Le parquet près le pôle pénal économique et financier de Sidi M’Hamed a requis une peine de 10 ans de prison ferme et une amende d’un million de dinars algériens à l’encontre de l’ancien ministre de la Justice, Tayeb Louh.
Ce dernier est poursuivi dans une nouvelle affaire de corruption, impliquant « l’enrichissement illicite » et la « dissimulation de revenus criminels ».
Tayeb Louh a comparu hier soir, lundi 23 juin 2025, devant le juge et s’est vu notifier des accusations relevant de la loi sur la lutte contre la corruption et la prévention, notamment la fausse déclaration de patrimoine et l’enrichissement illicite.
Louh a nié toutes les accusations portées contre lui. Avant son interrogatoire par le juge, il a tenu à présenter un aperçu de son parcours professionnel, affirmant avoir débuté en 1980 en tant que président de tribunal, à une époque où la cour ne comptait qu’un seul juge et un procureur.
🟢 À LIRE AUSSI : Une affaire de 600 milliards impliquant un ancien ministre jugé
Il a ensuite gravi les échelons, devenant conseiller, président de chambre, et juge d’instruction, exerçant dans toutes les sections sans exception. En 2002, il a occupé le poste de président du Syndicat des magistrats.
Il a également rappelé avoir été élu député de la wilaya de Tlemcen, avant d’être nommé ministre du Travail et de la Sécurité sociale jusqu’au 31 mars 2019.
« Dieu a voulu prolonger ma vie » : les opérations chirurgicales de Louh
D’une voix empreinte de tristesse, Louh a déclaré avoir été victime d’une injustice depuis 2019, date de son incarcération. Il a ajouté avoir demandé le regroupement des peines, mais sa requête a été rejetée.
Il a également subi deux opérations chirurgicales, dont la seconde, une opération cardiaque, a duré sept heures avec un taux de réussite ne dépassant pas les 11 %. « Dieu a voulu prolonger ma vie », a-t-il affirmé.
L’accusé a expliqué à la cour que le 21 août 2024, après une opération chirurgicale et la fin de sa peine, alors qu’il s’apprêtait à quitter l’établissement pénitentiaire, le juge d’instruction de la troisième chambre lui a notifié un ordre de dépôt en détention.
Il a précisé s’être évanoui ce même jour, et le lendemain, le greffier est venu lui annoncer sa réincarcération. « Est-ce raisonnable ? Qui assumera la responsabilité si je suis décédé ? Qui en paiera le prix ? », s’est interrogé Louh.
« Le juge d’instruction est le seul responsable, c’est une erreur grave. Il aurait pu me convoquer après ma sortie de prison et ordonner mon incarcération. Qui l’en empêcherait ? C’est tout ce qui s’est passé à cette date qui restera gravée dans ma mémoire. J’espère que cela ne se reproduira pas avec d’autres. »
Fausse déclaration de patrimoine : « Je suis connu pour mon intégrité »
Concernant l’accusation de fausse déclaration de patrimoine, Louh a répondu : « Je n’ai jamais veillé sur quelque chose autant que sur la déclaration de patrimoine. Je suis connu pour mon intégrité. »
Il a ajouté qu’en 2019, toutes ses affaires étaient légales et que des délégations judiciaires avaient été envoyées à l’intérieur et à l’extérieur du pays sans qu’aucune irrégularité ne soit trouvée.
Le juge l’a confronté à la possession d’une villa à Staouali, d’une superficie de 248 mètres carrés. Louh a affirmé l’avoir déclarée, ainsi que tous ses biens en 2017 lorsqu’il était ministre.
🟢 À LIRE AUSSI : Diffamations contre une femme en niqab : la justice sanctionne sévèrement les accusés
Il a précisé avoir fait deux déclarations de patrimoine et n’avoir rien caché. La première était le 4 juillet de son propre chef, et la seconde le 14 juillet après avoir reçu une correspondance du Premier ministère demandant aux ministres sortants de déclarer leurs biens, accompagnée de formulaires.
Il a souligné que dans tous les cas, la déclaration de patrimoine existe et qu’il n’y a aucune infraction liée à la non-déclaration, toutes les données et preuves le confirmant.
« Est-ce un enrichissement illicite ? »
Interrogé par le juge sur ses biens et ceux des membres de sa famille en Algérie et à l’étranger, Louh a déclaré qu’il n’avait jamais imaginé être poursuivi pour enrichissement illicite.
Il a précisé avoir déclaré en 2002 une résidence à Marset Ben M’hidi, une petite commune de Tlemcen, sa ville natale, où il vivait avec ses parents. Cette propriété était louée en 1986 lorsqu’il était juge et a été cédée dans les années 1980 dans le cadre de la loi de cession des biens de l’État pour un montant de 100.000 DA.
De nombreux citoyens ont bénéficié de cette loi. « Est-ce un enrichissement illicite ? Je ne suis pas le seul à avoir bénéficié de la cession », s’est-il interrogé.
Le juge l’a également questionné sur deux propriétés, une villa à Staouali et une villa à Dely Ibrahim. Louh a répondu que la propriété, Marset Ben M’hidi, d’une superficie de 96 mètres carrés, avait été cédée et qu’il l’avait déclarée avant la promulgation de la loi, ajoutant que la loi ne pouvait être appliquée rétroactivement.
Il a ajouté qu’il y avait une clinique en activité à Marset Ben M’hidi qui a été cédée et reconstruite. Il a acheté un terrain en 1984 à 20.000 DA et construit une maison avec ses économies et celles de son épouse.
«J’ai pris un crédit CNEP et j’ai construit une villa achevée en 1995. Je l’ai vendu en 2015 à 30 millions de dinars, et j’ai ajouté une somme de 10 millions de dinars par chèque pour acheter la villa de Staouali dans le cadre d’achat sur plan à 21 millions de DA que j’ai vendu plus tard à 80 millions de DA et avec quelques économies, j’ai acquis une villa à Dely Ibrahim».
Il a souligné que lorsqu’il était cadre, il n’avait même pas de voiture et que les propriétés qu’il possédait correspondaient à ses revenus et à ceux de sa femme.
Interrogé sur la cohérence de ces acquisitions avec ses revenus, Tayeb Louh a insisté : « Je touchais un salaire mensuel de 300 000 DA et l’avantage d’un ministre c’est qu’il ne paie pas de loyer et n’a pas de grandes dépenses. J’insiste là sur l’établissement d’une expertise pour confirmer mon innocence ».
Biens de sa fille : « La lettre anonyme était trompeuse »
Interrogé par le juge sur les biens de sa fille, qui possède une propriété à Ain Benian, Louh a répondu que la propriété était enregistrée à son nom et qu’elle l’avait achetée avec ses fonds propres et ses économies.
Concernant l’appartement situé à Mansourah, dans la wilaya de Tlemcen, Louh a affirmé que l’allégation était fausse et que la lettre anonyme était trompeuse.
Il a finalement demandé à la cour de l’acquitter de toutes les accusations portées contre lui, insistant sur le fait qu’il n’avait aucun enrichissement illicite. « J’ai 74 ans et j’ai passé 40 ans au service du pays. Toutes ces épreuves que j’ai vécues, comme la lutte contre le terrorisme. Je suis ici en prison depuis 6 ans. Ai-je fait du mal à des peuples, à des enfants, ai-je égorgé des femmes ? Y a-t-il eu une affaire de scandale moral contre moi qui ait secoué la société pour que je sois emprisonné afin de satisfaire l’opinion publique ? », a déclaré Louh, ajoutant : « Louh est connu pour son intégrité et l’application stricte de la loi. »
Le parquet dénonce des « déclarations volontairement tardives »
Dans son réquisitoire, le représentant du parquet a souligné que l’accusé avait manqué à son devoir de déclaration de biens. Il a affirmé que Louh avait acheté des biens pour les revendre sans les habiter, et que ses déclarations de 2019 étaient volontairement tardives pour éviter d’être interrogé sur la provenance de ses fonds.
Le procureur a également mis en avant l’incapacité de l’accusé à justifier la différence de valeur des biens acquis. Le Trésor public s’est constitué partie civile dans cette affaire.