Hospitalisation à domicile: une équipe au chevet des cancéreux d’Oran

Hospitalisation à domicile: une équipe au chevet des cancéreux d’Oran

ORAN – Il est 9h00. L’équipe de l’hospitalisation à domicile (HAD) au CHU d’Oran est déjà prête à entamer sa journée, sillonnant les quartiers de la ville, pour soulager des malades qui n’ont plus la force de se déplacer vers les structures sanitaires.

L’ambulance est garée devant le service d’oncologie. Les malades pris en charge par cette unité sont des cancéreux, dans un état avancé. Par respect aux malades concernés, le véhicule ne porte aucune indication sur la nature des patients concernés. La pudeur des malades ne souhaitant pas afficher leur mal devant les yeux curieux des voisins a conduit l’administration à effacer la mention « service oncologie », peinte sur les portières du véhicule.

A l’intérieur de ce dernier, se trouve une équipe cent pour cent féminine: une jeune infirmière, une psychologue et une ambulancière, Hanane, la seule femme à conduire une ambulance dans toute la région Ouest du pays.

C’est le Dr Fatma Zerrouki qui se charge de présenter à l’APS son service. Avec cinq autres médecins généralistes, deux infirmières et une psychologue, l’unité HAD relevant du service d’oncologie du CHUO, se rend chaque jour au chevet de cinq à six malades, se trouvant à un stade avancé de leurs cancers, pour leur prodiguer des soins palliatifs.

Les malades pris en charge par cette unité, créée en mars 2015, sont à 90% des personnes âgées, rongées par la maladie et pour qui les traitements habituels (chimiothérapie et radiothérapie) ont été jugés inutiles et inefficaces par les médecins.

Malgré le soleil radieux de cette journée d’un automne débutant, l’atmosphère dans le véhicule est un peu tendue. Toute le long du trajet, l’équipe est peu bavarde. Les visages sont crispés et les regards pensifs. Côtoyer la maladie, la souffrance et la mort au quotidien laisse inexorablement des traces.

Une école pour apprendre le sens de la vie

« Ce service est une véritable école pour qui veut apprendre des leçons de la vie », ajoute Dr Zerrouki, avant de se presser de donner les dernières instructions. Elle informe le reste de l’équipe que c’est le Dr Bouhalouan qui va finalement diriger la mission. Ses obligations professionnelles et sa responsabilité l’obligent à rester sur place. Dès que le Dr Bouhalouan ait pris place dans le véhicule, l’ambiance change. Bon causeur, avec un contact facile, l’équipe se lâche, oubliant presque la présence d’une journaliste. Le trajet entre le CHU et le quartier d’Eckmuhl, où réside le premier patient de la journée, était riche en discussions.

Le Dr Bouhalouan fait preuve d’un grand sens de communication et d’ouverture. Une qualité qui s’est confirmée tout au long des visites chez les différents patients. Très proche des malades, il s’occupe d’eux comme on s’occupe de sa propre famille. Il masse les mains de Rabia, embrasse El hadja Zineb, enlace El Hadj Dahou.

D’emblée, on constate que le comportement de ce praticien est sincère, mû par un réel sentiment de compassion et de générosité. « Des qualités indispensables pour pouvoir continuer à travailler dans notre service », souligne Djamila, la psychologue. « Il faut aussi avoir de la force », rétorque Imen, l’infermière de 25 ans. « A chaque fois qu’un patient meure, je me fais la promesse de ne plus m’attacher aux malades et d’avoir avec eux un rapport purement professionnel. Mais, je finis toujours par m’attacher, par tisser des liens avec eux et me chagriner à chaque fois que quelqu’un nous quitte », confie-t-elle, émue.

Il est vrai qu’il est difficile de ne pas s’attacher aux malades. Ces derniers et leurs familles partagent tellement de choses avec les membres de l’équipe HAD. Leurs souffrances et leurs malheurs, leurs peurs et angoisses, mais aussi de bons moments, du rire, des anecdotes, de la nostalgie… La visite de l’unité HAD est loin d’être purement technique.

Les membres de l’unité HAD finissent toujours par s’investir affectivement et émotionnellement. Les patients et leurs familles le leur rendent bien. Les yeux remplis de reconnaissance et de soulagement de les voir débarquer, les malades et leurs proches se lancent souvent dans des kyrielles de « Daaoui El Kheir », ne sachant comment remercier ces « anges gardiens » qui leur épargnent tant de peines.

Khalti Yamina en témoigne. Elle s’occupe de son époux de 72 ans, atteint depuis deux années d’un cancer de la prostate, avec des métastases osseuses. Avant la prise en charge du malade par l’unité HAD, elle était contrainte de déplacer son époux, grabataire, dans une ambulance privée, qui lui coûtait jusqu’à 18.000 DA. Une fortune pour une famille qui n’a pour seul revenu qu’une mince retraite. « Les filles (en parlant des infirmières) m’ont vu négocier avec l’ambulancier devant le service de l’oncologie. Elles sont venues me proposer une prise en charge à domicile. Cela fait maintenant un an que l’équipe vient à domicile prodiguer à mon époux les traitements nécessaires », explique-t-elle.

El Hadj Dahou, du haut de ses 89 printemps, souffre d’un cancer du poumon. Il semble bien se porter. Vivant avec sa femme, son fils benjamin et sa petite famille, El Hadj Dahou ne peut pas se plaindre de ses conditions de vie. Sa bru est aux petits soins. « C’est ma deuxième infirmière », dit-il, tout fier d’avoir une personne aussi dévouée à ses côtés.

Accepter la terrible « sentence »

La visite chez El Hadj Dahou, résidant à Haï Salam (ex-saint Hubert) a duré presque une heure, le temps de l’examiner et de lui administrer une perfusion contenant un corticoïde pour l’aider à mieux respirer. Une heure de partage, durant laquelle l’octogénaire raconta, avec beaucoup d’humour et une pointe de nostalgie, l’histoire de ses quatre mariages et ses onze enfants. « J’ai eu de quoi composer une équipe de foot au grand complet » s’exclame-t-il en riant.

Si les deux premiers patients ont l’air de « bien s’accommoder  » de leur maladie, le cas n’est pas le même pour tout le monde. « Ce sont ceux qui n’acceptent pas leur maladie ou qui vivent des conflits familiaux, qui se portent le plus mal », rappelle Djamila, la psychologue.

Jusque-là, l’humour et la convivialité était au rendez-vous, mais la troisième visite s’annonce un peu plus difficile. Dr Bouhelouan prévient que la prochaine patiente ne se porte pas aussi bien que les précédents.

Yamina, 59 ans, atteinte d’un cancer du sein, n’a pas pu vaincre la maladie malgré plusieurs thérapies. Après des métastases osseuses, les médecins ont décidé d’arrêter les traitements et de se contenter de soins palliatifs.

Le terrible mal a rongé les os de cette pauvre femme. Demeurant en position allongée depuis plus d’un an, ses nerfs lâchent. Elle n’en peut plus. Ses crises de nerf se multiplient et nourrissent ses conflits avec son fils, avec qui elle a une relation déjà mitigée. Son enthousiasme n’est pas à son top vis-à-vis de l’équipe. Elle lui reproche « de ne rien changer à sa situation ». Elle ne veut pas admettre qu’elle est condamnée. Elle supplie le Dr. Benhaloun de l’aider à décrocher une prise en charge à l’étranger. Lui n’ose pas lui dire la réalité des choses.

La générosité et la compassion des membres de cette équipe ne palient pas une formation pour la prise en charge psychologique de personnes condamnées. Djamila n’est titulaire que d’une licence en psychologie clinique. Elle aimerait bien être formée pour affronter ce genre de situations. Une formation qui lui permettra de se positionner par rapport à beaucoup de choses, en l’occurrence la décision d’annoncer ou non le diagnostic au malade.

La condamnation est taboue chez les familles. Elle le reste avec les membres de l’équipe. Annoncer un cas désespéré, la mort prochaine d’un malade est une mission éprouvante pour tous. « La majorité des familles demandent aux médecins de ne pas révéler la triste réalité au malade pour les préserver », indique le Dr Benhaloun, estimant que cacher la vérité risque d’installer entre le malade et sa famille un décalage tel que chacun le vivra de part et d’autre comme un mur de silence, isolant notamment le malade.

En l’absence d’un code ou d’un consensus ou même d’une formation adaptée, l’équipe HAD est contrainte de se plier à la volonté des familles du malade. Taisant la réalité, être parfois contraint de mentir pour ne pas choquer, pour ne pas blesser.

Incontestablement, l’unité HAD reste une initiative à saluer et surtout à multiplier. « Tous les services spécialisés dans les maladies chroniques devraient avoir des unités semblables », estime Dr Benhaloune, regrettant qu’une seule ambulance ne suffit pas pour le service oncologie, qui a besoin de plus de moyens pour mieux prendre en charge ces malades qui en ont le plus grand besoin.