HOMMAGE A HADJ EL MEKKI BENSAID : Le parcours lumineux d’un bénévole du théâtre

HOMMAGE A HADJ EL MEKKI BENSAID : Le parcours lumineux d’un bénévole du théâtre

Figure  très  connue  et fort  estimée  du  milieu  théâtral  mostaganémois  , Hadj  El Mekki  Bensaid  est  resté ,malgré  une  santé  précaire , un briscard  débonnaire et passionné  que  les  festivaliers  croisent , avec un réel  plaisir , lors de chaque édition du  festival  du  théâtre amateur , que notre cité  abrite  depuis  sa fondation en 1967 , avec  un engouement  toujours  renouvelé .

Cet  ancien  kechef  du  fawdj  el  falah  garde, en dépit  d’une constitution malingre,

une lucidité admirable  et  une vigueur  qui  laissent  pantois aussi  bien ses  proches que ses nombreux  amis et admirateurs  qui ont toujours voué ,déférence  et respect, à  ce  patriarche prodigue , un des derniers dinosaures d’une lignée  glorieuse qui aura jeté , en  ces  années  d’exaltation post indépendance et depuis le mythique foyer scout d’El Falah  , les fondations  du tout  premier festival  national  dédié  au  théâtre .

Généreux  comme  savent  l’être  les scouts , prévenant  comme  peut  l’être  un  bon père , et  gardant  l’humilité des  petites  gens  du  vieux  Tijditt , hadj el  mekki  n’hésite  jamais à ouvrir  sa  prodigieuse mémoire à  tout chercheur  et à  tout passionné de  culture  qui  le sollicite, dans le  but  d’encourager la  transcription  de  chapitres  méconnus  de  la fabuleuse  épopée  du  mouvement  théâtral  mostaganémois

Dans ces  moments  hors  du  temps  ,hadj  el  mekki  redevenant   lui- même,  replonge  avec  ravissement   dans  son  élément . Et aussitôt convoquée , la  mémoire  se remet  alors  en branle  , remontant  allègrement  les  méandres   d’une aventure   théâtrale , dont  les  premiers  frémissements  ,  se  plait-il  à rappeler  , se feront  ressentir , dès  les premières  années  du  siècle  dernier , dans les  cafés  de souiqa  tahtania , aventure grandiose  s’il en  est , dont  Il  peut  retracer  avec  une  déconcertante  précision  , les  moindres  contours  et  les  moindres  repères , tirant de l’oubli  des  noms tantôt  illustres  tantôt  anonymes, que  la  platitude  routinière  et  l’ingratitude avaient  fini  par  jeter aux oubliettes . Au décours  de  ces  instants aussi  bénis  que  magiques , la  marée mémorielle  déborde et  libère  ses généreux flots  . La  parole  devient  alors  profuse, mais  lumineuse et  précise. Et  des  tréfonds  des  souvenirs , les dates  remontent, puis s’entrechoquent mais finissent toujours par s’imbriquer pour  redonner vie , peu  à  peu  , à  des  escales  ignorées  d’une  aventure  palpitante . Habité  par  un  irrépressible  enthousiasme  qui  l’accompagne en fait  depuis  sa  prime  jeunesse,  il  nous  révèlera  ainsi  des pans inédits  d’une  histoire  culturelle qui  reste  encore  à écrire,  et  dont  il  aura  été  ,un acteur  essentiel  et  un témoin  privilégié.

Bensaid   El Mekki   est né  le 03 avril 1934  à  Tidjditt  ,  au  numéro 331 de  la  rue  27  ,  rue  qui  débouche  comme  toutes  les autres  venelles  de  la  vieille  ville,  dans la  placette  de  souiqa, le cœur  battant  de  Tidjditt . Orphelin  de  père   très  tôt, ses oncles maternels  pourvoiront à ses besoins et à son éducation. Et comme  tous  les  gamins de Tidjditt , Il  fera  sa  scolarité  à  l’ école  Jeanmaire , qu’il  quittera  en  mai  1949  ,après   avoir  décroché  son  certificat  d’ études  primaires .

Quelques  années  auparavant  , en  1946  , le  jeune enfant  est  louveteau  dans  la meute  El Yasmina  du  groupe  El  Falah  où  activaient  les  seniors  Benahmed   laaredj   , Benabdelhelim  harrag  , ahmed   Berber  ,  belkacem   Bekhlouf  , laaredj  Beriati, abdellah  Bendani , laaredj  Benmalti , mohamed  habib  Hachelef… Cette  même  année  , il  est  repéré par   djillali  Benabdelhelim  , responsable  de  l’ atelier d’art  dramatique  au  fawdj  , pour  jouer  dans  sa  pièce  « Le  dentiste  atomique », que  la  petite  troupe   scoute   donne  à  Bethioua , pour  célébrer  l’ouverture  d’une médersa libre ,pièce qui  sera   interprétée  entre-autre  par ghali  Boudraf  , hmida  Moulay  Cherif , djillali  Benabdelhelim  , Benmokaddem  abdelkader , Benacer  ahmed …

Lorsqu’en  1952  ,  Es-Saïdia   renaît  de  ses  cendres  ,  de  nombreux scouts   rejoindront   la  nouvelle  troupe  dirigée  alors par le professeur  Benaissa   Abdelkader ,homme de culture  et  lauréat de la prestigieuse université de la Zitouna. Hadj  el  mekki   devient  sociétaire  d’ Es-Saïdia  en  1953 , d’ abord  comme  comédien  , puis  comme  régisseur eu égard à  ses nombreuses  prédispositions techniques et artistiques . Dans  le  local d’  Es-Saïdia  , une citation  de Théophile  Gautier  placardée  sur un mur,  l’attirait  irrésistiblement  : Le théâtre  est  école  de mœurs  et une  académie  de  la mode . Et  jusqu’en  1959  , il  réalisera  les  décors et l’éclairage de toutes  les  pièces   de  Kaki .Et   dans  ses  astuces  et  trouvailles  sur  la  lumière  de  scène – réalisées faut-il  le rappeler  avec  des  moyens de  bords souvent  très  dérisoires – il  rejoignait  dans  ses  recherches , et  sans  trop le savoir, l’homme  de théâtre  français  Roger  Planchon  ,dramaturge , acteur , metteur en scène  et  directeur  du  théâtre  national  populaire (TNP).

Parallèlement  à  son  hobby  ,  il veut  s’assurer  un gagne-pain . Ce qui  le pousse à s’inscrire à une  formation  de laborantin , puis de  meunier  au  terme  de  laquelle ,  il intégrera  la  minoterie  Cohen  scali  de  Mostaganem , unité  qui sera  rattachée après l’indépendance , à  la  société  nationale  Sempac , où il occupera  le poste  de chef  meunier   puis  celui  de directeur de  production.

Entre  temps  , dans le domaine  théâtral , il  écrira  quelques  saynètes  qui seront  jouées sur  la placette  de Souiqa , par  des  comédiens  scouts , dont nous citerons :  « Qoul  Baa »   ;  « les  Invertébrés » ; « Derrière   le  rideau » ; « Conscience , vie  et  songe».

En 1956 ,  se  tient  le premier  festival  de théâtre professionnel  de  Mers-El-Kebir  avec à  l’affiche «  l’Espagnol  courageux » de miguel  de  Cerventes , «Othello » de william Shakespeare   , « Antigone » de jean Anouilh   et « les Perses » d’ Eschyle  , festival  qui verra  la  participation notamment  de  la troupe  de  jean  david  et  du groupe  du  théâtre  antique  de la Sorbonne . Hadj  el Mekki  et quelques comédiens d’Es-Saïdia  seront  distribués  dans la  fresque  théâtrale « l’ Espagnol  courageux » ainsi  que  dans la  pièce Othello .

Et afin  d’affiner  ses  connaissances  ,hadj el mekki  Bensaid  suivra  un  stage  d’art dramatique  chez  l’instructeur  henri Cordreaux , à  Erriath  près d’ Alger ,puis  participera  en 1959 avec la  troupe musico-théâtrale d’ Es-Saïdia , à la  soirée   que cette  dernière   donnera  à la  salle  pierre  Bordes ( l’actuelle  salle  Ibn Khaldoun ). Après la prestation de la  troupe musicale  de  mohamed Tahar , la  section  théâtre  présente  « Dem El  Hob »  de  Kaki , pièce  dont hadj  el mekki  assurera  le décor  et l’éclairage et qui  sera jouée entre autre  par  Bentriki  m’hamed ,Osmane  fethi,, Abbou bouasria , Chougrani  mustapha , Benmohamed  mohamed …  Au  cours  de  ses  séjours  algérois  , il se liera  d’amitié avec  le poète et acteur  himoud Brahimi

(le  célèbre  Momo  de la casbah) , le  réalisateur  mustapha   Gribi, le comédien alain  Viguier (sociétaire d’ « Art et Théâtre »), le comédien  mustapha  Kezderli …

La même  année , hadj el  mekki   rejoint  Kaki   après   la  création  de  « Mesrah  el Garagouz » , troupe qui  établira  ses  quartiers  dans  la cave  désaffectée  d’une menuiserie ,sise rue  du  lion  au centre-ville .

A  l’indépendance , il  fonde  le  groupe  scout   El  Chihab , dont il  sera le  Raïs  ,  groupe qui  occupera  un local  à  la  cité  foncière, et  qui  fera le  bonheur  aussi  bien  des  gamins  du  quartier , que  ceux  des îlots  mitoyens  de  Diar  el  Qaptan  et  de  Diar  el  Hana .

En  ces   années  euphoriques  post  indépendance, l’activité  théâtrale retrouve  peu à peu  son allant. Durant  cette période , Hadj el  mekki  reprend pour  sa  part , comme  l’avait  fait  auparavant  son aîné  djillali   Benabdelhelim ,  la pièce  « les  cinq  couverts » de sacha  Guitry, qui sera jouée  sur  la  placette  de  souiqa .

Vers  la fin  des  années soixante  ,le  groupe  d’ El Falah  a  dans  l’idée  de  créer un festival  d’art  dramatique  afin de  fédérer  tous les amateurs du 4éme  art , un peu à l’image  du festival  d’ Avignon. Animée  par  une  poignée  de   scouts  et  avec  le  concours  de la  direction  de  la  jeunesse et  des  sports  , se tient du  côté du stade Barthou , la  réunion  fondatrice  du  festival, à laquelle  participera  une poignée  de scouts  dont   hadj el  mekki.

En 1967 , date   de  la  mise  sur  rail   du premier  festival , hadj  el  mekki   y participe avec  la pièce  « El Emir » de  Nait  mohamed, dont il  assurera  la mise  en  scène  ,et  qui sera  présentée  à  la  salle  Afrique  ( ex Cinémonde) par  la  troupe  Emir  Abdelkader, troupe créée  par  ghali  Bouchama  .

En   1968  , lors de la 2éme  édition  , mekki  Bensaid   monte   « Massinissa » de  Benaissa  abdelkader  , pièce  qui  sera   jouée  au  stade  Benslimane   par la même troupe  formée  entre-autre  par  Meflah  mohamed  ,  brahim  ahmed  Chegga , sid-ahmed  Ghezzar …

Les  disparitions  de  djillali   Benabdelhelim (en 1990) , de Ould  Abderrahmane  kaki (en 1995)  , de  Benaissa   abdelkader (en 2002 )   et des  comédiens  d’Es-Saïdia

(m’hamed  Bentriki ,  charef  Bettadj,  Abbou bouasria  , ahmed  Benacer …)  et  de  Mesrah  el garagouz  (Bachali  allal , Osmane  fethi,  Mezadja  bouzid  , Ould   Abderrahmane  maazouz  ,Benmokaddem   abdelkader …)  l’ affecteront  douloureusement  et  l’éloigneront  peu  à  peu  de la  création  théâtrale .

Agrippé  à  des  souvenirs  qu’il  semaient  néanmoins  à  tout  vent  , il  est resté  l’éternel festivalier  qui  aura  longtemps  veillé , avec   sincérité , loyauté  et  dévouement  , au legs  de   djillali Benabdelhelim , celui-là  même , auquel  il  vouait une  déférence  quasi  filiale . Tout récemment ,  quand  le  nom  de  son mentor  fut choisi  pour   être  apposé  sur le  fronton  du  nouveau  théâtre  de  notre  ville , hadj el  mekki   fut  ému  aux  larmes  .

Et en  hommage  à  son inestimable   contribution  à  la  mouvance  théâtrale  mostaganémoise ,  hadj  el mekki  est désigné en  2013, président  d’ honneur  de  la  46 éme  édition  du  festival du  théâtre  amateur .

Et  que  dire  encore  de  hadj el mekki , sinon  que  je  continue  de  le  croiser – il est vrai moins fréquemment  ces  derniers temps -avec un réel  bonheur , chaque  matin, au centre-ville , la démarche  précautionneuse, la  tête  haute  , arborant  une  inamovible  et immaculée  « aaraguia » blanche  , la veste  impeccable  et  le  dos  droit  , son  journal  des  sports  sous le bras . Debout , il m’arrive, quand  le  temps  le  permet  , de  dévisser  avec  mon  ancien  Raïs  scout  ( du  temps  que j’étais louveteau au groupe  Ech-Chihab  ) et nous parlons bien  évidemment  de théâtre. Et j’ai énormément  appris  en  son  contact. D’autres jours , nous discutions  parfois  du vieux Tidjditt  ,  du  ciné  Lux  …, discussion  qui  nous menait  à  petits  pas , jusqu’au seuil  de  mon cabinet . D’une  affabilité  et  d’une  probité qui  forcent  le  respect  , et  d’une  circonspection à la  limite  de l’effacement  , l’orphelin de  Tidjditt devenu  homme, n’a jamais voulu s’aventurer  au-delà  de ses « plates-bandes théâtrales»  qu’il connaissaient  bien et  dont  il  pouvait  apprécier une  connivence  bâtie  parfois dans  la  douleur , mais  avec  une  fidélité  que les années  n’ont jamais  démenties  .En cela, il aura été  un  comédien  particulièrement  lucide , un  infatigable  bénévole  du  4éme art  et  un  artiste aussi vertueux  que  consciencieux.

Et  tout  au  long  de  ce  prodigieux  parcours ,  aucune  once  d’abattement ni d’inimitié  ne  viendront  perturber  un cœur  qui  battait  pour les  autres .

D’avoir  vouée  toute  sa  vie  au  théâtre  ,  mekki   Bensaïd  sait  que  l’Art  ne  nourrit pas  son  homme . Il me  répète  souvent  la  réponse  qu’a eu  l’homme de  théâtre Charles  Dullin , qui vécut  et mourut pauvre , à  un souhait  formulé  par  le  jeune  jean  louis  Barrault   :

-Monsieur  ,je  veux  faire  du  théâtre

-Vous êtes  décidé  à  faire  du  théâtre ? repris  charles Dullin, benoîtement  surpris

-oui  Monsieur

– Vous  savez  que  votre  choix  est  grave  et  que  vous  risquez  de crever  de  faim ?

Une  vérité  cinglante  mais  réelle  qui sonne, non pas  comme  un  découragement , mais plutôt  comme  un  aveu  sincère  quoique  bien amer.

Retraité de la  société  nationale  Sempac , hadj  el mekki   continue lui  de vivre  sereinement  avec  ses seuls  émoluments  d’ancien fonctionnaire.

Mais  d’avoir vécu  une  vie  intense entièrement  offerte  à la  scène – une  contribution  de  bénévole comme  il  se plait  à  le préciser –  cela  équivalait  certainement à  tout  l’or du monde  pour hadj  el  mekki , un  rescapé  d’une autre  époque où  l’engagement  rimait  avec  désintéressement .

PS : Ayant  appris  ces  derniers jours  que  hadj el mekki   était  souffrant  ,  je  lui souhaite  un  prompt  rétablissement  et  lui  donne  rendez-vous  , si  Dieu  le  veut , à  l’ouverture  de  la  49éme  édition  du  festival  qui  aura lieu le  25 août  prochain  au nouveau  théâtre  de  la ville.

Alors  merci  pour  tout  et  à   bientôt  Cheikh, près  des feux  de  la rampe  qui ont  illuminé  toute  votre  vie  !