Attar Abdelmadjid: “Il faut s’appuyer sur des richesses autres que les hydrocarbures”.

Attar Abdelmadjid: “Il faut s’appuyer sur des richesses autres que les hydrocarbures”.

Le spécialiste des questions énergétiques estime, dans l’entretien qui suit, que l’augmentation de la production, pendant la première moitié de la décennie 2000, s’est effectuée au détriment de la bonne santé de certains gisements.

Liberté : Quel bilan peut-on dresser de l’évolution du secteur pétrolier algérien, quarante-six ans après la nationalisation des hydrocarbures ?

Abdelmadjid Attar : Il est globalement positif malgré des hauts et des bas, parmi lesquels je peux citer ce que j’ai vécu de l’intérieur de la compagnie :

– D’abord le défi relevé en 1971, alors qu’il n’y avait, à l’époque, qu’une poignée de jeunes cadres pour prendre en charge l’exploitation des gisements de l’époque presque tous abandonnés par les opérateurs français. Je faisais partie de ces cadres venant tout juste d’être recrutés, sans aucune

expérience.

– Une algérianisation progressive de l’encadrement au cours des années 70 et 80 pour remplacer les cadres étrangers auxquels il a fallu avoir recours à cette période.

– Un ralentissement qu’il faut reconnaître en matière d’efforts d’exploration au cours des années 70, parce que la priorité était à la production au lendemain des nationalisations et parce que les capacités financières et même technologiques n’étaient pas au rendez-vous.

– Une reprise des efforts d’exploration en partenariat vers 1980 à travers – si je me rappelle bien – 14 contrats d’association, mais rapidement stoppée du fait de la baisse du baril à cette époque. Cette situation a poussé le secteur à modifier complètement la réglementation pétrolière en vigueur à travers la fameuse loi pétrolière de 1986, qui a permis l’introduction en Algérie d’un nouveau modèle de contrat dit “de partage de production”. Ce dernier a permis de relancer non seulement les efforts d’exploration en partenariat mais surtout de le faire sur des régions peu explorées avec de nouvelles technologies, dès 1988.

– La décennie 90 a été la plus difficile, mais aussi celles des plus grands défis en préservant d’abord la sécurité des capacités de production qui n’ont jamais failli, grâce au rôle capital de l’Armée nationale populaire et des services de sécurité. En parallèle, les travaux d’exploration ont abouti aux meilleurs résultats enregistrés depuis 1956 (année de la découverte de Hassi-Messaoud et Hassi R’mel), à savoir que la reconstitution des réserves algériennes en pétrole a été ramenée au même niveau qu’en 1971.

– Les autres défis relevés aussi par Sonatrach en aval (que je connais moins hélas) depuis 1971 ont permis de développer surtout l’activité gazière, à commencer par le développement du gisement de Hassi R’mel, puis Alrar, Rhourde Nouss, etc., la construction de plusieurs gazoducs et pipelines vers l’intérieur du pays et l’Europe, le développement de capacités de liquéfaction à un niveau qui n’existait nulle part ailleurs dans le monde, et bien d’autres projets en aval aussi (raffinage, pétrochimie, etc.). Les années 80 ont vu aussi le développement d’importants outils de services (géophysique, forage, génie civil, services pétroliers) pour assurer la continuité des travaux au cours des années difficiles de 1990.

– La décennie 2000, que je ne connais que de l’extérieur, a été marquée par une nette augmentation des niveaux de production du fait des besoins financiers du pays après la décennie noire des années 90. Malheureusement, cela s’est fait au détriment de la bonne santé de certains gisements que la plupart des experts reconnaissent actuellement. Les besoins financiers du pays ont probablement entraîné aussi la modification de la réglementation pétrolière avec une nouvelle loi en 2005, modifiée en 2006, destinée à accroître en principe le partenariat en amont et les recettes fiscales du pays. Mais celle-ci a rapidement montré ses défauts et ses limites, qui ont entraîné de nouveau un amendement en 2013, et dont les objectifs n’ont pas non plus été atteints à ce jour à cause de la chute du prix du baril depuis 2014.

– La décennie du futur est celle de défis complètement différents par rapport au passé, consistant en premier lieu à améliorer les modes d’exploitation des gisements pour en augmenter les taux de récupération et leur durée de vie, y compris pour les hydrocarbures non conventionnels. Il y aura certainement plus d’hydrocarbures à puiser à partir des gisements existants que d’éventuelles découvertes. Mais il faut compter aussi avec les hydrocarbures non conventionnels dont l’avènement va certainement poursuivre sa “révolution” en dehors des USA. L’Algérie deviendra alors plus un pays gazier que pétrolier.

L’autre défi du futur consistera à transformer et valoriser au mieux les productions en Algérie – même, défendre ses parts de marché surtout en ce qui concerne le gaz naturel en Europe principalement et ailleurs dans le monde.

– Le plus beau bilan depuis 1971 est que Sonatrach est devenue le fer de lance du développement économique du pays, celle qui a permis au pays de rester debout sur le plan financier face à chaque crise interne ou externe, celle qui a vu naître en elle un capital humain extraordinaire grâce à des cadres et des travailleurs de valeur.

Mais il est grand temps que le pays s’appuie sur d’autres forces, d’autres capacités, d’autres richesses que les hydrocarbures, que seule une diversification de son économie peut garantir à l’avenir.

En filigrane derrière cette question de l’approvisionnement se trouverait celle des discussions autour des contrats gaziers à long terme entre Sonatrach et Engie. Qu’en pensez-vous ?

Ceci est tout à fait probable, je ne dirai pas que tous les coups sont permis mais presque, à travers notamment des pressions sur le fournisseur de gaz qui est Sonatrach dans ce cas. En général, bien avant la renégociation des contrats de vente de gaz surtout, chaque partie commence à construire sa stratégie de négociation à travers des contacts, des alertes de toutes sortes, et bien d’autres actions. Les négociations des contrats de vente de Sonatrach sont probablement en cours, car ils prennent fin presque tous d’ici à 2019 ou 2020, et chacune des parties est en train de défendre au mieux ses intérêts.

Les contrats à long terme sont-ils menacés aujourd’hui ?

Je dirai plutôt qu’ils vont être de plus en plus difficiles à négocier et vont tendre à se limiter sur des durées ne dépassant pas les 10 à 15 années, au vu de plusieurs facteurs qui caractérisent le secteur énergétique mondial.

On peut citer l’abondance du pétrole et du gaz sur les marchés, la compétition entre producteurs, l’incertitude du prix du baril sur lequel est indexé le gaz vendu à travers des contrats à moyen et long terme, la volonté des pays importateurs pour diversifier leurs sources d’approvisionnement et garantir leur sécurité énergétique, la mise en œuvre d’importants programmes d’économie et d’énergies renouvelables, etc..

Tous ces facteurs sont en train d’entraîner une mutation très rapide dans le secteur énergétique et rétrécissent la visibilité sur l’évolution de ses marchés. Il faut donc en tenir compte et s’adapter en ayant à l’esprit que :

-pour le moment il y a assez de ressources énergétiques fossiles à travers le monde, notamment à cause de l’avènement des hydrocarbures non conventionnels qui bouleversent complètement la notion de réserves restantes ou techniquement récupérables ;

-l’augmentation du prix du pétrole entre 2005 et 2013 a d’abord été catastrophique pour les pays gros consommateurs et importateurs mais très utile en contrepartie puisqu’elle a entraîné d’énormes efforts pour réduire le taux d’accroissement de leur consommation et développer le recours à des ressources alternatives et renouvelables ;

-cette même augmentation a eu un effet exactement contraire chez tous les pays producteurs et rentiers, en créant des habitudes de consommation difficilement réversibles. On le constate maintenant avec la chute du prix du baril.

Pouvez-vous nous décrire la situation actuelle du marché gazier européen ?

Il s’agit du marché le plus important pour l’Algérie du fait de sa proximité et de l’avantage énorme d’avoir trois gazoducs vers ce marché pouvant transporter à eux seuls presque toute la capacité de production exportable en volumes, sans compter celle du GNL qui vient en complément et permet d’atteindre n’importe quelle destination.

Toutes les raisons que je viens de citer auparavant peuvent paraître négatives puisque le taux d’accroissement des consommations européennes est de plus en plus faible. L’Europe va passer d’une consommation d’environ 480 md m3/an actuellement à seulement 570 md m3/an en 2035, ce qui est très peu, comparé aux marchés asiatiques, dont la Chine par exemple passera de 220 md à 600 md m3/an pour la même période. Mais, en contrepartie, l’Europe verra sa dépendance des importations gazières passer de 50 à 80%, du fait de la chute progressive de sa propre production. Aussi, il y a de la place pour le gaz algérien, à condition de bien la défendre.

Sur le marché européen, les fournisseurs traditionnels dont l’Algérie se font bousculer par le GNL américain et le marché spot…..

La compétition est bien sûr réelle, mais beaucoup plus avec le gaz russe qu’américain. Ce facteur pourrait empêcher les prix d’augmenter de façon importante à moyen terme, mais n’affectera pas à mon avis les volumes pouvant être exportables puisque la croissance de sa consommation sera d’au moins 1,6% par an.

Le facteur diversification des approvisionnements jouera aussi en faveur de l’Algérie.

Nos capacités de production et d’exportation en gaz naturel et en GNL ne sont ni celles de la Russie ni celles du Qatar, mais elles sont sûres et garantissent justement la diversification recherchée par l’Europe en gaz naturel ou en GNL.

Cette diversification dépend aussi beaucoup des transits de gaz naturel à travers un monde qui est en train de connaître  de profonds bouleversements géopolitiques, ce qui va rendre le GNL prépondérant sur le marché au-delà de 2030.