie de plus en plus mondialisée à travers des stratégies de segments de filières internationalisées que l’Algérie peut créer une économie productive à forte valeur ajoutée. L’on ne doit pas, en ce XXIe siècle avoir une vision matérielle, de l’ère mécanique, l’ensemble des segments économiques industrie/agriculture/ tourisme, y compris la culture, se combinant avec les nouvelles technologies. La recherche tant théorique qu’appliquée est fondamentale pour impulser de nouvelles filières qui s’internationalisent de plus en plus (c’est la mondialisation).
2.- Face à une situation socio-économique difficile, l’ensemble des acteurs de la société doit être mobilisé si l’Algérie veut renouer avec une croissance durable hors hydrocarbures,être pragmatique et avoir des solutions réalistes. Comment ne pas rappeler que les pays ayant entrepris avec succès des réformes, notamment les pays émergents, se sont appuyés sur une mobilisation de l’opinion. La nécessité de réformer s’impose à l’Algérie, malgré des dépenses monétaires sans précédent avec l’accumulation de résultats économiques mitigés, de crises sociales ou de crises politiques. Aussi, cela ne laisse persister aucune ambiguïté sur le caractère inéluctable des changements structurels à opérer. La croissance forte peut revenir en Algérie. Mais elle suppose la conjugaison de différents facteurs: une population active dynamique, un savoir, le goût du risque et des innovations technologiques sans cesse actualisées, le combat contre toute forme de monopole néfaste, une concurrence efficace, un système financier rénové capable d’attirer du capital et, une ouverture à l’étranger. Ces réformes passent fondamentalement par une démocratie vivante, une stabilité des règles juridiques et l’équité, les politiques parleront de justice sociale.
La conduite d’ensemble de ces réformes ne peut ni être déléguée à tel ou tel ministre ni mise dans les mains de telle ou telle administration. Elle ne pourra être menée que si, au plus haut niveau de l’État, une volonté politique forte les conduit et convainc les Algériens de leur importance d’où avec l’ère de l’Internet le langage de la vérité et une communication active transparente et permanente.
Ensuite, chaque ministre devra recevoir une «feuille de route» personnelle complétant sa lettre de mission et reprenant l’ensemble des décisions qui relèvent de sa compétence. Au regard de l’importance des mesures à lancer et de l’urgence de la situation, le gouvernement devra choisir le mode de mise en oeuvre le plus adapté à chaque décision: l’accélération de projets et d’initiatives existantes, le vote d’une loi accompagnée, dès sa présentation au Parlement, des décrets d’application nécessaires à sa mise en oeuvre et pour les urgences seulement, des décisions par ordonnance pourront être utilisées. Ces actions coordonnées et synchronisées dans le temps exigeront le courage de réformer vite et massivement, non des replâtrages conjoncturels, mais de profondes réformes structurelles à tous les niveaux en ayant une vision stratégique pour le moyen et le long terme, devant donc réhabiliter la planification et le management stratégique.
3.- L’Algérie peut parvenir à surmonter ses difficultés dans un délai raisonnable. Elle en a les moyens. Pour cela, elle doit réapprendre à envisager son avenir avec confiance, sécuriser pour protéger, préférer le risque à la rente, libérer l’initiative, la concurrence et l’innovation car le principal défi du XXIème pour l’Algérie sera la maîtrise du temps; le monde ne nous attend pas et toute nation qui n’avance pas recule forcément. Retarder les réformes ne peut que conduire à la désintégration lente, à l’appauvrissement, une perte de confiance en l’avenir puisqu’ avec l’épuisement de la rente des hydrocarbures, l’Algérie n’aura plus les moyens de préparer ces réformes et vivra sous l’emprise de la peur, voyant partout des menaces où les autres voient des chances.
La nature du pouvoir doit changer
Cette croissance exige l’engagement de tous en organisant les solidarités, conciliant efficacité économique et équité par une participation citoyenne et un dialogue productif permanent. Le pouvoir algérien, mais également la majorité des Algériens dont le revenu est fonction à plus de 70% de la rente des hydrocarbures doivent savoir que l’avenir de l’emploi et de leur pouvoir d’achat n’est plus dans la fonction publique, et que celui des entreprises n’est plus dans les subventions à répétition.
L’essentiel de l’action est entre les mains des Algériens qui devront vouloir le changement et partager une envie d’avenir, d’apprendre davantage, de s’adapter, de travailler plus et mieux, de créer, de partager, d’oser. La nature du pouvoir doit également changer supposant une refonte progressive de l’Etat par une réelle décentralisation autour de grands pôles économiques régionaux, impliquant qu’il passe de l’Etat gestionnaire à l’Etat régulateur, conciliant les coûts sociaux et les coûts privés, étant le coeur de la conscience collective, par une gestion plus saine de ses différentes structures Pour s’inscrire dans la croissance mondiale, l’Algérie doit d’abord mettre en place une véritable économie de la connaissance, développant le savoir de tous, de l’informatique au travail en équipe, de l’arabe, du français à l’anglais, du primaire au supérieur, de la crèche à la recherche. Elle doit ensuite faciliter la concurrence, la création et la croissance des entreprises, par la mise en place de moyens modernes de financement, la réduction du coût du travail et la simplification des règles de l’emploi. Elle doit favoriser l’épanouissement de nouveaux secteurs clés, dont: le numérique, la santé, la biotechnologie, les industries de l’environnement, les services à la personne avec le vieillissement de la population. Simultanément, il est nécessaire de créer les conditions d’une mobilité sociale, géographique et concurrentielle, de permettre à chacun de travailler mieux et plus, de changer plus facilement d’emploi, en toute sécurité.
Pour mener à bien ces réformes, l’État et les collectivités locales doivent être très largement réformés. Il faudra réduire leur part dans la richesse commune, concentrer leurs moyens sur les groupes sociaux qui en ont réellement besoin, faire place à la différenciation et à l’expérimentation, évaluer systématiquement toute décision, a priori et a posteriori. Il s’agit donc pour l’Algérie d’aller vers de profondes réformes structurelles et ce, afin de lui permettre de réaliser sa transition économique, le passage d’une économie de rente à une économie hors hydrocarbures dans le cadre des valeurs internationales, qui conditionne toute la stabilité tant interne que celle de la région euro-méditerranéenne et africaine.
Comme vient de le souligner le président de la République le 6 octobre 2015 en Conseil des ministres, l’Algérie en ces moments difficiles a besoin de rassembler et non de diviser, personne n’ayant le monopole de la vérité et du nationalisme.