Patrimoine, le mausolée Sidi Yakoub Echerif en péril

Patrimoine, le mausolée Sidi Yakoub Echerif en péril

arton124208-b5843.jpgLe fondateur de la ville des Roses était venu en 1532 sur les traces de Sidi Yakoub qu’il vénérait comme son maître spirituel. Il occupe, ainsi, une place importante dans l’histoire de la ville des Roses. La faillite morale et l’appât du gain font encourir des risques d’une gravité exceptionnelle à ce lieu fédérateur de tous les habitants de la ville.

Qui était Sidi Yakoub Echerif ? L’homme qui le connaissait le mieux était son wakil, Mohammed Abed, disparu vers 1875. Ses souvenirs ont été consignés par Trumelet en 1887. En novembre et décembre 1839, alors que Blida était occupée, le site du « Bois sacré », qui occupait un espace de plus de 50 hectares, a été le théâtre de violents combats entre les troupes du général Duvivier et des détachements de l’armée de l’Emir Abdelkader, sous le commandement de Si Mohammed Benaïssa El Berkani, khalife de Médéa. A la suite de ces attaques, Duvivier retourne ses colères contre la belle ceinture verte d’orangers et grenadiers qui entourait la ville blanche qu’il fait arracher. Il ordonne de détruire impitoyablement plus de 80% des oliviers millénaires qui bordaient la rive de oued Erromane à partir du quartier El Djoun (le Golf) jusqu’à El Mhalla El Kebira, l’ancienne dénomination du quartier Zabana. On comprend donc la raison du ressentiment qu’éprouvent les riverains du quartier « Mohammed V » qui redoutent l’état d’abandon de ce qui reste des « oliviers du miracle » et la menace du commerce des fast-foods qui devra conduire irrémédiablement à la désacralisation définitive d’un site chargé de mémoire et d’émotions séculaires.

Après l’occupation de Blida le 7 février 1839 suite à de sanglantes résistances, les troupes françaises réquisitionnent la mosquée de Sid Ahmed El Kebir, la première érigée en 1542, bâtie par des maçons andalous. Cette première mosquée, financée par Kheireddine Barberousse, était située sur l’actuelle place du 1er Novembre, dont il ne reste que le palmier. Ce lieu devint un hôpital où ont été entassés les blessés et les malades du corps expéditionnaire français. Plus tard, transformé en église puis en école avant d’être rasé pour accueillir la place d’Armes et le kiosque à musique. L’armée coloniale investit dans le même temps le jardin luxuriant de Sidi Yakoub. Les bivouacs sont alimentés par les oliviers séculaires. Le cimetière de Sidi Yakoub, dont il ne reste que la blanche kouba du saint homme, est saccagé. Les « chouahed » de marbre blanc gravés dans un style andalou seront utilisés pour le dallage du sol. Ce sacrilège aura de profondes répercussions chez les Blidéens qui informent l’Emir Abdelkader.

Le 1er novembre 1839, le khalife de Médéa, Si Mohammed Benaïssa El Berkani, reçoit l’ordre de positionner ses troupes régulières pour enserrer la ville. Le 20 novembre, El Berkani, qui occupe Oued Beni Azza avec 800 réguliers, 600 fantassins et un millier de goumiers, attaque une importante colonne du général Duvivier qui achemine des armes et des vivres en provenance de Boufarik. Après ce coup de main, il trace à travers Ouled Yaïche et reprend les gorges de Cheffa pour rejoindre Médéa. Le 18 décembre, il revient avec une batterie de canons qu’il place à Bab Moussa dans les environs de Koudiet Mimèche sur les hauteurs de la ville. Il fait feu sur les positions des Français. La canonnade était médiocre, mais le but de la manœuvre d’El Berkani était une diversion pour permettre aux fantassins des Hadjout et Beni Salah d’encercler le bois de Sidi Yakoub et de tomber sur l’ennemi.

La légende donne au bois sacré une origine mystérieuse. En effet, de retour des Lieux saints, Sidi Yakoub décide de camper à l’endroit qu’il avait occupé à Blida trois ans auparavant. Mais ses éclaireurs n’ont pas réussi à le localiser en dépit des multiples recherches. C’est alors que le saint homme s’écria : « Voyez donc ! Les piquets de nos tentes sont encore fichés en terre et disposés dans l’ordre où vous les avez placés ». Il descend de cheval et fait une prière de remerciements en disant : « Oh Dieu Tout-Puissant ! Suis-je à ce point aveugle pour n’apercevoir que des arbres à l’endroit que Tu indiques pour finir ici mon chemin ? Par Ta Volonté, les piquets de nos tentes ont poussé pour devenir ces majestueux arbres afin que tout homme soumis à Ta Loi puisse trouver sous ses feuillages un abri contre l’ardeur du soleil. » Des jours et des semaines passent, Sidi Yakoub réunit ses fidèles pour leur annoncer sa décision irrévocable de finir ici son voyage. « Je sens la vie m’échapper, leur dit-il. Je laisserai mon corps ici, loin de mes ancêtres, partez et dispersez la nouvelle où que vous soyez qu’en ce lieu béni, la paix de l’âme sera assurée à tout voyageur fatigué par sa marche ».

A la prière du fejr, le saint homme est trouvé assis, en position de prière. Il était mort au petit matin. Sid Ahmed El Kebir, qui est venu plus tard sur les pas de Sidi Yakoub, aurait recommandé la « ziara » de Sidi Yakoub avant la sienne. Et durant des siècles, les Blidéens venaient tous les samedis en procession. Ils y entraient les pieds nus. La tradition sera brisée par les Français. En 1860, pour le voyage de Napoléon III en Algérie, Sidi Yakoub devint un jardin public. Un poète anonyme composera une kacida en l’honneur de ce pieux personnage, reprise par le grand maître du chaâbi Kamel Bourdib.