AL’ampleur des souffrances des enfants victimes des violences et des mauvais traitements interpelle parents et autorités Sans défense contre une société traumatisée, les enfants subissent la violence dans le silence.
Les services d’écoute du numéro vert «3033» du réseau Nada, spécialisé dans la protection et la promotion des droits des enfants, ont enregistré 13.700 appels «SOS» en 18 mois, dont 708 seulement ont été pris en charge dans les centres d’accueil à travers les différentes wilayas.
Du mois de juin 2010 au mois de décembre 2011, le réseau «Nada» a aussi enregistré 103 cas d’abus sexuels contre des enfants, selon les organisateurs du séminaire sur la violence contre les enfants qui a été organisé jeudi au Centre culturel Azzedine-Medjoubi, à Alger.
Il a été convenu lors de ce séminaire d’élargir les mécanismes des services d’écoute du numéro vert3033 aux 48 wilayas lors des trois prochaines années. Evoquant les poursuites judiciaires qui ont été portées contre des adolescents, les services concernés ont enregistré plus de 11.000 enfants présentés devant le tribunal pour des griefs de vols, port d’armes et agressions diverses.
Les témoignages des familles dont les enfants âgés de 7 et 15 ans ont subi des violences, ont été alarmants dans la plupart des interventions des mères qui ont osé casser les tabous du silence qui traumatisent les enfants. «Mon fils a été victime de viol sexuel à l’âge de 10 ans. Actuellement il est âgé de 20 ans; il garde toujours les traumatismes moraux qui le torturent quotidiennement. Cet état de fait le pousse à l’extrémité de la violence sociale», selon le témoignage d’une mère qui a décidé de parler. «Soi-disant pour protéger leur réputation de l’environnement social ou culturel, beaucoup de parents préfèrent garder le silence, tout en ignorant les conséquences néfastes sur le comportement des enfants», a encore regretté cette mère.
Ils abandonnent leurs enfants dans les rues
D’autres témoignages regrettent la souplesse de la justice à l’égard des abus sexuels contre les enfants. «Mon fils âgé de 7 ans a été victime de viol sexuel dans le palier du bâtiment. Malgré le certificat médical établi par les médecins, le bourreau n’a été condamné qu’à deux ans de prison ferme», regrette Mme Fatima T. d’El Achour, banlieue d’Alger.
Tétanisé devant l’ampleur des souffrances des enfants victimes des violences et les mauvais traitements, un juge d’instruction s’effondre en pleurs en visionnant le témoignage d’un enfant dans un enregistrement audiovisuel, selon un des responsables du réseau Nada qui a pris en charge la situation d’un enfant.
Venant des quatre coins du pays, un nombre important d’associations activant dans le domaine de la protection des enfants ont exprimé leur préoccupation de manière crue. Les parents, qui abandonnent leurs enfants dans les rues et les boulevards de jour comme de nuit, sont interpellés solennellement. «Certains parents démissionnaires sont complices de la dégradation de la situation de leurs enfants. Il n’y a pas que les parents nécessiteux qui sont livrés à eux-mêmes, il y a même des parents aisés qui s’en foutent éperdument de l’éducation des enfants», a regretté un représentant d’une association à Bab El Oued (Alger).
Interrogé sur le sujet de la violence à l’encontre des enfants, Mme Lynda Bouaâdma, productrice et animatrice d’une émission sur et pour les enfants à la Chaîne III depuis de très longues années, dira à propos: «Les médias lourds surtout, ont une très lourde responsabilité dans la sensibilisation des parents d’une part, d’autre part, il faut augmenter le volume de la production d’émissions en direction des parents et des enfants», dit-elle. L’adaptation des lois par rapport à l’évolution des droits et de la protection des enfants est plus que nécessaire pour remédier à la situation. La loi qui régit les droits des enfants date de l’année 1972.
Et le ministère de la Solidarité?
Le reste des lois n’est que complément à ce qui existe déjà, tout en sachant que l’Algérie a adopté toutes les conventions internationales en matière de protection et de prise en charge continue des enfants qui sont plus vulnérables aux dangers de l’environnement social, culturel ou économique. De son côté, M.Abderrahmane Arar, président du réseau Nada, a mis en exergue l’importance du rôle que doivent jouer les associations à l’échelle nationale. «Les associations sont accusées parfois de manque d’engagement dans ce sens. Mais on oublie souvent que ces associations ne possèdent pas tous les moyens juridiques, humains ou matériels pour faire face à ce phénomène, alors que c’est un problème de fond qui concerne tout le pays», selonM.Arar.
Justifiant le bien-fondé de l’action du réseau Nada, M.Arar ajoute que «le fait d’organiser ce séminaire c’est déjà un espace de communication qui permet aux familles de témoigner sur des réalités et de la situation des enfants de manière générale», souligne-t-il. Par ailleurs, les participants ont souligné le manque de coordination entre les organismes concernés dans la protection et la promotion des droits des enfants, à commencer par l’absence des représentants du ministère de la Famille et de la Solidarité nationale ainsi que celui de la Santé, de la Population et de la Réforme hospitalière. Les organismes chargés de cette problématique travaillent en solo. Aucune statistique fiable qui permet de refléter de manière exacte les souffrances des enfants n’est disponible. Mouna D., fonctionnaire à Tébessa, a soulevé un cas à méditer. «Mon mari a abandonné ses enfants. Là où je pars pour les inscriptions scolaires et autres besoins, on exige de moi la tutelle. Que dois-je faire dans ce cas? Dois-je trouver un conjoint d’office pour le bien-être de mes enfants? Ne suis-je pas une citoyenne à part entière pour exiger de moi l’impossible?» s’est-elle interrogé devant une assistance médusée. Autant de questions qui restent sans réponses bien que les textes de loi et de la Constitution algérienne soient clairs en matière d’égalité des droits entre les citoyens, et ce sans distinction. Il ne suffit pas de promouvoir des lois seulement, il faut les appliquer. Il n’y a pas une ville ou un village en Algérie où l’on ne trouve des enfants en bas âge abandonnés à leur sort.
Et d’une manière ou d’une autre, un seul enfant qui souffre, c’est tout le quartier et le village qui souffrent avec lui. Mais que fait-on concrètement pour aider tous ces chérubins? Ce n’est jamais suffisant!