Combattre pour sauver les réfugiés

Combattre pour sauver les réfugiés

Il y a, au large des côtes libyennes, deux bateaux. L’un s’appelle le C-Star et l’autre, l’Aquarius. Ces deux bateaux, si similaires à première vue, n’ont pourtant rien en commun. Si le premier se veut messie, le deuxième, lui, se veut à peine plus humble : il se dit humanitaire. À cause de cela peut-être, ces deux bateaux sont aujourd’hui ennemis.

Le C-Star, avec ses airs messianistes, empêche l’Aquarius à tout prix de remplir la tâche à laquelle il s’était voué.

Quelle pourrait être la tâche de l’Aquarius pour que le C-Star s’obstine autant à l’entraver ?

L’Aquarius est un bateau humanitaire qui a pour but de secourir les migrant(es) s’essayant à la traversée périlleuse de la Méditerranée. Vulgairement parlant, l’équipage à son bord, membres du OIM (Organisation Internationale pour les Migrations) sauve les réfugié(es) d’une noyade quasi certaine.

Le C-Star, de son côté, effectue une toute autre opération que l’équipage de ce bateau, dont les matelots sont membres d’un groupuscule d’extrême-droite, nomme  »Defend Europe ». Vulgairement parlant, encore une fois, le C-Star considère que ces migrant(es) seraient avant tout une menace pour l’Europe et pour l’Occident. C’est ainsi que celui-ci empêche le premier de sauver ces migrant(es), perdu(es) en pleine mer.

Si l’idéologie de chacun de ces deux bateaux, par son opération respective, est aux antipodes  avec celle de son homologue, ce ne serait dû, selon toute vraisemblance, qu’à une histoire de définition : l’un sauve les migrant(es); l’autre est au plus assassin et au moins complice de la noyade de ces mêmes migrants.

Alors finalement, qui sont ces migrants ?

Selon le dictionnaire en ligne L’internaute, le sens premier du mot  »réfugié » se décline ainsi :  »Qui a quitté sa région ou son pays pour éviter un danger.  »

Essayons donc de trouver une définition du terme  »migrant » en exposant certains faits et de la cristalliser, afin de comprendre les agissements du C-Star et de ce fait, analyser les mécanismes qui ont abouti à une telle dérive.

L’Afrique du Nord, terre d’exil ?

181.000. C’est le nombre de migrants parvenus en Europe via les côtes italiennes au cours de cette année. Ces mêmes individus, fuyant la guerre, la misère et les maladies que l’on croyait disparues – à titre d’exemple 300.000 personnes sont touchées par une épidémie de choléra au Yemen – et pensant trouver refuge en Afrique du Nord, ont très vite été confrontés à une triste réalité.

En Libye, profitant de l’instabilité du pays, un marché parallèle d’esclaves a vu le jour dans certaines principautés. Les migrants deviennent des forçats; les migrantes, des femmes de ménages et accessoirement, des esclaves sexuelles. Se vendant au plus offrant dans les places publics ou dans de simples garages, le coût de chaque esclave se situe entre 200 et 500 $. C’est ainsi que ces migrant.es quittent une misère pour une autre qui, du reste, aura l’avantage de définir clairement leurs tristes sorts.

En Algérie, ce n’est pas dans les places publics que l’on fait des misères aux migrant(es), mais plutôt dans les institutions gouvernementales. Le conseillé du Président Bouteflika, Ahmed Ouyahia, ainsi que le ministre des Affaires Étrangères, Abdelkader Messahel, ont tour à tour secoué les manchettes en déclarant ouvertement leur hostilité envers les migrant.es. Si le premier les traite de  »menaces » le second les qualifie plutôt de  »porteurs de drogues et d’autres fléaux ».

L’Eldorado nord africain s’avère être un rêve perdu. Il faut croupir dans la misère du pays ou tenter l’impossible, c’est-à-dire la seule option : traverser la mer.

Lorsque les migrant(es) survivent aux expulsions, aux lynchages ou aux exécutions sommaires, c’est la déshydratation ou la noyade qui les guettent. C’est entassés au-delà de la capacité des embarcations de fortunes que ces derniers quittent ces terres où ils pensaient naïvement trouver refuge.

C’est ici que le combat entre l’Aquarius et le C-Star commence.

À présent, il est tout à fait légitime de s’interroger sur le travestissement de la définition de  »réfugié » qui a mené à des dérapages comme celui de l’équipage du C-Star et de leurs acolytes.

L’institutionnalisation et la banalisation outre-mesure du racisme en Algérie comme dans plusieurs autres pays, semblent avoir trouvé écho chez une certaine proportion de la population, pratiquant désormais un racisme ouvertement décomplexée. Celui-ci n’a pu que s’amplifier avec le concert  des réseaux sociaux et de certains médias couvrant d’éloges les déclarations mentionnées.  Ce qui n’est pas sans rappeler certains pans douloureux que nous a légué l’histoire.

Par ailleurs, en surexploitant les termes  »migrants » et  »réfugiés » dans la rubrique faits divers de certains médias, leur sens premier en a d’abord été réquisitionné avant d’être travesti.

C’est qu’à force de parler de Mohamed-le-terroriste; de Mamadou-l’agresseur-délinquant; de Fatoumata-toucheuses-de-prestations-sociales, nous avons fini par ignorer les millions de Mohamed chômeurs parce qu’ils sont marginalisés à l’emploi; oublier les millions de Mamadou fuyant l’esclavage et engloutis par les eaux; délaisser les millions de Fatoumata aux mains de leurs infâmes bourreaux.

C’est ainsi que ce sont placés, dans l’imaginaire des détracteurs des migrants, des liens tout à fait farfelus où règne le désordre et où le sophisme se veut maître. L’humanisme est expurgé de ces termes et l’on pense davantage au concept plutôt qu’à l’humain. C’est le point culminant de ce que l’on appelle la mécanisation des relations entre les individus : aucun contact personnel n’est établi, mais voilà que certain.es se mettent à crier à la calomnie et au drame lorsque d’autres ne veulent que sauver d’une mort certaines ces individus.

Condamner les discours haineux envers ces migrants devrait devenir une priorité absolue. La visibilité de ces millions d’êtres est perquisitionnée et est travestie en lui accolant une image négative. C’est cette prise d’otage idéologique qui a conduit à ce qu’une étiquette s’appose naturellement sur l’opinion, banalisant par là le racisme et le rendant presque comme allant de soi.

Ces migrants sont en danger de mort et certains s’opposent, sous des discours victimaires, à leur sauvetage. Savent-ils seulement que leurs discours et les étiquettes qu’ils accolent à ces exilés trouvent un écho prépondérant chez une certaine proportion de la population mûr pour la haine, les désordres et aux gestes inédits par leurs violences ?

Au fond, les étiquettes que ceux-là accolent à ces êtres, ne font-elles pas de ces détracteurs – se réclamant volontiers héritier.es des Lumières – de vulgaires matelots à la solde du C-Star ?