Le Chemin de croix des migrants subsahariens en Algérie

Le Chemin de croix des migrants subsahariens en Algérie

Il est 7H45. Les rues du centre-ville d’Alger sont désertes. Les premiers travailleurs matinaux avancent tête baissée et à toute vitesse. Ils ne semblent pas voir l’adolescent assis. Un jeune homme noir, portant des vêtements déchirés, est assis à même le sol. Devant lui, une feuille blanche est posée pour que les passants y déposent de la monnaie.

Âgé de 15 ans, Khalid vient du Niger et fait partie des 5.900 migrants mineurs qui sont dans la capitale depuis le début de l’année. Selon le rapport de Médecins du Monde, « plusieurs dizaines de milliers de migrants vivent aujourd’hui sur les côtes algériennes ». Ils traversent l’Algérie dans le but d’atteindre l’Europe, mais faute de moyens, ils finissent par passer en moyenne trois ans sur le territoire algérien.

Les conditions de vie, la guerre et l’extrême pauvreté (un taux de 48.9 %) qui touchent le Niger ont poussé Khalid et 18.000 Nigériens à quitter leur pays cette année.

Il explique dans un mélange de haoussa et de français approximatif qu’il est le seul de ses quatre frères et sœurs à avoir migré alors qu’il était encore mineur. Il a traversé les frontières dans le but d’obtenir du travail et d’envoyer de l’argent à sa famille. Mais n’ayant pas trouvé d’entreprise qui accepte de l’employer, Khalid se retrouve à mendier.

Lui et ses camarades de migration dorment dans des camps de fortune, sous des tentes qu’ils fabriquent eux-mêmes. Les conditions de vie en hiver sont rudes et ils n’ont pas accès à l’eau courante.

En Algérie, le seul domaine qui accepte d’employer des migrants subsahariens est celui du bâtiment. Les migrants subsahariens se retrouvent chaque matin à l’aube, dans des quartiers ouvriers où ils sont « ramassés ».

Sans assurance, ni déclaration de travail, ils sont payés des sommes modiques et sont exposés aux accidents de travail. Le 19 janvier 2017, un migrant malien a perdu la vie suite à un effondrement à Alger dans le cadre d’un aménagement sans contrôle.

Les femmes, quant à elles, ont très peu de chances de se faire embaucher. Sans titre de séjour, il est difficile de se faire accepter par la société et elles sont aussi reléguées au statut de mendiante. Même dans le cas où les employeurs acceptent de faire travailler des personnes étrangères, les préjugés de la société sont un frein à l’acceptation des travailleurs issus de la migration.

En juin dernier, une crèche a renvoyé une cuisinière d’origine subsaharienne suite aux plaintes des parents qui l’accusaient de « sorcellerie ».

Ces cas de discrimination sont loin d’être isolés, puisque le racisme ancré dans la société se transforme parfois en actes de violences physiques. En mars 2016, des attaques envers des migrants ont été perpétrées à Ouargla et Béchar et quarante personnes ont été blessées.

On pourrait croire que ces cas de racisme sont isolés, mais le racisme « anti-noir » est assez répandu dans la société et même de hauts responsables se permettent des discours de haine. Farouk Ksentini, président, à l’époque, de la Commission nationale consultative de promotion et de protection des droits de l’Homme a déclaré au quotidien Essawt El Akher le 5 décembre 2016:

« Ces gens-là deviennent agressifs par rapport à leurs maladies et à leur comportement, surtout les Maliens et les autres Africains, comparativement aux Syriens qui ne le sont pas. (…) Nous sommes exposés au risque de la propagation du Sida ainsi que d’autres maladies sexuellement transmissibles à cause de la présence de ces migrants ».

Ces déclarations renseignent sur l’état d’esprit de certains Algériens au sujet de la présence des migrants subsahariens sur le territoire. En effet, le 1er décembre 2016, les autorités ont lancé un mouvement d’expulsion collective, Selon l’organisation Human Rights Watch, les autorités algériennes auraient rassemblé plus de 1.400 migrants subsahariens lors de séances impromptues de « ramassage. »

Sans faire de distinction entre ceux dont la situation était régularisée et ceux en séjour illégal, ils auraient été arrêtés sur leurs lieux de travail. Ceux qui ont refusé de quitter les lieux auraient été victimes de violences. Ils ont ensuite été transportés par bus et enfermés dans un centre de rétention à trente-cinq kilomètres de la capitale.

Cependant, ces traitements sont considérés comme illégaux au vu de la Convention internationale entrée en vigueur en 1954 et signée par l’Algérie. Se basant sur la protection des droits des travailleurs migrants et de leurs famille, la convention stipule qu’il est interdit de procéder à une expulsion collective de travailleurs migrants. S’il y a expulsion, elle doit être dûment examinée et devrait être basée sur des délits commis sur le territoire Algérien.

Selon Human Rights Watch, plusieurs centaines de migrants auraient été amenés de force vers les frontières Nigériennes. Mais avant d’être expulsés, les migrants sont d’abord « détenus » dans un centre de rétention à Zéralda, à 35 kilomètres de la capitale.

Nous avons tenté d’y accéder afin de connaître les conditions dans lesquelles sont détenues ces migrants, mais en vain. Arrivés sur place, les autorités nient la présence de ce centre, dont l’existence a pourtant été prouvée.

Le fait que les migrants finissent par choisir comme destination l’Algérie, malgré les conditions d’accueil n’est-il pas reflet du taux de leur désespoir ? A la recherche de l’Eldorado, les migrants subsahariens atterrissent dans un Lampedusa Africain, avant d’être renvoyés à leur misère…