Premier jour de l’an Amazigh: jour de lumière et d’abondance

Premier jour de l’an Amazigh: jour de lumière et d’abondance

7cca4b28c951033d2f5505a9e4077052_L.jpg« Adeffghen iverkanen, ad kecmen imellalen » (les jours noirs sortent, les jours blancs arrivent), c’est par cette phrase présageant lumière et abondance que la maîtresse de maison, dans les villages de Kabylie, annonce le premier jour de l’an « ixef useggwas » ou yennayer, célébré le 12 janvier.

« Yennayer représente une fête aux multiples présages d’une nouvelle année féconde. Tout ce qui est vieux et usé dans l’habitation est changé, et un repas spécial est préparé », souligne l’écrivain Drici Kamel, qui a animé une conférence sur Yennayer à la maison de la culture Mouloud Mammeri dans le cadre des festivités marquant la célébration du nouvel an Amazigh.

Pour accueillir Yennayer qui signifie littéralement premier jour (yen) du premier mois (ayer), les femmes se mettent à la tâche dès la veille en observant certains rituels et pour préparer le dîner servi le 11 janvier et le petit déjeuner et déjeuner du lendemain du premier jour de l’an.

Dans la wilaya de Tizi-Ouzou, le plat principal préparé dans tous les foyers la veille de Yennayer et l’incontournable couscous à base de blé accompagné d’une sauce au poulet et au sept légumes (secs et frais). La semoule d’orge est, ce jour-là, bannie, car de couleur noire et rappelle le repas du pauvre.

Dans les villages, plusieurs familles continuent à observer le sacrifice d’un coq de ferme élevé spécialement en prévision de ce jour particulier. Ceux qui ne peuvent s’offrir ce luxe, se rabattent sur le poulet de chair acheté en grande surface ou chez des volaillers.

Dans les villes de Tizi-Ouzou, Draâ Ben Khedda et Tadmaït, les familles ont commencé à affluer dès la matinée vers les marchés et autres magasins pour s’approvisionner en denrées nécessaires pour le repas du soir, et parmi lesquels figurent notamment le poulet, le haricot Kabyle à £il noir (ou haricot dolique), des lentilles, des carottes et des navets voir des cardes pour certains, a-t-on constaté.

Le choix de ces ingrédients n’est pas fortuit puisque le coq annonce la naissance de la lumière (le lever du jour), et les céréales et légumes la profusion.

La prospérité est symbolisée par les mets préparés le jour de Yennayer pour le petit déjeuner et qui sont à base de pâte levée pour les beignets ou de feuilletage de pâte pour « Lemsemen ».

Des fruits secs et des friandises sont également achetés par certaines familles qui sont de mois en moins nombreuses à observer cette tradition, afin de composer le fameux « trize » ou « drize » (treize), un panier qui jadis devait être composé de 13 douceurs dont des amandes, des noix et des raisins secs, de bonbons, et des figues sèches, à offrir aux enfants, constate-t-on au niveau d’une supérette du chef-lieu de wilaya.

Les plats servis pour célébrer Yennayer ne doivent être ni piquants, ni trop salés encore moins aigres, selon plusieurs octogénaires, qui tiennent à préciser que l’ »on ne doit pas finir son assiette, mais laisser un peu de son contenu en signe de satiété et d’abondance » et pour le « génie gardien de la maison, +aaessas boukham+ ».

Malha Benbrahim, historienne, spécialiste de l’oralité à l’université de Tizi-Ouzou, rapporte, dans un travail consacré à la célébration de Yennayer, que jadis, lorsque les familles habitaient encore dans des maisons traditionnelles, les femmes recouvrent les murs de chaux, qui rappelle la lumière avec sa blancheur éclatante, changent les trois pierres qui servent de trépied du foyer, et balaient la maison avec un balai de bruyère pour y chasser les insectes tout en l’imprégnant d’un agréable parfum.

On verse également des céréales entre les grandes jarres en terre (ikufan) qui étaient utilisées pour stocker, en prévision de l’hiver, certains produits agricoles (céréales, figues sèches…) pour invoquer une récolte abondante pour le nouvel an, ajoute-t-elle.

Selon M. Drici, en allant chercher ces pierres, la femme accorde beaucoup d’importance à ce qu’elle trouve caché dessous. « Si par hasard, elle y trouve un ver blanc, ceci est bon présage qui laisse espérer la naissance d’un garçon, si elle y trouve une herbe verte, cela signifie une moisson abondante et si elle y trouve des fourmis, cela laisse espérer une proche augmentation du bétail par les naissances ou par un nouvel achat », explique-t-il.

Aujourd’hui certains rituels ne sont pas observés. Ils sont soit abandonnés volontairement, soit par contrainte du mode de vie actuel notamment au niveau des villes, ou la célébration de Yennayer ne se fait plus de manière communautaire comme c’est le cas dans les villages, a relevé, Farida Djaatit, archéologue et cadre à la direction de la culture de Tizi-Ouzou, à l’ouverture d’un récital poétique sur Yennayer.

Et pour tenter d’en restituer l’un des aspects important de cette fête ancestrale, la direction de la culture de Tizi-Ouzou a décidé de ressusciter le carnaval « Ayrad » (le lion), qui était célébré également en Kabylie.

Ce carnaval sera organisé, demain mardi, et le défilé s’ébranlera à partir de la placette de l’olivier pour rejoindre la maison de la culture Mouloud Mammeri où la traditionnelle Waada (repas collectif) de Yennayer sera offert aux citoyens.