Villes et villages de Kabylie: Les fêtes de mariage prennent un rythme accéléré

Villes et villages de Kabylie: Les fêtes de mariage prennent un rythme accéléré

Il est quasiment impossible de penser à passer une journée sans être abasourdi par les forts klaxons de longs cortèges composés de plusieurs dizaines de voitures qui accompagnent les célébrations des fêtes de mariage.

 

Ces dernières fêtes de mariage ou de circoncision ne sont plus célébrées les week-ends seulement. On les organise pratiquement tous les jours de la semaine. Chaque jour, de nombreux cortèges sillonnent les contrées les plus reculées. Depuis la fin du mois sacré de Ramadhan, c’es une sorte de course contre la montre qui est engagée. Tout le monde veut en finir avant la fin des grandes vacances. L’approche de la rentrée sociale semble accélérer la cadence. Nombreux sont ceux qui se sont retrouvés contraints d’en finir avant.

«Mariage d’une nuit, préparatifs d’une année»

De nos jours, convoler en justes noces en Kabylie n’est une plus une simple gageure. Cela s’apparente plutôt à un vrai parcours du combattant pour les jeunes couples. L’adage le dit si bien : «mariage d’une nuit, préparatifs d’une année».

Aujourd’hui, donc, se marier prend les allures d’un «projet» de grande envergure, dans cette région où le chômage endémique réduit les espoirs des couples à néant rien que de penser au budget nécessaire pour une fête dans les «normes». La fête, qu’elle soit modeste ou fastueuse, est de plus en plus coûteuse.

Tout y est. Des bijoux en or (parure), en passant par des vêtements extrêmement coûteux, aux frais propres au jour de la fête (repas etc.), les prétendants dépensent des sommes colossales.

Idem pour les mariées. «C’est la ruine», ironise Samir qui compte se marier juste après les fêtes de l’Aïd. «Je ne vous cache pas que j’ai consacré un budget d’un millions de dinars (100 millions de centimes), pour mon mariage et ça reste modeste», précise-t-il, non sans ajouter que le repas à servir coûte trop cher.

«Nous avons une grande famille en plus des villageois, des amis etc. En tout, j’en aurai pour 1 500 invités au bas mot. Rien que pour faire manger tout ce beau monde, je dois consacrer au moins 30 millions pour la viande. Ajoutez, donc, à tout cela les desserts, le pain, les légumes, les frais du cuisiner et tant d’autres dépenses encore comme la troupe d’Idhebalen qu’il faut payer, etc.», nous dira encore Samir. Idem pour la mariée. Elle se retrouve, ellesaussi, dans l’obligation de prendre avec elle un nombre impressionnant de couvertures, de couettes, de draps, de couvre-lits, de tapis et autres, même si elle n’aura besoin que de quelques articles et qu’elle doit stocker tout le reste dans un coin. C’est que le tape-à-l’œil a, d’un revers de la main, effacé l’essentiel. Faut-il signaler que, heureusement, bon nombre de ces accessoires sont heureusement offerts par les amis et la famille, car marier son fils ou sa fille de nos jours est un exploit. Quant aux gâteaux, rien à dire. Il faut des millions et un temps fou pour préparer d’énormes quantités de différentes sortes. Des caisses bien pleines, plusieurs plateaux et des caisses de beignets accompagnent le trousseau de la mariée.Ceci sans compter les petites boîtes offertes aux invités. La fameuse coiffure de la mariée, quant à elle, coûte pas moins de 10 000 Da, et la location de la robe blanche plus de 15 000 Da pour deux jours.

Entre jadis et aujourd’hui

Autres temps, autres mœurs. Cet autre adage s’applique parfaitement à ce que nous vivons de nos jours. Il faut dire que les coutumes font partie du passé. A commencer par la cérémonie du mariage elle-même. Autrefois, les fêtes de mariage célébrées dans les villages restaient modestes malgré l’opulence de certains hôtes. La cérémonie est organisée en deux jours de fêtes pour la mariée, le jour du henné, où la famille et les gens du village venaient manger du bon couscous aux légumes accompagné de viande, et les parents du futur époux, accompagnés de quelques convives, venaient déguster le dîner offert en leur honneur, en ramenant avec eux la dot de la mariée. S’en suit tout un rite. La mariée, quant à elle, habillée en robe kabyle blanche, parée de bijoux en argent, enveloppée dans un burnous, la tête couverte d’écharpes en satin rouge et jaune, – de façon à ne pas dévoiler son visage – ornée de basilic reste la vedette. Le lendemain, vers la mi-journée, on venait accompagner la mariée chez elle, dans un cortège de voitures. La dot elle-même n’était pas aussi coûteuse. Quelques robes kabyles, des bijoux en argent, des robes de sorties et des tapis berbères tissés. Elle prenait avec elle des caisses de gâteaux, des beignets et du msemmen. De son côté, la famille du futur époux préparait la fête en deux jours, le jour du henné, et le deuxième jour qu’on appelle communément le jour de la fête (tameghra), où la mariée arrive dans son nouveau foyer. Le soir venu, un dîner, essentiellement du couscous, est servi aux convives qui sont appelés à rester fêter l’événement jusqu’à tard dans la soirée. Ce sont les gens du village qui sont appelés à faire la fête.

Le lendemain de l’arrivée de la mariée dans son nouveau foyer, un autre rituel est organisé. On l’appelle communément «esbouh», les femmes du village se rassemblent pour prendre un café servi avec des œufs brouillés «timchewechet» ou bien du «begherir», selon les régions. Et selon la coutume, une femme âgée prend le soin de brosser la chevelure de la mariée et lui coupe une mèche de cheveux. Vient, ensuite, un petit garçon lui rouler un bandeau autour de la taille comme lui souhaiter d’avoir un garçon comme premier enfant. Ensuite, la mariée parée de bijoux en argent, est accompagnée par des jeunes filles pour aller à la fontaine et remplir une jarre d’eau fraîche. Après sept jours, c’est toute la famille de la mariée qui est conviée à un déjeuner préparé en son honneur dans la demeure des époux. Cette cérémonie signifie que la mariée est définitivement acceptée et devient membre à part entière de sa nouvelle famille. Le charme et la symbolique de ces rituels ne sont presque qu’un lointain souvenir. A présent, les fêtes kabyles ont changé. Les coutumes ne sont plus les mêmes et chacun fait à sa guise, d’année en année des nouveautés dans ces fêtes qui ne cessent d’être encore plus sophistiquées et plus coûteuses. La mariée se voit dans l’obligation de préparer son trousseau des années à l’avance. Les prix de plus en plus élevés de l’or et de d’argent ne semblent pas constituer un obstacle devant ces jeunes mariées qui ne se contentent plus d’une seule parure en or. Les robes de fêtes, de leur part, se doivent d’être tellement parées, en tous genres et de toutes couleurs. Les tenues destinées à la «tessedira», karakou, djebba fergani, mansouria, kaftan, robe de soirée, robe indoue et autres doivent figurer dans «ce défilé de mode» que tout le monde s’accorde à dire très coûteux et très fatigant. Heureusement que, si la mariée se trouve dans l’obligation de se faire une ou deux tenues, elle se contente d’emprunter ou de louer les autres dont elle n’aura besoin que pour une nuit. Tel est le summum du ridicule. Louer des robes rien que pour s’exhiber avec, diront certains.

Pollution sonore

Si, dans les villages, les cérémonies de mariage se déroulent dans la demeure familiale, parfois même les voisins sont sollicités pour prêter leurs maisons en ces circonstances où n’importe quelle demeure aussi grande soit-elle, paraît toute petite. Dans les villes, la location d’une salle de fêtes, malgré son prix exorbitant, est incontournable. Pour l’animation, que ce soit dans les villes ou dans les villages, tout le monde est à la mode DJ qui n’est, en réalité, qu’une nuisance sonore. Depuis l’apparition des DJ, les soirées animées par des artistes ou encore par des troupes d’Idhebalen se font de plus en plus rares. Le DJ a, donc, tout supplanté. Même les sons de la derbouka ou du bendir que jadis les femmes kabyles maniaient avec dextérité ont disparu. Il faut dire que le DJ est devenu un élément incontournable pour la célébration d’une fête en Kabylie. Cette pollution sonore dure toute la nuit. Il va sans dire que la gêne occasionné n’a même pas de qualificatif. «Ne doit-on pas réglementer tout ça ?», se demande-t-on.

B. B.