Elle a été tranformée en atelier pour artistes: Maison des Bouhired à la Casbah, l’art pour préserver notre patrimoine

Elle a été tranformée en atelier pour artistes:  Maison des Bouhired à la Casbah, l’art pour préserver notre patrimoine

Autrefois foyer de la révolution algérienne, où furent arrêtés Yacef Saâdi et Zohra Drif Bitat, la demeure des Bouhired à la Casbah revit aujourd’hui, et malgré les difficultés, grâce à un jeune collectif qui œuvre pour promouvoir l’art, la culture et faire découvrir la richesse des lieux aux Algériens.

Une brise rafraîchissante embaumait les artères étroites de la Casbah en cet après-midi d’avril. Les premières marches en pierre des escaliers qui s’offraient à nous déversaient sur une venelle du mythique quartier, délimitée par les vieux murs repeints en rouge par les habitants. Dans ce long couloir sinueux de la rue Malaïka-Benaïssa (ex-Caton), nous pénétrons dans la première maison à droite, portant le n°3, avec ses imposantes colonnes et porte d’entrée arquée peinte en un marron foncé, qui n’est autre que celle du chahid Mustapha Bouhired, qui fabriquait dans cette même maison des bombes artisanales lors de la guerre de Libération, et qui payera de sa vie pour que vive l’Algérie indépendante, un certain 14 mars 1957.

Derrière la lourde porte en bois protégée par d’anciens entrebâilleurs la ciselant de part et d’autre, et qui en assuraient ainsi la sécurité, nous accédons à la sqifa, un espace d’entrée intermédiaire entre le niveau de la rue et l’intérieur de la maison (wast eddar), où une plaque commémorative, accrochée au-dessus d’un banc construit dans l’épaisseur du mur, rappelle, avec ses caractères couleur ocre, le passé glorieux de la maison : “Propriété du chahid Mustapha Bouhired, cette bâtisse n’a été restaurée que pour devenir un lieu commémoratif à la mémoire des martyrs du 1er novembre 1954. Puisse-t-elle constituer un point de repère pour la sauvegarde du patrimoine de notre chère Casbah.”

Un patrimoine ressuscité par les amoureux de l’ancienne citadelle

En cette saison printanière, nous avons voulu redécouvrir la maison mauresque, classée patrimoine mondial de l’humanité par l’Unesco en 1992, et qui se retrouve désormais entretenue par les enfants et petits-enfants du combattant, à laquelle ils insuffleront une seconde vie, grâce, notamment, à un collectif de jeunes acteurs de la scène culturelle algérienne, dont fait partie le petit-fils du martyr, Naïli Arslan. Dans le but de préserver cet héritage et rapprocher l’art des habitants, Arslan a organisé, au mois de décembre 2016, plusieurs expositions et performances culturelles de jeunes artistes, qui se sont succédé afin de faire connaître leur talent et leur art.

L’idée a germé lorsque, nous dira-t-il, il a “constaté qu’il n’y avait pas assez d’espaces dédiés à l’art sur Alger, j’ai donc eu l’idée d’ouvrir cette maison qui plus recèle un caractère historique et qui aura abrité un nom de la révolution algérienne. J’ai d’abord ouvert un atelier, “Warchate N.A.S’’, qui se situe dans l’ancien makhzen de la maison, où ont eu lieu plusieurs évènements, comme des shootings photos”. Pour la restauration, c’est Houria Bouhired, architecte de son état et présidente de l’association “Sauvons la Casbah”, qui s’occupera de rénover cet espace qui fut surnommé “Le château d’If”, et dans lequel seront arrêtés Zohra Drif et Yacef Saâdi : “Ma tante a essayé de réédifier la maison, principalement dans un but de sauvegarde du patrimoine et de l’histoire.

Notre rôle a été ensuite de la convaincre de l’ouvrir pour l’accueil d’activités artistiques.” S’agissant de la question du financement des rénovations, notre guide nous confiera n’avoir reçu aucune aide extérieure, car les fonds sont exclusivement personnels, tout en déplorant la réticence des sponsors dans des projets comme celui-ci. “On essaye de trouver des sponsors, mais les entreprises, sachant qu’il y a une déduction des impôts pour les aides aux activités culturelles, ont du mal encore à sauter le pas, ils bloquent encore là-dessus”, regrette notre interlocuteur.

Une demeure dédiée à l’art et aux artistes

Quelques mois après le passage de peintres, calligraphes et photographes, les traces de ce bouillonnement culturel sont encore présentes. Au bout des marches en faïence menant au premier niveau, une note est accrochée sur la vieille porte en bois immobilisée par une pierre posée à même le sol, qui nous renseigne en quelques lignes sur l’identité d’une photographe, en l’occurrence Leïla Gueddoura Achour, qui avait exposé, lors de la Journée de la Casbah, le 25 février dernier, sous le slogan “L’avenir de la Casbah”, une série de photographies en hommage à la vieille médina d’Alger.

Après cette première découverte, on se laisse imprégner d’une ambiance et d’une aura qui nous ramène plusieurs siècles en arrière, en pleine époque ottomane avec le patio (wast eddar), couronné de 8te arcs outrepassés en forme de fer à cheval, étançonnés par de grands piliers torsadés, dont les nombreuses couches de peinture ont quelque peu estompé les minutieux détails décoratifs d’autrefois. La faïence et l’ardoise sont pour leur part les quelques rares éléments originaux de la demeure de l’ancienne citadelle, et constituent, d’une certaine manière, un pont entre le visiteur et le passé glorieux de l’ancienne Casbah. C’est aussi dans ce carré abreuvé d’une douce lumière printanière que le conteur Lahcen Bellatar, le oudiste Ali Mbarek et Fouad Bouatba donnaient une représentation en plein cœur de la maison, auquel le public et les Casbadjis furent conviés lors de l’inauguration artistique du lieu le 17 décembre 2016.

Cette envie de l’organisateur de transformer cet espace en un repère pour les artistes, notamment les jeunes, est née, car “il n’y a pas suffisamment de lieux ou d’évènements culturels”, selon lui. “La culture est malheureusement méprisée dans notre pays, surtout les arts plastiques qui en pâtissent énormément. Dans ce sens, nous envisageons d’instaurer un programme de résidence pour les artistes, où ils pourront proposer leurs travaux, les exposer à l’extérieur, et ainsi entrer en contact avec le public.” La suite de ce parcours historique et culturel se poursuit au second étage, baigné d’une chaleur que procure le toit en verre que vient contrecarrer la fraîcheur revigorante émanant de l’ouverture centrale donnant sur l’étage inférieur, que l’on prend plaisir à contempler du haut du vieux “darbouze” (balcon en bois). Ce niveau est également le plus animé de l’habitation, car devenu le QG de nos hôtes, qui s’y regroupent pour discuter de leurs projets.

C’est dans cet étage aussi qu’une exposition collective a eu lieu lors de l’inauguration (dont les œuvres sont encore accrochées), regroupant des artistes comme Nahla Naïli (co-fondatrice de l’atelier N.A.S), qui exposait ses croquis, Samir Chaou de Tizi Ouzou et ses estompes, ainsi que Karim Teddafi avec une série de photographies intitulée “Cuba by night”, que l’on croirait prises à Alger si ce n’était le titre, tant les ruelles des deux villes sont semblables, ou encore les toiles de Rabah Chabounia qui reproduit les odalisques de Femmes d’Alger, imprégnées d’une douleur tangible. Pour la rémunération des artistes, ou du moins en partie, M. Naïli révélera qu’il compte “importer des idées qui existent ailleurs, en mettant un chapeau par exemple lors des spectacles afin que les gens y mettent de la monnaie, afin de rémunérer l’artiste”, et de poursuivre : “Plus que le côté financier, notre démarche demande avant tout un réel investissement physique moral et citoyen, car les gens ne sont pas habitués à payer pour la culture.”

Un quartier qui se meurt, malgré quelques projets entrepris pour sa préservation

Dernière étape de notre parcours, la coquette terrasse de la bâtisse, parée de plantes aux couleurs chatoyantes, à laquelle fait face l’immense dôme de Jamaâ Lihoud, caparaçonné d’une couverture d’argent pour le protéger des intempéries. Notre regard se fixe autour de l’imposante construction, où s’offre à nous un spectacle désolant : le délabrement des maisons en ruine est davantage accentué du point où nous nous trouvons, avec fenêtres brisées des habitations encore occupées, détritus côtoyant le linge propre sur les terrasses, paraboles rouillées et bancales, menaçant à tout instant de s’effondrer, tel est le visage actuel de la Casbah, qui fait naître en nous une sensation d’étouffement et de désarroi.

La citadelle, berceau des révolutionnaires, est désormais un quartier fantôme, dépouillé de son charme d’antan. Malgré les projets lancés pour sa réhabilitation, il est toutefois encore en proie au laisser-aller et à la négligence.

Et c’est là qu’apparaît l’utilité d’initiatives comme celle du jeune collectif, qui vise, sinon à réédifier complètement la cité, la rapprocher des citoyens et lui redonner son dynamisme d’antan.