L’immortalité de Matoub Lounès trouve sa raison dans une multitude d’explications
Ses strophes demeurent un repère auquel s’identifient des milliers d’âmes assoiffées d’azur.
Quinze ans après sa mort, le lion rugit toujours. Sa voix ne s’est pas éteinte. Ses strophes demeurent une fontaine d’où se ressourcent des milliers d’âmes assoiffées d’azur. Ses partitions sont devenues des vibrations qui bercent les coeurs sincères.
Le chanteur le plus censuré par les institutions culturelles officielles de notre pays est paradoxalement celui qui demeure le plus adulé par la population kabyle, quinze ans après son assassinat. Matoub Lounès est toujours parmi nous. L’enracinement au sein d’une société et au sein d’un peuple ne se décrète pas. Matoub Lounès en est la preuve vivante. Cette semaine, toute la Kabylie et dans plusieurs pays, de la France aux Etats-Unis, en passant par le Canada, l’Allemagne, l’Espagne, le Maroc et la Libye…, Matoub sera évoqué.
Matoub Lounès n’est pas seulement le plus grand chanteur kabyle de tous les temps. Si c’était le cas, on se limiterait à écouter ses chansons à satiété et l’affaire est close. Matoub, c’est bien plus que cela. C’est que l’anniversaire de son assassinat est devenu un événement historique qui ne pourrait, aucunement, passer inaperçu. Quand bien même toutes les institutions culturelles du pays prennent «le soin» d’éluder le nom de Matoub Lounès de toutes leurs activités, il n’en demeure pas moins que dans la réalité, le Rebelle est dans les coeurs et sur les lèvres de tous les Kabyles. La dimension internationale prise par la commémoration de l’anniversaire de son assassinat se passe de tout commentaire et montre, si besoin est, le déphasage énorme qui existe entre la culture officielle et folklorique subventionnée à coups de milliards et la vraie culture authentique et inamovible qui se nourrit de la sincérité et de l’honnêteté du citoyen. Comme chaque année, les activités commémoratives de l’assassinat du Rebelle n’auront pas lieu dans les établissements culturels officiels. Mais elles se tiendront au fin fond de la Kabylie profonde, dans les villages et dans les villes. Matoub Lounès ne reviendra pas cette semaine, car il n’est jamais parti. Les Kabyles l’écoutent tout au long de l’année. Un confrère devant lequel quelqu’un s’émerveillait d’avoir entendu la voix du Rebelle retentir de l’intérieur d’une voiture dans la ville de Annaba, ne s’étonna pas. Il répliqua que lui, il a entendu sa voix jaillir d’une autre voiture au moment où il déambulait dans le boulevard des Champs-Elysées à Paris.
L’immortalité de Matoub Lounès trouve sa raison dans une multitude d’explications. On aura beau pérorer là-dessus, on ne parviendra jamais à les cerner. Matoub est ce genre d’homme qui, même mort physiquement, laisse des traces immuables. Comme certaines amours. Mais pour aimer Matoub, il faut d’abord avoir le courage de voir en lui un artiste, certes accompli, mais qui a ses forces et ses faiblesses. Pour aimer Matoub, il faut avoir la témérité d’affronter les vérités qu’il assène dans chacune de ses chansons. Qu’il s’agisse des chansons ayant pour thème la vie sous toutes ses formes, mais aussi les textes où il est question de corriger l’histoire de l’Algérie falsifiée pendant des décennies, et aussi de dire qui a ruiné ce pays, qui l’a conduit à la dérive, qui a été la cause de l’échec recommencé et qui a été à l’origine d’un désarroi auquel l’Indépendance de l’Algérie ne le détestait pas. Matoub Lounès a osé aller très loin dans sa quête de vérité et de liberté, tellement loin qu’il a été assassiné car la vérité dérange tous ceux qui ont des choses à se reprocher. Mais Matoub Lounès n’avait pas peur de cette mort qu’il a tant chantée dès sa première oeuvre. Matoub Lounès avait peur d’autre chose. Il avait peur d’être complice du mal. Il refusait de se taire, car comme il l’a chanté aussi, le silence est synonyme de complicité. Il ne s’est pas tu. Quand bien même le prix à payer était sa vie. Mais vivre 42 ans comme un lion vaut mieux que de vivre un siècle comme un chat. Le lion, 15 ans après sa mort, rugit toujours. Sa voix ne s’est pas éteinte. Ses strophes demeurent un repère auquel s’identifient des milliers d’âmes assoiffées d’azur. Ses partitions sont devenues des vibrations qui bercent les coeurs sincères. Aujourd’hui, le temps s’arrêtera en Kabylie. Mais la voix de Matoub ne s’arrêtera pas. En choisissant le chemin de la vérité, Matoub Lounès s’est propulsé très haut dans le ciel. Il a battu des ailes. Il a tutoyé le soleil et les étoiles et ces derniers l’ont invité à prendre une place parmi eux, car les astres ont aussi besoin de sa chaleur.