Samsung, le danger de la succession

Samsung, le danger de la succession

REFILE - ADDITIONAL CAPTION INFORMATION
Former Samsung Group Chairman Lee Kun-hee (C) leaves after his trial at a Seoul court in this October 10, 2008 file photo. Lee, who stepped down from Samsung Group in April 2008 after being indicted for tax evasion and breach of trust, returned to head Samsung Electronics in 2010. As its smartphone sales stutter and a generational leadership succession looms, Samsung Electronics Co Ltd is under pressure to reinvent itself - to be more innovative, but not lose the rigor and focus that made it a global powerhouse. Samsung last month posted an unexpectedly sharp drop in second-quarter earnings, squeezed by falling market share in smartphones, and with no obvious driver in sight to reverse the decline. Lee Kun-hee, 72, who has famously managed Samsung with a sense of "permanent crisis", remains hospitalised following a May heart attack. The ascension of his son and heir-apparent, the Harvard-educated Jay Y. Lee, 46, could be a breath of fresh air, but effecting wholesale change in the way the sprawling company operates would be a Herculean task and could prove a mistake. To Match Insight SAMSUNG ELEC-CULTURE/    REUTERS/Jo Yong-Hak/Files (SOUTH KOREA - Tags: BUSINESS)Le patriarche qui règne sur un empire industriel est au plus mal. Les héritiers se préparent.

Après deux semaines de coma, «l’Empereur» a rouvert un œil. Une lueur d’espoir déclenchée par la victoire de l’équipe de baseball des Samsung Lions retransmise à la télévision dans sa chambre, où le clan familial est venu à son chevet. À 72 ans, l’inoxydable Lee Kun-hee semble tromper une nouvelle fois la mort, en réchappant de l’attaque cardiaque qui l’a frappé le 11 mai dernier. Cela fait désormais trois mois que le patriarche est alité, entre la vie et la mort, et beaucoup craignent qu’il s’agisse de son dernier combat.

La scène, digne d’un feuilleton, se déroule dans un hôpital Samsung, non loin de sa villa du quartier huppé d’Hannamdong, au cœur de Séoul. C’est de là que le président du numéro un mondial de l’électronique grand public veillait dans l’ombre sur les destinées d’un des plus grands conglomérats de l’histoire industrielle. Le visionnaire patron reste un combattant, qui a déjà vaincu un cancer par le passé.

Le pays du Matin-Calme retient son souffle. Car l’empire Samsung, et ses 74 entreprises, pèse à lui seul 20 % du PIB de la Corée du Sud, la 14e puissance mondiale. À Séoul, même à voix basse, on hésite à évoquer le sujet tabou de la succession, pourtant dans toutes les têtes. À Hongkong ou à New York, les investisseurs et analystes sont sur le qui-vive, anxieux de savoir qui reprendra la barre de Samsung Electronics. La question est d’autant plus pressante à l’heure où son leadership sur les smartphones s’effrite et ses profits plongent.

La presse sud-coréenne marche sur des œufs, les rumeurs bruissent autour de la guerre de succession entre les enfants du patriarche. La concurrence est vive entre l’héritier désigné Lee Jae-yong, 46 ans, diplômé de Harvard, et sa petite sœur Boo-jin, la fille préférée, patronne d’une chaîne d’hôtels cinq étoiles. «De nombreux détails ne sont pas réglés et les enfants négocient toujours», souffle une source proche de la famille. Avec pour enjeu de maintenir le contrôle familial absolu sur l’empire garanti par un savant système de participations croisées. Aujourd’hui, Lee Kun-hee règne sur un groupe dont la capitalisation boursière atteint 470 milliards de dollars, en ne possédant que 2 % des actions.

Dans la ligne de mire

Ses héritiers font face à un dilemme: pour échapper aux astronomiques droits de succession qui pourraient dépasser les 5 milliards de dollars, ils devraient céder des parts, au risque de faire s’effondrer le précaire jeu de dominos échafaudé par leur père. Le pouvoir ou l’efficacité fiscale? Une guerre entre héritiers ouvrirait la voie à une dislocation du groupe et à une influence croissante des actionnaires, pour l’heure écartés des décisions les plus stratégiques.

Le sujet est sensible, alors que les critiques s’accumulent en Corée du Sud contre la toute puissance des «chaebols». La famille Samsung est dans la ligne de mire, car Lee Kun-hee fut condamné à la prison avec sursis pour évasion fiscale en 2007 et la présence de Samsung dans la quasi-totalité des domaines de la vie quotidienne en Corée fait grincer des dents. Cyniquement, la lente agonie de Lee est la dernière fenêtre de tir pour préparer l’avenir.

Les grandes lignes du scénario sont tracées: le fils, Lee Jae-yong héritera du vaisseau amiral Samsung Electronics, mais n’aura pas les coudées franches. «Ce sera comme dans un mariage coréen traditionnel: l’homme est le leader, mais la femme tient les cordons de la bourse», résume une source proche de la famille. Ce quadra se prépare depuis vingt ans à reprendre les rênes dans l’ombre du père, mais les analystes s’interrogent sur sa capacité à endosser le costume de leader charismatique. «Son père a révolutionné Samsung en faisant le choix stratégique de la qualité en 1993. Pour être respecté, Jae-yong doit accomplir un exploit similaire. Je doute qu’il en soit capable», explique Chang Sea-jin, auteur d’un ouvrage sur la rivalité entre Samsung et Sony.

Le charisme du leader joue un rôle essentiel chez Samsung, modèle confucéen de management ultrahiérarchique. Avare de paroles, les ordres de Lee Kun-hee tombent comme des oracles sur ses 470.000 employés. En 1993, il leur demandait de «tout changer sauf de femme». Pour souligner l’importance de la «qualité», il présidait à un «autodafé» industriel, brûlant 150.000 produits jugés défectueux. Visionnaire, Lee a transformé l’affaire paternelle de poissons séchés lancée en 1938 en géant mondial de l’électronique. Mais ses méthodes stakhanovistes hérissent les nouvelles générations en quête de qualité de vie. L’héritier au look de gendre idéal pourrait incarner une nouvelle ère, ou le crépuscule d’une dynastie industrielle hors norme.