Le célèbre journal arabe Al Quds al-Arabi, influent quotidien publié à Londres, a titré la Une de son éditoriale du mercredi 18 janvier 2012 : « Les forces américaines sont-elles sur le point d’entrer en Libye ? ».
Al Quds affirme que pas moins de 12 000 soldats seraient partis secrètement de Malte en direction de la Libye avec pour mission : prendre le contrôle des champs de pétrole. Info ou intox ? Décryptage.
Cela devait être l’Iran, mais, pour l’instant, le risque d’embrasement est trop important. Nous y avons presque cru, surtout lorsque Washington a accusé, en décembre, Téhéran de vouloir fermer le détroit d’Ormuz. [1] Nous avions aussi cru à un débarquement américain en Syrie. L’ONU n’a pas l’intention d’envoyer des troupes sur place pour contrôler un Bachar Al-Assad devenu plus qu’oppressant. La Libye serait-elle la nouvelle terre d’accueil des Yankees ? C’est ce qu’affirme le quotidien arabe publié à Londres, Al Quds al-Arabi. Dans son éditoriale de mercredi 18 janvier, il publiait en Une un article révélant que 12 000 soldats américains étaient sur le point de débarquer en Libye. Un saut de puce aurait d’ores et déjà été effectué jeudi 19 janvier sur les plages des villes pétrolières de Brega, de Ras Lanouf et de Syrte. La presse arabe s’en fait l’écho. En Europe, la rumeur tourne.
Un air de déjà vu…
Un pays, du pétrole. Un dictateur, un peuple « oppressé ». Le chaos. Bref, tous les ingrédients nécessaires pour lancer une attaque. Du déjà vu ! Ajoutons à tout ça : la dénonciation, le lobby du pétrole, le sionisme… On retrouve, comme le précise Jolpress, « toutes les recettes des conspirationnistes ». [2] Ceux-là croient fermement qu’une force invisible « conduit les affaires du monde ». Enfin… Aujourd’hui en Libye, le dictateur n’est plus, le pétrole coule à flots et le chaos s’installe. Selon Abdel-Bari Atwan, le rédacteur en chef d’Al Quds, « l’administration américaine n’a pas formellement démenti l’information selon laquelle elle avait stationné 12 000 soldats à Malte en vue de les envoyer en Libye pour reprendre le contrôle d‘une situation en cours de détérioration. » L’ambassade des Etats-Unis à Malte, elle, a infirmé. Deux jours plus tôt, le 17 janvier, c’était le gouvernement maltais qui démentait la rumeur affirmant que « ces allégations sont totalement fausses » en réponse à Cynthia Ann McKinney, la candidate du Green Party (Parti vert) à l’élection présidentielle américaine de 2008. Le 15 janvier 2012, elle publiait un article dans le San Francisco Bay View, le quotidien national de la communauté afro-américaine, intitulé « 12 000 soldats américains en route pour la Libye ». Opposée à l’intervention militaire en Libye, elle a publiquement accusé l’OTAN d’avoir assassiné l’ex-dirigeant libyen, Mouammar Kadhafi.
La presse affirme que les pouvoirs du président du Conseil national de transition (CNT), Mustapha Abdeljalil, se seraient extrêmement affaiblis face à des milices qui refusent de déposer les armes et qui se battent entre elles pour le contrôle du territoire. [3] L’armée US débarquerait donc en Libye pour épauler le CNT dans sa mission de désarmement et pour aider à maintenir l’ordre.
Officiellement… Car officieusement, le pétrole serait l’unique motivation de Washington. Selon l’éditorial, « les nations occidentales ne s’inquiètent pas de la situation, comme elles le devraient, et elles continueront ainsi. Tant que le pétrole libyen continue à couler dans leurs ports, elles se satisfont d’avoir rempli leur objectif, la chute de l’ancien régime. Elles se moquent du chaos en Libye, tant qu’une résistance armée ne se forme pas et ne vient pas mettre en danger l’industrie pétrolière libyenne en s’attaquant aux pipelines acheminant le brut des champs pétrolifères aux ports d’exportation. » Al Quds indique également que des forces indirectes de l’OTAN seraient déployées sur le sol libyen et que « l’essentiel des puits de pétrole et des ports libyens sont sous la protection ou le contrôle de ces forces ».
Pourquoi débarquer maintenant ?
L’or noir ne peut être utilisé comme argument pour justifier une attaque. Il paraîtrait logique d’utiliser le prétexte du chaos pour expliquer une invasion américano-occidentale en Libye. D’après Cynthia McKinney, les rebelles de Misrata, traditionnels alliés de l’OTAN, auraient été la cible d’hélicoptères Apache de leurs « alliés » alors qu’ils essayaient de prendre le contrôle des plateformes pétrolières de Brega. Plus encore, des sources libyennes lui auraient confirmé la présence de campements italiens dans le désert et l’envoi prochain de troupes françaises. « Un docteur libyen devenu journaliste, membre de la résistance, a rapporté jeudi 12 janvier 2012 que les champs pétrolifères étaient occupés par l’OTAN et que des navires de guerre stationnaient dans les ports libyens. » Enfin, Al Quds explique que les chaînes d’informations arabes ne s’intéressent plus vraiment à l’actualité en Libye. Le moment serait donc opportun pour l’armée américaine de s’infiltrer « ni vu ni connu ».
Comment ne pas douter d’une telle information ? Cela semblerait absurde d’agir ainsi à quelques mois de l’élection présidentielle américaine. D’autant plus qu’en retirant ses troupes d’Afghanistan et d’Irak, Obama tient là l’une de ses principales promesses électorales. S’il y avait actuellement un débarquement de G’Is en Libye, comment se fait-il qu’aucun journaliste sur place n’ait balancé la moindre information à ce sujet ? Et même si cette histoire paraît plausible, elle laisse tout de même perplexe. Al Quds a demandé à ce que des observateurs internationaux soient envoyés sur place afin d’établir un constat. Laissons l’avenir se prononcer…
Fouad Harit
[1] Le ministre iranien des Affaires étrangères, Ali Akbar Salehi, a affirmé, jeudi 19 janvier, à la chaîne privée turque NTV qu’à aucun moment l’Iran n’a tenté de fermer le détroit d’Ormuz
[2] Partisans d’une théorie du complot
[3] Les quatre principales milices sont les régiments Al-Zintan, les régiments du conseil militaire de Tripoli, dirigés par Abd al-Hakim Belhaj, les régiments de Misrata, et l’Armée nationale libyenne du chef d’Etat-major Khalifah Haftar