13es journées de la thérapie familiale, La conflictualité du couple, une fatalité

13es journées de la thérapie familiale, La conflictualité du couple, une fatalité

“Un couple qui va bien n’est pas celui qui n’a pas de problèmes, car il n’existe pas, mais celui qui sait les résoudre.” Par cette maxime, Robert Neuburger, psychiatre et directeur du Centre d’études de la famille (Paris, Genève, Madrid), résume la problématique des conflits conjugaux, qui s’apparentent subséquemment à une fatalité.

Ce spécialiste, qui intervenait samedi dernier à Alger aux 13es journées de thérapie familiale déclinées cette année sous le thème générique “Couple : entre fantasmes et réalités”, a développé justement sa thèse sur les mythes fondateurs de la conjugalité. Il a affirmé qu’au moment de la formalisation de l’union, soit par le mariage, soit par un concubinage, ou encore la consécration d’une relation amoureuse durable dans le temps, chacun croit avec l’autre, “les mêmes valeurs, essentiellement la confiance et la fidélité. C’est l’une des raisons qui font que les couples sont plus fragiles aujourd’hui. Il est, en effet, difficile de maintenir un couple où il y a du mensonge”, a-t-il expliqué. Il a poursuivi qu’il est parfois confronté, dans l’exercice de son métier de thérapeute de famille, à des situations surprenantes, en ce sens que l’un des conjoints ne ment forcément pas à l’autre, mais recourt aux subterfuges de la désinformation. “On fait croire autre chose que ce qu’on fait réellement”, a précisé le conférencier. Pour clarifier ses propos, le Dr Neuburger a cité un cas assez édifiant. C’est l’histoire d’un mari qui justifie les nuits passées en dehors du domicile conjugal par le fait que l’entreprise qui l’emploie l’a chargé de surveiller un matériel informatique nouvellement acquis et qu’il lui est interdit de donner ou de recevoir, durant ses soirées de gardiennage, des appels téléphoniques. La complexité et la conflictualité du fonctionnement du couple sont souvent exacerbées à la naissance des enfants. “À la naissance de l’enfant, la notion du couple s’altère et se désexualise au profit d’une relation de plus en plus fraternelle”, a soutenu le thérapeute suisse. Dès lors advient une déformation de plus en plus prononcée des deux dimensions qui forment le couple : les liens amoureux ou affectifs et “la relation d’appartenance et la sécurité apportée par la maison-couple”.

“La venue d’un enfant va certainement avoir des répercussions dans le domaine de la sphère privée du couple et secouer son équilibre, ses liens vont se fragiliser”, a attesté le Dr Amel Boudia, lors de la présentation d’une étude sur “Le couple parental : quelle place pour le couple conjugal”, réalisée conjointement avec ses consœurs de Biskra (le Dr Messaouda Benhamouda) et de Chéraga (le Dr Lamia Ammar). Elle a exposé, à l’occasion, un cas clinique assez atypique. Il s’agit d’un couple originaire d’une ville de l’intérieur du pays, qui a emmené en consultation dans un service de psychiatrie sa fille âgée de 26 ans, suicidaire. De fil en aiguille, il s’est avéré que la jeune fille a développé ces symptômes au moment du déménagement de la famille de la campagne vers la ville pour fuir le terrorisme. Derrière son état psychotique se tapit la souffrance de toute une famille ébranlée par le décès du fils aîné emporté par une maladie grave, la garde de la cadette confiée à la grand-mère maternelle sans le consentement de sa mère ; les remords du père astreint à quitter ses parents et ses sœurs pour soustraire ses filles à la menace terroriste… Les Dr Aït Ameur, Bouraoui et Haddad se sont intéressées justement à l’ambivalence du statut du couple, qui valse entre sa qualité parentale et sa fonction conjugale. Selon ces thérapeutes, il convient de bien concevoir l’aller-retour entre l’une et l’autre. Tâche difficile, car la parentalité empiète souvent un peu trop sur l’intimité qui doit cimenter, autant au plan affectif que sexuel, l’union entre un homme et une femme. “La présence d’un enfant contrecarre l’intimité du couple”, a asséné le Dr Boudia.

Un autre cas clinique, présenté par le Dr Nadir Bourbon, maître de conférences à l’EHS, M. Boucebci de Chéraga, a montré les méandres empruntés par un jeune homme de 22 ans pour extraire ses parents du carcan d’une vie conjugale construite sur de l’amour, puis dérivée, au fil des années devant la résurgence de contentieux antérieur entre les deux familles élargies, vers le ressentiment, le doute et l’éloignement. Le fils a donné des signes ostentatoires de sa reconversion au christianisme “pour remettre son père dans son rôle d’époux et rendre justice à sa mère rejetée par sa belle-famille”.

L’intrusion de la belle-famille dans la vie et le fonctionnement de la cellule nucléaire est souvent source de conflits incommensurables. Dans sa conférence intitulée “Couples et famille d’origine”, le Dr Tamoud, psychologue clinicienne au Centre national de formation des personnels spécialisés de Birkhadem, a affirmé qu’à la veille d’un mariage, la famille élargie s’investit énormément dans l’organisation de la cérémonie, “d’où la supposition qu’elle est préparée, autant que le couple, à un nouveau cycle relationnel”. Pourtant, après célébration de l’union, l’influence des parents est non seulement pesante, mais aussi à l’origine de l’enlisement du couple dans un antagonisme qui mène parfois au divorce. “Comment le couple peut-il échanger avec sa famille d’origine sans avoir à se vider dans celle-ci et sans qu’elle fasse intrusion dans son intimité ?” s’est demandée la praticienne, en s’attelant à donner quelques éléments de réponses par la présentation de deux cas cliniques qui illustrent la rupture de communication dans le couple du fait de la loyauté du mari envers sa famille d’origine. Le Dr Nesrine Boulassel, maître assistante en psychiatrie au CHU Frantz-Fanon de Blida, a estimé, lors de son intervention, que les filles et les garçons sont préparés à la vie du couple, comme des adversaires, car ils sont nourris de fantasmes et de mythes, qui se fracassent contre le mur de la réalité. “Il semble qu’une sorte de halo illusoire voile la réalité du couple : le fantasme. Fantasme sur le partenaire, sur le couple, sur le pouvoir de changer l’autre… Fantasme et réalité font-ils bon ménage ?” a-t-elle suggéré comme un début de réflexion sur le thème. Le Dr Marie Chevret-Méasson, psychiatre et sexologue, a exploré plus profondément un registre évoqué dans pratiquement toutes les conférences animées tout au long de la journée, mais pas suffisamment explicité, soit la sexualité du couple. “Les recherches s’accordent à dire que du coup de foudre au rapprochement en passant par la différenciation, l’amour suit une chronologie. Et la sexualité, soit empêchée dès le départ, soit merveilleuse, va évoluer avec les étapes du couple (…) et constituera un critère-clé pour sa réussite”, a-t-elle affirmé.

Après avoir fait le tour de la fonctionnalité du couple, le séminaire s’est achevé logiquement sur le rôle dévolu au thérapeute de famille. “Notre travail ne consiste pas systématiquement à réconcilier les couples, mais à les amener à poser le problème ensemble, de telle manière qu’à l’issue de la thérapie, chacun trouve son compte, y compris dans une séparation”, a conclu le Dr Robert Neuburger.

S H