Entretien avec l’écrivain Kaddour M’Hamsadji : « L’Algérie doit retrouver ses repères »

Entretien avec l’écrivain Kaddour M’Hamsadji : « L’Algérie doit retrouver ses repères »

Issu d’une vieille famille de la Casbah d’Alger, Kaddour M’Hamsadji, est né le 8 août 1933 à Sour El Ghozlane (Bouira) où son aïeul a trouvé refuge lors de l’exode massif de la population de la vieille ville. Il a effectué ses études primaires en ce lieu chargé d’histoire de l’antique Auzia qu’il quittera très jeune pour poursuivre ses études secondaires, d’abord au collège moderne de Boufarik, puis au lycée Émir-Abdelkader (ex-Bugeaud), où il décrocha son baccalauréat en 1954.

Ses aspirations et sa passion pour l’éducation l’orienteront alors vers l’enseignement. C’est ainsi qu’il sera admis à l’École normale d’instituteurs de Bouzaréah, en 1955, pour devenir enseignant. Il entamera alors une brillante carrière professionnelle qui lui fera connaître plusieurs promotions dont celles d’inspecteur d’éducation et de directeur du Centre national d’enseignement généralisé (CNEG).

L’homme de lettres achèvera ainsi un brillant itinéraire fait de dévouement et d’amour pour l’Ecole algérienne, après avoir exercé la fonction de conseiller chargé de la communication éducative au ministère de l’Éducation nationale au cours des années 1990-1994 où il fonda la revue L’École demain, un support didactique de référence. Ce grand homme  qui s’est dépensé corps et âme pour l’éducation et l’enseignement est également un grand écrivain, à l’aise  dans tous les genres littéraires.

C’est dans une ambiance chaleureuse et pleine d’émotions que l’un des doyens des écrivains algériens d’expression française a procédé samedi dernier à la Librairie du Tiers Monde à la vente-dédicace de son nouvel ouvrage intitulé La Quatrième épouse, paru récemment aux éditions Casbah.

Un panel d’intellectuels, d’universitaires et d’écrivains, à l’exemple de Kamel Bouchama, Amine Zaoui et Mohamed Sari ont marqué de leur présence cet important événement durant lequel nous avons vécu des moments attachants auprès d’un éminent écrivain mais aussi d’un grand homme qui a consacré toute sa vie à l’éducation, à la culture et à la littérature algériennes et continue malgré son âge avancé à le faire avec beaucoup d’amour et de passion.

Nous avons profité d’un entretien  avec M. M’Hamsadji qui s’est confié à nous.  Il revient sur certains aspects de la vie quotidienne de la société algérienne, pendant et après la colonisation.

Un ouvrage plein de métaphores, de descriptions et de symboles, c’est ce que le lecteur retient,  n’est-ce pas ?

Le titre de ce roman n’est pas anodin. Il faut bien le lire. Chaque mot, chaque expression représente des symboles concernant l’Algérie. Il s’agit de quatre visages de l’Algérie : la première épouse, c’est l’Algérie coloniale, la deuxième épouse, l’Algérie combattante et révolutionnaire, la troisième épouse, l’Algérie au tout début de l’indépendance, la quatrième épouse, l’Algérie de nos jours. Ce roman nous ramène à une vérité inéluctable : tout peuple qui ne s’éduque pas et ne s’instruit pas ne pourra acquérir aucune liberté.

Vous continuez  à écrire malgré votre âge ; pourquoi cette obstination ?

J’essaie de transmettre aux gens ce que j’ai vécu, vu et acquis comme connaissances, savoir, éducation et instruction. Je n’écris pas pour moi mais pour les autres.

Vous êtes un écrivain au parcours riche, parlez-nous un peu de vos débuts ?

Ma première  œuvre a été La Dévoilée, elle a été publiée en 1959 en France, aux éditions Subervie. Un éditeur j’allais dire presque clandestin puisque c’était un ami de l’Algérie. Il était le premier à avoir imprimé les cinq premiers numéros d’El Moudjahid de la révolution. La Dévoilée a été jouée au Théâtre national algérien (TNA)  et à la Radio avec la troupe de Mahieddine Bachtarzi. Le rôle principal a été interprété par  Farida Saboundji. Cette œuvre m’a fait connaître. J’ai publié aussi Le Silence des cendres qui a été publié juste après l’indépendance. Je racontais l’histoire d’un Moudjahid dans laquelle j’ai voulu mettre toutes les qualités du révolutionnaire algérien qui s’est dressé contre le colonialisme. Je tiens à préciser aussi qu’il  est le tout premier et le seul roman algérien traduit en chinois. J’ai écrit un recueil de poésies qui s’intitule Oui, Algérie, qui a rencontré beaucoup de succès et qui a été traduit en plusieurs langues.  Après l’indépendance, il y a eu la création de l’Union des écrivains algériens à laquelle j’ai apporté ma contribution aux côtés de grands noms de la littérature algérienne, à l’exemple de Kateb Yacine, Mouloud Mammeri, Malek Haddad, Moufdi Zakaria. Ce dernier me considérait comme son fils. On a d’ailleurs animé une conférence ensemble au TNA sur l’Emir Abdelkader dans les années soixante.

Vous êtes une personne qui tient énormément à ses origines et traditions…

J’étais élevé dans un milieu où on parlait beaucoup de traditions. Mes origines  sont de la Casbah puisque les M’hamsadji étaient quatre frères dans la vielle ville et ce, jusqu’à la veille de la prise d’Alger le 5 juillet 1830. Ils étaient  armuriers  et fabriquaient du petit plomb. Ils ont rencontré beaucoup de problèmes avec les envahisseurs et c’est pour cela qu’ils ont décidé avec leurs familles de quitter la Casbah et d’aller ailleurs. Mon aïeul a trouvé refuge à Sour El Ghozlane.

L’indépendance suffit-elle à la construction d’un pays fort et souverain ?

Arriver à une Algérie indépendante était inéluctable, car c’est tout le peuple qui s’est sacrifié.  Mais ce n’est pas suffisant car il faut que l’Algérie se remette debout, qu’elle se cultive, qu’elle se développe et retrouve  ses repères afin de les embellir et les mettre en pratique à tous les niveaux : dans la société, au sein des familles, de l’administration, dans les centres de gouvernance. L’indépendance n’est rien sans la véritable liberté d’être.

Ce livre a été écrit depuis longtemps ; pourquoi ne l’avez-vous pas publié très tôt?

C’est vrai.  J’ai écrit ce roman il y a au moins une dizaine d’années. Mais je l’ai un peu abandonné car  je lis et je présente un ouvrage chaque semaine. Je  suis passionné non seulement de lecture mais du livre algérien. Il faut que les Algériens lisent.  Malheureusement, c’est ce qui manque énormément. Il faut être amoureux du livre algérien. Nous-mêmes, nous ne nous reconnaissons pas.

Propos recueillis par

Mourad Mancer