Automédication : Un phénomène qui prend de l’ampleur.

Automédication : Un phénomène qui prend de l’ampleur.

Maux de gorge, fièvre, douleurs digestives… Soigner les petits maux du quotidien à l’aide de médicaments est devenu un réflexe pour beaucoup de citoyen qui optent pour un ou plusieurs médicaments dispensés dans une pharmacie et non prescrits par un médecin.

L’automédication ou la prise de médicaments sans avis médical est devenue un phénomène très répandu en Algérie. Un habitant sur trois s’improvise médecin d’un jour quand il s’agit de soigner une légère toux ou un banal mal de tête…  Interrogés sur la question, des pharmaciens à Alger-Centre confirment que les clients sont de plus en plus nombreux à se présenter aux officines pour demander des médicaments sans ordonnance.

Nos interlocuteurs précisent qu’ils sont généralement servis sans problème lorsqu’il s’agit d’un remède d’usage courant, ne présentant aucun danger pour le patient, tel que des pommades, du sirop contre la toux, des comprimés pour soulager un simple mal de tête.

Quoi qu’il en soit, M. Chikhi, pharmacien à Kouba, précise : «Nous conseillons toujours à nos clients de consulter un médecin, mais nous refusons catégoriquement de servir des produits qui ne peuvent être livrés que sur prescription médicale, parce que la loi nous l’interdit. En plus, nous ne le ferons pas par rapport aux risques qu’ils pourraient présenter pour le patient en raison des éventuels effets secondaires que seul un médecin peut prévenir après auscultation du patient.»

Rencontré sur place, un client, venu sans ordonnance, nous a déclaré qu’il ne consultait que rarement le médecin, et que cela avait toujours «marché». «Je ne vais pas aller chez le médecin pour me prescrire un cataplasme, d’autant que le remboursement de la visite médicale par la CNAS est de cinq ou six fois inférieur aux honoraires payés au médecin», dit-il. Le risque initial grave que prend l’usager est d’assimiler à tort la nouvelle maladie à une pathologie bénigne qu’il croit reconnaître, et de faire ainsi une erreur de diagnostique retardant ainsi la mise en place d’un traitement efficace.

Un second risque s’ajoute, celui lié au fait qu’un traitement symptomatique léger peut masquer partiellement ou même totalement la symptomatologie et retarder le diagnostic d’une pathologie, entravant la mise en place de son traitement.  Il est vrai que l’automédication permet de faire des économies sur le budget santé, car cela évite d’avancer les frais pour une consultation médicale, mais elle n’est pas sans risque.

Un problème d’éducation sanitaire

Selon le Dr Salhi, «toute consommation peut conduire à des excès. On peut penser contrôler cette automédication, alors que dans certains cas, elle produit des effets secondaires qui peuvent provoquer d’autres maladies en cas de contre-indications non respectées… Un autre problème peut aussi compliquer l’état de santé du patient. Il s’agit de l’interaction avec un autre traitement en cours… À titre d’exemple, la prise d’anti-inflammatoires ou d’aspirine peut également inhiber l’action d’autres médicaments», nous confie-t-il.

Notre généraliste conseille les patients de bien lire la notice, les explications, les contre-indications et surtout respecter la posologie, avant de prendre un médicament. Si  les troubles ne disparaissent pas au bout d’une semaine, il faut absolument consulter un médecin.

De son côté, le président du Conseil de l’ordre des médecins, le docteur Bekkat Berkani Mohamed, estime que l’automédication est une question qui concerne le citoyen. «C’est un problème d’éducation sanitaire», a-t-il indiqué. Il estime que le  médecin a «un rôle technique qui se résume au diagnostic et au traitement, selon des normes qui sont bien établies et préétablies par leurs connaissances et par leurs expériences».

Selon le président du Conseil de l’ordre des médecins, «le citoyen recoure à l’automédication, pour des raisons économiques. Cela lui évite de payer la consultation, dont le remboursement est très minime dans notre pays», souligne-t-il.

Dr Bekkat a précisé en substance que «l’éducation thérapeutique doit être faite au niveau des pharmacies, quand le malade se présente, le pharmacien ne doit pas délivrer des médicaments qui doivent être donnés sur ordonnance médicale». Et d’ajouter : «Le pharmacien peut prendre la responsabilité pour certains traitements, mais son rôle  principal est de conseiller le patient pour la préinscription médicale, tout en le convainquant que l’automédication peut être maléfique étant donné que le malade ne peut pas faire son propre diagnostic.

Il y a aussi la société et les médias qui doivent avoir leur part de responsabilité, en sensibilisant le citoyen au danger des antibiotiques.» Il a également souligné que «la loi et les règlements existent, mais il faut probablement sévir, car le médicament n’est pas une marchandise, c’est un produit qui peut être dangereux sur la santé de l’individu».

 Entre avantages et risques

Pour sa part, le Pr Brouri estime qu’«avant de décider des mesures à prendre vis-à-vis de l’automédication, il convient d’abord d’en apprécier les enjeux. On ne possède pas de chiffres précis en Algérie, mais on sait très bien que le secteur de l’automédication a engrangé plus de 3 milliards d’euros, en France, pour l’année 2016, soit 15% des ventes se font sans ordonnance»

Et d’ajouter : «Si nous prenons l’exemple récent du pseudo-complément alimentaire, RHB, qui n’en est pas un en réalité, puisqu’il ne contient aucun principe actif, ni vitaminique, ni Oméga 3 ou autre, malgré tous les avertissements de sociétés savantes, d’associations professionnelles des pharmaciens, médecins est de malades, rien n’a empêché sa vente à très grande échelle et sans aucune ordonnance. En quelques jours, il a rapporté à son inventeur des milliards de centimes», souligne-t-il. Suite à toute ces raisons, le Pr Brouri pense que «mieux vaut autoriser l’automédication, tout en l’encadrant sérieusement afin d’éviter toute dérive. Il faut faire du pharmacien un acteur de soin à part entière. Il doit jouer son rôle de conseil et être disponible pour éclairer le client qui se présente à son officine,» a-t-il suggéré.

L’automédication concerne généralement les problèmes de santé assez bénins, comme certaines constipations banales, les allergies, certaines fatigues qui ne paraissent pas préoccupantes, la toux, etc, qui peuvent relever de prise médicamenteuse assurée par le pharmacien pour ne pas gêner la vie de tous les jours.

S’agissant des risques liés à l’automédication, le spécialiste a indiqué qu’«elle est à proscrire chez les femmes enceintes ou allaitantes, les personnes atteintes de maladies chroniques, les nourrissons, les enfants et les personnes âgées, car fragiles et souvent polymédiqués».

Pour ce qui est des risques qu’encourt la personne qui recourt à l’automédication, le Pr Brouri a déclaré qu’«il faut savoir que tout médicament comporte des risques connus généralement par le médecin et méconnus ou ignorés par le patient. Tous les médicaments prescrits pour un simple rhume contiennent des dérives de l’éphédrine très dangereuse en cas d’hypertension artérielle.

L’aspirine utilisée depuis plus d’un siècle est responsable de nombreux effets indésirables parfois mortelles et d’interactions avec d’autres médicaments causant des hémorragies graves. Le paracétamol, cité très souvent comme un médicament sans risque, peut être à l’origine d’hépatites fulminantes graves ou de chute de plaquettes aux conséquences très sérieuses. C’est dire qu’aucun médicament efficace n’est sans risque, et qu’une extrême vigilance s’impose tout le temps».