Nassira Belloula, journaliste et auteure, se confie à : “LIBERTÉ” “Je n’ai pas de relations ambiguës avec les langues”

Nassira Belloula, journaliste et auteure, se confie à : “LIBERTÉ”  “Je n’ai pas de relations ambiguës avec les langues”

Nassira Belloula est journaliste et auteure algérienne établie depuis quelques années au Canada. Ayant à son actif de nombreux écrits, entre romans et poésies, cette “Femme des Aurès” mène constamment et sans relâche, aussi bien ici que là-bas, un combat continu pour faire briller l’intelligentsia maghrébine en général, et la femme algérienne en particulier. Elle est membre fondateur des JLD (Journées du livre de la diaspora arabe et berbère) qui préparent leur 3e édition du 10 au 14 août à Montréal. Elle nous dévoile ici quelques pans de son riche parcours.

Liberté : Vous êtes journaliste et romancière. Qu’est-ce qui a attisé chez vous l’envie d’écrire ?

Nassira Belloula : L’écriture s’est imposée à moi, tout comme la lecture, précocement. On passe des contes de Perrault et Grimm à plus sérieux : Alice au pays des merveilles, puis Les malheurs de Sophie, deux espaces de lecture différents même si au départ on est dans l’histoire invraisemblable, mais Les malheurs de Sophie c’est une étape dans la lecture, puis dans l’écriture, tant à cet âge-là, je me trouvais dans le corps de Sophie à cause de ses rébellions (je garde aujourd’hui encore cet exemplaire de la collection rose auquel il manque quelques feuillets). J’ai commencé l’exploration de l’écriture, poésies, conte, puis est venu le journal intime. Le primaire a été un agréable apprentissage. Mais, répondre au pourquoi de l’écriture, à ce qui donne envie, ce n’est pas évident. Tout s’ébranle d’un coup sans avoir besoin d’explication. L’écriture vient à nous ; on la ressent comme un besoin, comme un élément faisant partie de nous-mêmes. Cela se développe vite comme élément crucial de la vie. La poésie a été également un déclencheur, l’envie de ces mots que je lisais, de ce Rimbaud qui me subjugue alors adolescente, son aura, son errance, sa souffrance maudite presque, son amour que je ne comprenais pas à cette époque, le Verlaine qui le noue à lui comme un lierre… Ça a été le déclencheur, le beau et le subtil par lesquels je suis entrée dans l’écriture.

Quelles thématiques avez-vous abordées dans vos premiers écrits ?

L’écriture a été comme une succession d’étapes. À chaque période correspond sa thématique. Au départ, j’ai écrit sur l’amour, même si cela n’était qu’une sorte d’imitation des poètes classiques qu’on lisait, et aussi parce qu’on se croit amoureux tout le temps, à cause de Roméo et Juliette, Paul et Virginie et bien d’autres histoires mystérieuses et secrètes qui nous faisaient rêver, en lisant notamment Majdouline en arabe, d’El Manfaluti. Puis, je découvre la Révolution agraire, le nationalisme, le socialisme, le prolétariat, Nazim Hikmet, Maïakovski, Zola, Balzac, et les auteurs algériens ; au lycée je découvre Mouloud Mammeri, Mohamed Dib, et au hasard de mes pérégrinations se mélangent Nourredine Aba et Abou El-Kacem Chabi. Mes lectures sont diversifiées, je lis ce qui me tombe sous la main.

Alors je commence à écrire des poèmes de révoltes, sur la guerre d’Algérie, sur la mort, les souffrances, la Palestine, Gaza surtout, les enfants abandonnés. Le premier roman écrit à dix-sept ans, Le printemps ne sera que plus beau est sur la guerre d’Algérie, je ne dérogeais pas à la règle en vigueur dans les années 70, le roman nationaliste, presque idéologique. Ce roman présenté à l’Enal a reçu un avis favorable de la commission de lecture (j’en garde encore trace dans une lettre), mais j’ai eu affaire à un directeur assez “revanchard” – je ne me souviens plus de lui très bien – qui m’a convoquée dans son bureau pour parler de mon roman, mais à ma vue – jeune et femme -, il s’est mal comporté, ce qui a abouti à la non-publication du roman.

Ceci dit, la dernière partie de mon dernier roman Terre des femmes est extraite de ce roman. Puis viendra un recueil de poésies très révolutionnaires aussi, et presque des écrits de colère, comme si déjà je portais sur mes épaules les affres de cette vie. Les portes du soleil, édité à l’Enal au début des années 80, des écrits du lycée où il y avait une certaine camaraderie, un esprit de réussite, de luttes d’égalité aussi.

Vous avez évoqué un journal intime. Pourriez-vous nous en parler?

On n’échappe pas au journal intime. Le mien, je l’ai commencé au CEM, je noircissais des cahiers entiers. J’écrivais tout ce qui m’arrivait et tout ce que je voyais. Puis, j’ai délaissé ce mode d’écriture pour passer à la fiction, c’était sur des bouts de papier, les carnets sérieux ne sont venus que beaucoup plus tard. J’ai, après, cherché à lire des carnets de notes appartenant à des auteurs connus que j’ai trouvés très intéressants ; j’avais une œuvre en fragments et j’aimais ça ; j’aimais cette hachure, ces mots discontinus qui racontent tout et rien.

Des réflexions m’ont taraudée à propos de ces textes qu’il fallait déchiffrer et tirer l’essence de ce qui allait venir. J’ai eu une fascination pour Hemingway, et la découverte de ses carnets de notes était un délice. C’était plus qu’une passion, c’était ce qui me soudait le plus à cette littérature : découvrir ce qui se cache derrière l’œuvre; c’est les carnets de notes, suivront les correspondances qui donnent la compréhension totale de l’œuvre. Je lis avec une certaine frénésie les carnets publiés, et cela me pousse à une certaine exploration intime de l’œuvre et de l’écrivain.

Cela suscite une réflexion poussée. Il est certain que, dépassé l’âge des premières lectures, on est plus dans la réflexion, dans l’envie de comprendre ce monde, de décortiquer les choses qui nous entourent.

Vous écrivez en français, mais que pensez-vous des débats actuels sur la langue chez nous ?

Avant tout, les langues sont une richesse immense et j’aurais aimé maîtriser toutes les langues possibles, car lire un texte dans sa langue d’origine est incomparable. Je suis une parfaite bilingue, du moins je l’étais, car en ne travaillant qu’en français, la langue arabe, je l’ai un peu perdue. J’ai commencé à écrire en français, mais je le faisais aussi en arabe. Je n’ai pas de relations ambiguës avec les langues, ni de passions dévoreuses. Pour moi, la langue est un outil de travail qui te permet de communiquer aisément. Le français a pris le pas, sans doute parce que nous le parlions déjà à la maison, mes sœurs et frères étant francophones. L’arabe est aussi une belle langue, littéraire surtout, et s’exprimer en proses et en arabe est incomparable. Certes, “hizb frança” a trop collé aux auteurs francophones, en les marginalisant, en les excluant et en les dénigrant, et cela perdure encore de nos jours.

Sauf que pour moi, le français et l’arabe ne sont guère différents d’un point de vue historique, ce sont deux langues du colonisateur si on se réfère à notre identité et historicité. Si un reproche doit être fait sur l’utilisation d’une langue plus que l’autre, même si je trouve cela vraiment dépassé comme sujet de réflexion, c’est par rapport au tamazight qui est la langue ancestrale. Mais, même dans ce contexte, on ne peut pas en vouloir à ceux qui n’écrivent pas une langue ni enseignée, ni développée, ni mise à notre disposition (je parle bien sûr de notre génération). Mais, cela est un autre débat.

La thématique des femmes semble constituer le socle de vos écrits…

Mon milieu premier est celui des femmes, de la mère, des tantes, des cousines, sœurs et amies. C’est dans ce milieu que j’ai le plus appris sur moi-même et sur la féminité, sur la condition des femmes, sur les contraintes et les limites qu’on leur a imposées. J’ai été élevée dans ce milieu et dans cette société traditionnelle où les genres ne se mélangent pas. Petite, ça peut passer, on peut traîner dans les pattes des oncles et des grands-pères, mais plus tard on est recluse dans cet univers de femmes, et on le porte en nous. Écrire sur la femme est un prolongement de moi-même, de mes aspirations et souhaits. Je me sens parfois, non pas la porte-parole des femmes, mais leur voix, donner une voix à ces subalternes qui n’ont pas l’occasion ou la chance d’user d’un langage. La condition de la femme est en constante régression ; malgré les avancées en matière de lois et de droits, la mentalité ne suit pas. Comment taire toutes ces injustices et ces comportements qui maintiennent encore la femme dans un rôle si insignifiant qu’on voudrait presque la gommer de tous les paysages !?

Vous êtes toujours active, engagée notamment dans la préparation des prochaines Journées du livre de la diaspora arabe et berbère…

Exactement, du 10 au 14 de ce mois d’août, au Vieux-Port de Montréal va se tenir la 3e édition des JLD où une cinquantaine d’auteurs d’origines arabe et maghrébine vont se retrouver durant quatre jours pour des ventes-dédicaces, mais aussi pour débattre lors de causeries, conférences et tables rondes autour de plusieurs thématiques qui préoccupent auteurs, lecteurs et libraires de la diaspora. Je suis membre organisateur de ces activités, cofondatrice de ces journées que nous espérons et aspirons à rendre pérennes. Ce collectif d’auteurs, personnalités et conférenciers est né d’un besoin crucial de donner de la visibilité à cette diaspora qui souffre de mille et un maux dont le premier, ne le cachons pas, est cette image négative véhiculée par les médias et les réseaux sociaux sur ces communautés arabe et maghrébine, en raison de l’ignorance, de l’incompréhension, mais surtout à cause de cet “islamisme” qui nous malaxe tous dans un même moule. Nous existons en tant que diaspora intelligente, productive, intellectuelle, démocratique, saine et c’est ce que nous voulons véhiculer à travers plusieurs activités.