Maya-ines touam, artiste, à l’expression : « L’algéroise est mutlifacette »

Maya-ines touam, artiste, à l’expression : « L’algéroise est mutlifacette »

P141027-01.jpg«Révéler l’étoffe» est le nom de son projet des plus intéressants autour de la femme voilée algéroise et sa corrélation avec l’histoire de l’Algérie et l’islam. Pour cette jeune Franco-Algérienne, diplômée des beaux-arts, ce travail plus qu’artistique se veut aussi socio-anthropologique et soulève moult questionnements…Quand l’appel des origines se fait plus fort, cela donne ça. L’artiste nous dévoile ici sa démarche…

L’Expression: Vous venez de finir la première étape d’un projet autour du voile en Algérie, pourriez-vous nous en parler et nous expliquer aussi pourquoi ce sujet de la part d’une Franco-Algérienne?

Maya-Ines Touam: J’ai monté un projet autour du voile en Algérie, parce que je travaille globalement sur la féminité dans l’islam depuis maintenant 4 ans. J’ai commencé à travailler sur ma grand-mère, la génération d’émigrés, pour ensuite travailler sur mon pays d’origine, donc l’Algérie. Je me suis intéressée à la femme algéroise car je ne pouvais pas m’intéresser à l’Algérienne et le voile parce que, en fonction des régions, le voile diffère, la manière de le porter aussi et selon le poids de la société il va aussi changer.

Je me suis dit autant faire une petite loupe et regarder ce qui se passe sur Alger et sa périphérie pour essayer après, peut-être, dans un second temps, aller dans le Sud, à l’est et à l’ouest.. Ce projet a été monté et soutenu par l’Institut français. Il se passe en deux étapes. La première consiste à inviter une trentaine de femmes environ de tout milieu social, tout âge, de tous bords confondus et à me parler de l’histoire du voile en Algérie. Expliquer si le voile est tradition, religion ou influence sociale. En cherchant à amener des questions je ne cherche pas nécessairement une réponse unanime, mais je cherche une multitude de réponses pour justement destigmatiser cette vision que l’on peut avoir de la femme et du voile. De la femme voilée.

D’ailleurs, je n’utilise même pas le mot voile dans mon travail mais plutôt étoffe. Car ce que les femmes se mettent sur la tête c’est un foulard et non pas un voile. Un voile ça recouvre forcément le visage ou comme les mariées notamment. Ce projet s’appelle donc «révéler l’étoffe» et j’invite une trentaine de femmes à me raconter leur histoire personnelle, l’histoire du pays et nécessairement l’histoire a un lien avec l’islam.

Pourquoi vous intéressez-vous à ce sujet?

C’est quelque chose qui me fascine. On met ces femmes sur un piédestal, en même temps on en a peur. Elles sont placées entre menaces et soumissions. Il y a un clivage dans la société algéroise entre les femmes voilées et les femmes non voilées. Les unes pensent avoir raison, quand les autres pensent avoir raison, pensent avoir une bonne lecture du Coran mais à mon sens, elles ont toutes une lecture qui leur est personnelle.

Et moi je les respecte entièrement! et c’est dans ce sens-là que moi j’avais envie de comprendre. L’Algéroise est multifacette. C’est-à-dire qu’il n’y a pas d’Algéroise type. Je pense après avoir fait prendre pendant 15 jours en photos des modèles, je me suis rendu compte qu’il y avait autant de manières de penser le voile en Algérie qu’il y avait des femmes qui le portaient.

Parlez-nous un peu de votre démarche…

J’ai fini mes études aux beaux-arts en novembre dernier. Après mon diplôme j’ai beaucoup travaillé mon entre-deux, mon travail entre l’Orient et l’Occident. Ma double culture qui était perpétuellement remise en question dans mon travail. J’ai beaucoup travaillé sur le regard occidental vers l’Orient. J’ai fait des installations. Mais là, ce n’est plus le regard des spectateurs occidentaux mais mon propre regard sur ces femmes.

Je mets mon pied en Orient. J’ai commencé à travailler sur le voile parce que sa définition m’échappait complètement. Je ne comprenais pas pourquoi on parle de soumission, pourquoi certaines personnes ont horreur des femmes voilées, comme certaines femmes voilées ne tolèrent pas que certaines femmes non voilées se dévoilent… Pour revenir aux différentes étapes de mon travail, tout d’abord j’ai fait venir des femmes, je leur ai expliqué le travail que je menais pendant quelques années. Je les ai prises en photos.

Quand elles étaient voilées je leur demandais de se dévoiler et se revoiler pour me montrer les habitudes, l’espèce de rituel avec lequel elles avaient les gestes qu’elles faisaient qui devenaient une sorte de danse pour mettre leur voile et l’enlever. Elles se sont fait prendre en photo en argentique, ensuite interviewées. L’interview pouvait durer 5 mn comme il pouvait durer une heure et demie en fonction de ce que les femmes pouvaient me raconter.

De leur histoire, de l’histoire de l’Algérie, de comment elles ont vécu la décennie noire, l’obligation qu’on leur a imposée de se voiler, certaines se sont dévoilées. On a eu vraiment un panel de femmes qui sont venues parler et c’était une expérience bouleversante, extraordinaire. Une aventure humaine avant tout

Comment avez-vous pu contacter ces femmes?

Par tous les réseaux possibles et inimaginables. On a contacté la Centrale des annonces, le réseau, Facebook, amie d’amies etc. On en a parlé autour de nous. Je suis venue avant de monter ce projet 15 jours pour en parler à plus de personnes, autour de moi, que je connaissais. On est arrivés quasiment à 30. C’était laborieux dur mais ça s’est fait. La seconde étape est une expo avec un catalogue, une retranscription des textes.

Pour le moment ça ne va pas être, du mot à mot de tous les textes parce que les femmes nous ont parlé pendant une heure et demie il y aura certainement des passages beaucoup plus intéressants que d’autres. L’expo aura lieu en décembre à Paris. C’est officiel. En 2015 à Alger et vraisemblablement aux USA. A Los Angeles. On est en train de chercher pour Los Angeles et Alger l’espace pour accueillir cette expo mais c’est un projet en deux étapes.

A la fin de la réalisation de ce projet on s’est rendu compte qu’on ne voulait absolument pas s’arrêter là, tout ce travail était un puissant gouffre sans fin et qu’il y avait beaucoup de choses à creuser et à récupérer, d’autres questionnements, que les raisons de cette habitude de porter le voile, que ce voilage religieux était complètement différent en fonction des régions et donc c’est un travail qu’on voudrait mener un peu partout en Algérie.

Dernière question. Ne craignez-vous pas un peu qu’on vous taxe d’«orientaliste» en reprenant le cliché de la femme voilée pour le montrer et le colporter en Occident?

J’exècre le mot orientalise, j’ai fait mon mémoire là- dessus. Un mémoire sur la liberté d’expression des femmes musulmanes. Après, tout dépend de la manière dont le travail est fait. J’ai bien étudié ce sujet. Je pense même faire mon doctorat là-dessus, sur la femme musulmane dans l’art contemporain. Je pense que je vais suffisamment m’y plonger pour essayer au maximum de me détacher de l’image orientaliste qu’on peut avoir.

Je suis avant tout une jeune fille qui travaille sur une problématique liée à ses racines, sur quelque chose qui m’est personnel. Je ne suis pas Française, mais Franco-Algérienne. j’ai fait la démarche de venir en Algérie toute seule, à Alger, ne connaissant quasiment personne à Alger, je ne laisserai absolument à personne dire que je suis orientaliste car j’exècre toute cette mouvance, il y a eu de très belles peintures, je ne dénigre pas le travail qui a été fait mais je dénigre ce qu’on a montré, la vision qu’on a faite de la femme, la manière dont on a stigmatisé la femme.

On l’a mise dans un harem, dans des espèces de cages dorées. Et j’ai énormément étudié la photo de cette époque-là, les cartes postales que tous les photographes français ont ramené, notamment autour de la pornographie infantile etc. Je ne suis pas du tout dans cette démarche-là, c’est-à-dire que j’ai cherché à avoir un fond neutre, à ne pas travailler dans l’environnement de ces femmes pour justement qu’on ne parle pas d’autre chose que de ces femmes-là et de leur histoire avec le voile, la religion, la tradition ou l’esthétique c’est tout.

C’était justement et simplement mes recherches. On n’a pas parlé de sexualité. Si elles m’avaient dit que leur mari leur imposait le voile ou pas, là ça a un rapport avec le genre, mais mon travail est surtout axé sur la liberté individuelle, sa liberté d’agir, de se déplacer et de penser. C’est vraiment mon travail. Après toute personne se gardera de penser ce qu’elle veut de ce travail. Ça ne me pose aucun problème. Je veux bien même discuter avec elle de mon supposé orientalisme s’il existe…