L’aéroport de Djeddah ciblé après le massacre de Sanaa.

L’aéroport de Djeddah ciblé après le massacre de Sanaa.

Apres Assir, Nejrane, Jizane et Taef, les forces de missiles balistiques yéménites ont ciblé cette nuit du 27 octobre l’aéroport Abdelaziz de Djeddah. Selon des sources officielles yéménites, le missile de type Borkane 1, a atteint sa cible avec précision, causant d’importants dégats à l’aéroport saoudien, selon l’agence officielle SABA.

De son côté l’agence saoudienne SPA, a confirmé cette information, en indiquant « qu’un missile balistique lancé par les milices Houthi a été intercepté à 21h00, ce soir, à partir de la province de Saada », ajoutant que le missile a été intercepté et détruit, sans causer aucun dommage. L’aéroport Abdelaziz, se trouve au Nord de la ville saoudienne de Jeddah, situéé à quelques 600 km des frontières yéménites.

Ce n’est pas la première fois que Ryadh tente de minimiser la portée des attaques yéménites sur son sol et aux villes frontalières avec le Yémen, son voisin, contre lequel elle a lancé le 26 mars 2015 une campagne militaire des plus meurtrières, avec plus de 10.000 victimes dont la moitié des civils, selon l’ONU.

Le 8 octobre, le massacre d’une cérémonie funéraire à la grande salle de Sanaa a fait à lui seul 140 morts et 525 blessés. Cet évènement qui a choqué le monde entier, a marqué un tournant dans la lutte des yéménites contre l’agression de la coalition arabe menée par l’Arabie Saoudite et élargi le front anti saoudien. « Après ce massacre la prochaine cible sera probablement Djeddah », avait prédit un observateur yéménite qui ne s’est pas trompé sur la détermination de ses compatriotes à radicaliser leur action armée.

Mais ce qui aussi choqué et scandalisé les yéménites, c’est cette absence de condamnation par le Conseil de sécurité sur les crimes de guerre commis par la Coalition saoudienne. Révoltés, ils ont dénoncé « le manque d‘impartialité et de neutralité de l’ONU » et de son envoyé spécial au Yémen, Ismail Ould Cheikh, qui a été accusé d’avoir manœuvré pour éviter une condamnation à l’Arabie Saoudite.

Pourtant le secrétaire général de l’ONU Ban Ki Moon avait dénoncé le massacre de la cérémonie funéraire comme « une attaque odieuse contre des civils et une violation scandaleuse du droit international humanitaire » et que « cet incident horrible exige une enquête complète ».

Un groupe d’experts de l’ONU a par ailleurs établi, dans un rapport confidentiel transmis au Conseil de sécurité le 17 octobre et révélé par la presse, qu’il y a « des preuves suggérant que la coalition a contrevenu à ses obligations de protection des blessés et des personnes hors de combat lors de la seconde frappe », ce qui est contraire aux lois humanitaires internationales.

Au lendemain de ce massacre, le chef de la diplomatie britannique, Boris Johnson, a jugé « inacceptable de compter les victimes sans rien faire ». Il a déclaré que le Royaume-Uni présenterait un projet de résolution au Conseil de sécurité de l’ONU « appelant à l’arrêt immédiat des hostilités et à une reprise du processus politique », parallèlement à l’accès à l’aide humanitaire. Mais ces appels sont restés lettre morte : Ni résolution, ni enquête indépendante ne virent le jour. La réponse d’Ould Cheikh a été de proposer une treve-morte née de 72 heures qui a vu au contraire une recrudescence des combats, et qui selon des responsables politiques yéménites n’a servi qu’à détourner l’attention du crime de guerre de la cérémonie funéraire et empêcher une condamnation de l’Arabie Saoudite. L’ancien Président de la République Ali Abdallah Salah, President du parti du congrès populaire general, a affirmé qu’ »Ould Cheikh Ahmed n’est plus neutre et qu’il est devenu l’émissaire de l’Arabie saoudite ».

Le très discret Sultanat d’Oman, connu pour ses bons offices, qui a abrité plusieurs discussions contre les parties en conflit au Yémen, a porté plainte auprès du Secretaire général de l’ONU contre son envoyé spécial pour son manque d’impartialité, pour avoir usé de son influence pour empêcher l’ouverture d’une enquête sur les cas de violation des droits de l’Homme au Yémen alors que le Haut-Commissaire de l’ONU aux droits de l’Homme, Zeid Raad Al Hussein, avait appelé à la mise sur pied d’un « organisme international et indépendant pour mener des enquêtes exhaustives sur le Yémen ».

C’est dans ce climat de « crise de confiance » que l’émissaire de l’ONU est revenu à Sanaa pour relancer le processus de paix avec une nouvelle feuille de route. Sa démarche ne risque-t-elle pas d’être entachée en raison du manque d’impartialité dans le dossier dont il est accusé ?

Le plan de paix n’a pas été rendu public mais selon certaines fuites dans la presse du 28 octobre, il prévoit quelques concessions politiques (transfert des pouvoirs du Président contesté Abd Rabbo Mansour Hadi à un vice-président qui sera désigné d’un commun accord, la formation d’un gouvernement d’unité nationale), contre le retrait des forces combinées (Armée et Ansar Allah-Houtis) de la capitale Sanaa et des autre villes du Nord, comme Taez, Hodeida, la remise de leurs armes, y compris les missiles balistiques à une tierce partie, (laquelle ?) ainsi qu’un retrait à 30 km des régions frontalières avec l’Arabie saoudite.

Selon le quotidien libanais Al Akhbar, généralement bien informé, ce plan formé de 14 points et de plusieurs annexes sécuritaires, qui propose de découper le pays en six régions, n’a pas probablement été rédigé par le médiateur onusien. Il en veut pour preuve le 2ème point du plan où il est inscrit : « Les Etats-Unis, le Royaume uni, l’Arabie et les Emirats ainsi que les pays du Golfe appellent les parties yéménites à reprendre les négociations avec l’émissaire onusien ». Ce qui vient confirmer « les accusations yéménites selon lesquelles ce plan n’est autre que l’initiative du secrétaire d’Etat américain, John Kerry », écrit le quotidien libanais.

La coalition utilise la famine comme arme de guerre

Quelles chances pour la paix dans ce climat de crise de confiance avec l’ONU et dans un contexte où les affrontements militaires ont redoublé d’intensité et où la Coalition utilise la famine comme arme de guerre ?

En effet, sur le terrain, la situation économique et sociale du pays s’est gravement détériorée après 19 mois de guerre et de bombardements sans discontinuer, qui ont détruit les infrastructures civiles, économiques, sociales, culturelles. Ces destructions, conjuguées au blocus total (maritime, aérien et terrestre) sont à l’origine de la famine et des maladies qui frappent la population dans ce pays, le plus pauvre de la Péninsule arabique.

Il apparait que l’Arabie saoudite développe la famine comme arme de guerre, avec la destruction des infrastructures économiques (usines, fermes agricoles, animaux domestiques, points d’eau, barrages ect). Ainsi, 14,1 millions de personnes souffrent de la famine et la moitie des enfants yéménites sont condamnés à un retard de croissance irréversibles selon les données du Programme alimentaire mondial (PAM) établies en juin 2016.

Selon le Directeur régional du PAM, Muhannad Hadi : « La faim augmente chaque jour et les personnes ont épuisé toutes leurs stratégies de survie. Des millions de personnes ne peuvent pas survivre sans aide extérieure». «Près de la moitié de l’ensemble des enfants du pays souffre d’un retard de croissance irréversible». «Dans certaines régions comme le gouvernorat de Hodeïda, le taux de malnutrition aiguë globale chez les enfants de moins de cinq ans a atteint les 31 pour cent, plus que le double du seuil d’urgence définit à 15 pour cent».

Après la perte d’emplois pour plusieurs millions de travailleurs du fait des attaques de la coalition contre leurs usines, les fonctionnaires et les salariés, ont été privés de leur salaire et se sont retrouvés sans ressources depuis septembre dernier, après la décision du Gouvernement Hadi soutenu par Ryadh, de transférer le siège de la Banque centrale yéménite de Sanaa, vers Aden. Or cette ville du Sud Yémen est en proie à l’anarchie et à l’insécurité du fait des actions des groupes terroristes (Al Qaida et Daech) et Hadi n’a même pas pu installer le siège, provisoire, de son Gouvernement, préférant sans doute les luxueux hôtels de Ryadh.

Les mauvaises conditions d’hygiène, et notamment le manque d’eau potable et la destruction des hôpitaux et le manque de médicament à cause de l’embargo, ont fini par provoquer plusieurs maladies dont le Choléra, dont l’épidémie a été confirmée par l’OMS Neuf personnes en sont mortes à Aden, selon le ministère de la Santé.

« Dans ses bombardements, l’Arabie Saoudite a désormais décidé d’inclure les vaches, le sorgho et les fermes. Pourquoi s’en prendre à l’agriculture ? » s’interroge le site El Ahed 4, qui estime que sen prendre délibérément aux activités agricoles du Yémen c’est pour léser « le Yémen d’après-guerre, qui ne sera pas seulement ravagé par une terrible famine, mais sa survie dépendra totalement des importations alimentaires ».

Al Ahed se réfère à l’universitaire Martha Mundy, professeur émérite de la London School of Economics, qui a constate que « dans certaines régions, les Saoudiens frappent volontairement des infrastructures agricoles, dans le but de détruire la société civile ». Les Saoudiens ont opéré plus de 360 bombardements, dans 20 provinces, visant des fermes, des animaux, l’infrastructure hydraulique, des magasins alimentaires, des banques agricoles, des marchés et des transports alimentaires, selon ce chercheur.

Pourtant, selon la même source, l’Arabie Saoudite a signé le Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949, qui stipule spécifiquement qu’il est « interdit d’utiliser contre les civils la famine comme méthode de guerre, d’attaquer, de détruire, d’enlever ou de mettre hors d’usage des biens indispensables à la survie de la population civile » .

C’est à Hodeida, où la famine est la plus importante, que cette stratégie de guerre est bien visible, avec les attaques de l’aviation de la coalition contre les embarcations des pêcheurs yéménites, dont l’unique moyen de subsistance est la petite pêche, mais sans doute aussi pour isoler cette vile cotière, qui reste l’unique entrée maritime que la coalition cherche à tout prix à couper pour empêcher toute entrée de denrées alimentaires et toute aide en provenance de l’étranger.

Sur le terrain militaire, le front anti-saoudien, s’est élargi après le massacre de La grande salle qui a marqué un tournant dans le conflit, avec le ralliement de plusieurs tribus à la lutte armée, contre la coalition saoudienne. Les tribus de la région de Nihm à Sanaa, celles des régions de Saada, Hajjah et Bani Awam ont annoncé la mobilisation générale en réponse à l’appel lancé par la grande tribu des Khowlane de Sanaa.

Ce ralliement des tribus importantes dans la structure sociale, a permis un renforcement des rangs des forces opposées à la domination de l’Arabie Saoudite. Les combats aux frontières avec le royaume de Saoud se sont accentués à Nejran, Assir, Jizan où plusieurs bases militaires saoudiennes ont été détruites par les rocquettes et les missiles yémenites qui ont aussi ciblé la ville saoudienne de Taef. Et aujourd’hui c’est au tour de Djeddah.

Dans ces conditions, la paix, qui semble encore loin au Yémen, finira-t-elle par s’imposer ? Seulement si un véritable plan de l’ONU garantit les droits du peuple yéménite agressé par une coalition arabe de 10 pays, aidée par les USA, le Royaume Uni et d’autres puissances occidentales.