Deux documentaires sur le retour au pays ont été présentés, la semaine dernière, à la Cinémathèque algérienne.
Le meilleur est souvent gardé pour la fin et les programmateurs ne se sont pas trompés dans leur choix.
Si hier fut donné à l’excellent Fidai de Damien Ounouri de clore avec honneur et en beauté les 11es Rencontres ciné de Béjaïa, deux films docu ont attiré auparavant notre attention. Des films qui se distinguent par une recherche formelle des plus évidentes et qui abordent chacun à sa manière la notion de l’identité à travers le désir de sonder le pouls de sa société qui n’arrive plus à se reconnaître parfois elle-même entre passé hypothétique et présent bâti sur des ruines. Des réalisateurs ont tenté donc par leur caméra de nous raconter la mue de l’Algérie, grâce à sa vaillante composante, la jeunesse. Le premier est celui de Liamine Amar Khodja qui s’est dit revenir dans son pays mais «est reparti car n’a pas su trouver sa place». Huit ans avant, après avoir quitté l’Algérie pour aller entreprendre des études de cinéma en France donc, Liamine décide de revenir chez lui, le 6 janvier 2011, jour du déclenchement des émeutes du sucre et de l’huile à Alger.
A côté, chez nos voisins l’histoire est en marche en Tunisie. Liamine porte un oeil critique sur ce qui se passe dans son pays tout en déplorant le fait qu’on ne donne pas la parole à ces jeunes pour s’exprimer. Un peu plus loin dans ce film et face à cette incompréhension généralisée il optera, pour sa part, pour le silence. Est-ce le bon choix? Qu’importe. Il décide de descendre dans la rue et filmer. Comme un canard boiteux qui essaye d’avancer malgré tout est l’apparence de son film qui semble un peu brouillon.
Un documentaire approximatif sur une situation sociopolitique tout aussi problématique, celle d’une génération en plein mal-être qui continue à se chercher. «C’est une sorte de quasimodo qui me ressemble» reconnaît le réalisateur. Demande à ton ombre le titre du film de Liamine Amar Khodja se présente comme un patchwork rassemblant quelques images d’archives de son ancien film Alger moins degré zero (où des jeunes dans une cave se retrouvent pour boire et fumer). Quand les langues se délient il y a tous leur maux de la terre qui coulent à flots), de quelques citations littéraires, d’images animées et de mise en scène des plus farfelues. Mais le tout fonctionne à merveille. Le film de Liamine s’ouvre sur cette page de couverture du livre d’ Aimé Césaire Cahier de retour au pays natal. Ça tombe bien, Liamine choisit, lui aussi d’annoter ces observations qu’il fait accoucher avec beaucoup de fraîcheur dans ce documentaire qui ne se prend pas trop la tête, quoique…Organisé chronologiquement, ce film retrace les tentatives de ces «îlots isolés» que compose la société, à faire bloc pour imposer leur vision de progrès et de changement. De la manifestation des intellectuels à la place de la liberté de la presse aux manifestations du samedi, Liamine porte un regard extérieur complètement distancé sur ces événements sans prendre partie pour autant. Il reconnaît en effet que le silence est la meilleure réponse face à ce chaos organisé. Ça ne marche pas, à quoi bon? Son attitude, qu’il choisit d’adopter, rappelle pourtant celle des milliers d’Algériens. A l’exception faite que lui il décide d’ en parler par le versant du cinéma.
Sur un ton de la comédie et de la métaphore, Liamine Khodja ose comparer ces manifestants à des animaux de zoo dont l’autre majorité non suiviste regardait avec un oeil complètement incrédule et amusé. Sommes-nous ce cafard mis dans une boîte qui peine à avancer quand se dresse devant lui à chaque fois un obstacle, une impasse? Liamine Khodja a l’idée pertinente d’évoquer Albert Camus et de bifurquer vers les images de Mustapha Benfodil qui essayait il y a deux ans de partager sa passion de la littérature au sein même des beaux paysages de Tipasa. Liberté d’expression et de mouvement, manque d’engagement chez les jeunes peut-être et de témérité surtout sont des aspects sous-jacents que le réalisateur semble vouloir dénoncer de front dans son film. «Le ciné tract» reconstitue le portrait successif des dirigeants du pays avec un oeil aiguisé et cynique à la fois. Paradoxe d’une société qui a perdu ses repères et essaye de se reconstruire est le propos de ce film un peu mélancolique car dressant finalement le tableau d’une jeunesse qui s’ébroue, fait des vagues et n’arrive pas encore à se retrouver. «Sommes-nous tous des Camus?» se demandera à juste titre un des spectateurs pendant le débat, partant du postulat que ce dernier a refusé de prendre clairement position pour l’indépendance de l’Algérie tout en avouant son amour pour ce pays. Position confuse? Est-ce si étonnant de la part d’un Français de le voir choisir le camp de sa mère? Lâcheté ou désenchantement de la part de notre jeunesse qui ne croit quasiment en rien à l’exception des chants des sirènes des bateaux?
La réponse ce sera sans aucun doute dans le prochain épisode intitulé 50 contre un. Dans un autre registre plus soft et moins rentre dedans ou coup de poing est le film docu de Tarik Sami, Karim Loualiche et Lucie Deche. Intitulé Chantier A ce documentaire se présente comme un voyage initiatique de Karim dans son pays. Une sorte de quête spirituelle mais existentielle aussi qui le mènera à refaire la cartographie de son pays, de Tizi ouzou, Alger jusqu’à Tamanrasset, Timimoun, en passant par Constantine.
Dans son périple de l’alchimiste des temps modernes, le héros du film rencontre sur son chemin de nombreux personnages qui vont lui raconter son pays, à travers des anecdotes des plus joyeuses aux plus bouleversantes. Véritable hymne à la vie, ce documentaire évoque notamment la condition de la femme rurale et celle du sud tout en soulignant avec des petites mises en scènes fictives bien cocasses et autres, la tragique misère humaine mais ses moments de grâce aussi.
Le film bascule ainsi de la vie à la mort, de la beauté des paysages naturels à la cruauté ou rudesse de l’homme avec ses soubassements sombres. Tout cela est magnifiquement rendu avec fort esthétisme et une poésie du rythme époustouflante qui épouse parfaitement l’aura contemplative dans laquelle le film nous projette par moment, sans pour autant se départir des sujets évoqués. Belle découverte que ce film qui tente de chasser le mauvais démon tapi dans «l’ombre» pour y planter de l’amour et de la tendresse autour des gens. Faire du cinéma c’est remplir son cadre mais surtout savoir quoi y mettre. Chantier A a réussi son examen d’entrée haut la main. Un film effectivement sensible et touchant.