Il a été assassiné le 29 septembre 1994: Hasni 22 ans après

Il a été assassiné le 29 septembre 1994: Hasni 22 ans après

Hasni, qui a commencé sa carrière en prêchant l’Espoir, est passé à la résistance en bravant les interdits, sortant la nuit, se rendant chez ses amis qui l’attendaient à Aïn El Turck.

Cheb Hasni, ou encore le roi de la chanson sentimentale quitte ce monde à l’âge de 26 ans. Il a été assassiné le 29 septembre 1994, devant le domicile de ses parents. Tout comme le monde des médias qui a perdu le premier journaliste Tahar Djaout en 1993, Cheb Hasni a été le premier chanteur à avoir été ciblé par les balles assassines du terrorisme aveugle et aveuglant.

En assassinant Hasni, cette meute de terroristes croyait sans aucun doute faire perdre les repères sociaux à la société algérienne en la plongeant dans une tragédie s’étendant au niveau national pour abdiquer. Or, le contraire s’est produit. La mort de Hasni, s’en souviennent encore les Oranais, a secoué plus d’un, tirant les enseignements qu’il fallait: le terrorisme est à abattre par tous les moyens. Le défunt a été à peine enterré dans le cimetière d’Aïn El Beïda que des centaines de jeunes sont sortis dans la rue criant «Algérie libre et démocratique».

De l’espoir à la résistance

Le raï qui a déraillé sous l’actuel rythme des «way way» ne l’était pas pendant que Hasni dominait la scène artistique en gazouillant le verbe pudique. Hasni, malgré la chasse à l’homme déclenchée par les sanguinaires des GIA, a tenu tête en…haussant le ton: chanter. Il chantonnait en plaidant l’amour et la paix alors que plusieurs chanteurs avaient fui les zones de choc en s’installant imperturbablement dans les villes européennes. Hasni, lui qui a commencé sa carrière en prêchant L’Espoir, est passé à la résistance en bravant les interdits, sortant la nuit, se rendant chez ses amis qui l’attendaient à Aïn El Turck pour apprécier le verbe se dégageant de son gosier. Dans un petit hommage qui a lui a été rendu par l’APC d’Oran au mois de septembre 2003, le maire d’alors, Noureddine Djellouli, dira que «Hasni a vécu et mourut en homme amazigh, libre».

Hasni Chakroune, ne s’attendait sûrement pas à une quelconque fin aussi dramatique, il se produisait alors davantage aussi bien à Paris, Marseille, Boston, Tunis, Casablanca, Tokyo que chez lui. Le couvre-feu instauré durant les années 1990 n’était pas pour lui la barrière pouvant le freiner. Aucun ne niera son dernier concert qu’il a animé à Alger le 5 Juillet 1993 à l’occasion de la célébration du 31e anniversaire du recouvrement de la souveraineté nationale. Plus de 150.000 personnes sont venues voir de visu cet enfant qui avait défrayé la chronique, tout en imposant son notoriété sur la chanson sentimentale, malgré la rivalité l’opposant avec un autre chanteur vivant actuellement aux USA, Cheb Nasro. Hasni se lançant dans la carrière de chanteur est devenu l’idole de ce qu’il aimait appeler «les malheureux et les malheureuses». 22 années après sa mort, Hasni continue à garder sa prépondérance en dominant le chant au verbe cru, le raï.

La production abondante de Cheb Hasni était à la hauteur de sa réputation. Son style fera objet de modèle suivi par Hasni Seghir et plein d’autres raïmans qui ont repris le flambeau en signant l’acte de résistance à la mort «décrétée» par les sanguinaires des GIA. Du temps de Hasni, le raï n’a pas déraillé, le raï n’était ni alcool ni encore moins les soirées roses et arrosées. «C’était de la «mechiakha», «on appréciait ses chants et ses paroles toutes décentes», dira un fou amoureux des chansons de Hasni, Ali Belaribi. Il ajoute: «Dans ses chansons, Hasni nous prévenait sur les problèmes sociaux, il ne chantait pas seulement sur les histoires des amourettes.»

La baraque lui vaut sa célébrité

«»Oh chère dulcinée, je n’ai pas où te loger à part un F2» est cette chanson qui traite de «la crise du logement qui persiste encore», a expliqué Ali Belaribi ajoutant que «Hasni, gardant l’espoir, était plein d’amour et d’affection qu’il offrait à tout le monde». Hasni, fils de soudeur, est venu au monde le 1er février 1968 à Gambetta, quartier situé dans le nord-est de la ville d’Oran. Il est frère de cinq enfants.

Ayant le gosier toujours déployé, le roi de la «patience» et de l’Espoir, en jetant son cartable d’écolier, Hasni, comme tous les adolescents de son âge, s’est adonné au football. Tout petit qu’il était, il a réussi à arracher avec brio sa place dans la plus grande école de formation de footballeurs, l’Asc Oran (Asm Oran actuellement). Une blessure l’a obligé alors à quitter définitivement le football. Il céda alors à son obsession, le chant. Aucun ne lui prédisait la réussite tant qu’il était encore adolescent. Le hasard lui a souri une fois, Hasni n’a pas raté l’occasion. Son contact avec le public a été effectif lors d’une fête de mariage.

Les frères Naoui, qui cartonnaient à l’époque, n’étaient pas par un simple hasard présents à la cérémonie. Sur place, ils ont conclu que le petit Hasni pouvait facilement percer tout en faisant le bonheur des passionnés du raï. Ils invitent l’enfant de l’avenue Canastel à prendre le relais sur la scène de la Guinguette, cabaret situé à Canastel. Une deuxième fois, Hasni, à son grand bonheur, saute sur l’occasion. Le grand sursaut fut lorsqu’une autre opportunité s’est présentée, un producteur audacieux a osé lui proposer de passer au studio. Là encore, Hasni ne rate pas l’invitation, sans se rendre compte que sa carrière de chanteur était à ses prémices. Dans le studio, il tomba nez à nez avec la princesse du raï, chaba Zahouania. Le duo a, durant l’été 1987, enregistré la chanson qui a valu la notoriété éternelle à Hasni, «Derna l’amour fel Berraka mranaka». Et c’est à partir de cette petite baraque que Hasni s’est lancé dans les grands horizons. En éditant «El Visa», tiré à plus de 250.000 exemplaires, Hasni a marqué un autre coup haussant davantage sa domination et sa notoriété sur le raï.

Les éditeurs accouraient de partout se disputant la voix du déclamateur de l’Espoir là où il passait. Les petites insolences d’un tel chant ont fait quelques mécontents estimant que «le raï déraille». Le raï s’est, bien au contraire, explosé avec l’avènement de Hasni bousculant Khaled, Fadéla, Sahraoui et autres qui dominaient à l’époque.

Les islamistes sévissent

Contrairement au raï d’aujourd’hui, Hasni n’était pas injurieux ni insolent. Il aimait tout le monde au point où il chantait tout haut ce que les autres pensaient tout bas en dénonçant les maux sociaux comme les amourettes passagères et l’adultère. Son verbe, qui était très demandé, était harcelé par ces islamistes sillonnant la ville d’Oran ordonnant aux disquaires de déchoir la masse des sonorités envahissant les rues d’Oran. Ils prêchaient, d’un ton menaçant que «le chant raï est à interdire dès qu’ils prendraient le pouvoir».

Toutefois, Oran, qui ne s’est pas «iranisée», n’a pas été «talibanisée». Malgré cette traque lancée contre le raï, la demande s’accroît de jour en jour. Ayant tourné le dos à ces intégristes manquant de projet de société, les Oranais ont adopté leur raï. D’ailleurs, un écriteau ancré dans un mur d’une habitation était explicite dans son message «Oran n’est pas l’Iran». Plus loin, au mois de juin 1991, l’ex-FIS a lancé sa guérilla urbaine en marquant ce qu’il a appelé «la désobéissance civile». Cette désobéissance n’a pas empêché la tenue du Festival du raï de 1991.

Les intégristes, occupant la place d’Armes, les férus du raï leur ont tenu tête en signant et persistant pour l’organisation dudit festival.

La véritable confrontation ayant opposé les deux parties, a fini par donner raison aux organisateurs de la rencontre annuelle relevant à l’époque de l’association culturelle de la ville d’Oran, Acvo. Ayant pris le relais, l’Association pour la promotion et l’insertion de la chanson oranaise (Apico), n’a pas non plus cédé elle aussi aux menaces proférées par les chasseurs de lumière. Détenteur de carte de résident, Hasni a refusé de vivre sous d’autres cieux en militant parmi les siens malgré les recommandations de l’agent chargé de ses affaires, son manager.