chronique des 2 Rives : Hamid-Nacer Khodja ou la mémoire fertile

chronique des 2 Rives : Hamid-Nacer Khodja ou la mémoire fertile

Déjà un an que Hamid Nacer-Khodja nous a quittés en un triste 16 septembre 2016. C’est un brillant chercheur universitaire, un essayiste talentueux que perdit l’Algérie. Hommages et reconnaissance avaient afflué pour lui décerner le statut de passeur de cultures vivifiant. Un an après, ses proches et ses amis lui rendent hommage à Lyon, ce 16 septembre 2017. Juste hommage à celui qui consacra l’essentiel de ses efforts aux vers des autres…

La maladie fut plus forte. La mort emporta Hamid-Nacer Khodja en ce triste 16 septembre 2016… La nouvelle parvint comme la foudre. Voilà que disparaissait l’ami, l’universitaire, l’essayiste, l’écrivain, le poète, et l’homme le plus affable que l’on puisse connaître par les temps mauvais. Ses travaux sur la littérature et la poésie, sur Jean Sénac – auquel il avait consacré une thèse de doctorat et, notamment, un remarquable essai sur sa relation à Camus, « Albert Camus–Jean Sénac ou le fils rebelle » (Préface de Guy Dugas) – et, à tant d’autres romanciers et poètes dont la destinée fut liée à l’Algérie et au Maghreb, font date.

Il signa la postface substantielle des Œuvres poétiques de Jean Sénac, rassemblant l’ensemble de ses quinze recueils poétiques, (Actes/Sud, 1999, préface de René de Ceccaty). Ouvrage aujourd’hui épuisé. Dans les colonnes de la presse, Hamid Nacer-Khodja donna de pénétrantes chroniques littéraires. Et le magazine littéraire algérien, L’Ivrescq, lui doit tant de dossiers de qualité, réalisés par une volonté qui forçait l’admiration. Généreux, il donnait de son temps, de sa santé et de ses modestes revenus, ne reculant pas de prendre à ses frais le taxi de Djelfa à Alger pour assurer le suivi d’un article, la parution d’une préface généreusement dédiée, d’affranchir des courriers, des ouvrages…

Au cœur du pays profond

Né le 25 janvier 1953 à Lakhdaria (ex-Palestro), il vécut et mourut dans le pays profond, sur les Hauts-Plateaux, en symbiose avec les petites gens, le petit peuple, dans des exigences éthiques qui n’étaient plus de mode dans certains milieux. Dans une vie antérieure, il fut des premières promotions de l’ENA, où il côtoya de futurs ministres, voire des Premiers ministres de la République. Un temps, sous-préfet au champ, il détela, désenchanté sous les coups des chausse – trappes bureaucratiques et de l’envie, préférant la traversée du désert au miroir aux alouettes… Celui qui consacra l’essentiel de ses efforts aux vers des autres négligea, ou plutôt sacrifia, les siens. Hamid Nacer-Khodja ne publiera que de rares poèmes en revues et dans des anthologies au gré du temps et de la providence poétique. Pourtant poète révélé à 17 ans par Jean Sénac, qui annonçait, en 1971, son recueil, Après la main.

Recueil qui ne paraîtra qu’en 2015 dans une originale publication à deux voix, en compagnie de Bouche à oreille, de Marc Bonan. Et ce grâce aux bons soins des éditions Lazhari-Labter. Dans sa course contre la maladie et la mort, H. Nacer-Khodja nous a laissé Jumeau, un ultime et grave récit plein d’accents autobiographiques, où se mêlent humour, dérision et introspection sur fond de discours social critique. Un récit paru en 2012 chez Marsa Editions et réédité, en 2016, dans une nouvelle version sous le titre Jumeau ou un bonheur pauvre à la maison d’édition Kalima. Un récit, où plane l’ombre tutélaire de Jean Sénac, le « maître constant ».

C’est un brillant chercheur universitaire, un essayiste talentueux que perdit l’Algérie. Hamid Nacer-Khodja était loin d’être un académicien compassé. Bien au contraire, dans ce monde universitaire, il pouvait paraître parfois « décalé ». Naturel et sans prétention. L’émotion suscitée par son décès a traversé la Méditerranée.

Passeur vivifiant

Hommages et reconnaissance avaient afflué pour lui décerner le statut de passeur de cultures vivifiant. A l’exemple de « Ce que nous nous devons à Hamid Nacer-Khodja », texte émouvant du Professeur Guy Dugas, son ancien directeur de recherche pour sa thèse d’Etat sur Jean Sénac. Un an après, ses proches et ses amis lui rendent hommage.

A l’initiative de son frère Rabah et organisée par sa sœur Nadia Nacer-Khodja, en partenariat avec l’association Coup de soleil en Rhône-Alpes, la Médiathèque de Décines-Charpieu et le soutien de la compagnie Novocento et de l’association Nouiba, une rencontre-hommage aura lieu ce 6 septembre à la Médiathèque de Décines-Charpieu, près de Lyon (France). Présidée par Guy Degas, professeur émérite de l’université de Montpellier 3, cette rencontre se fera en présence de nombreux amis du poète de France et d’Algérie qui feront le déplacement pour évoquer sa mémoire. Au-delà des enceintes universitaires, dont fit Hamid Nacer-Khodja, ces vingt dernières années, le théâtre de son esprit créatif -sans s’enfermer dans une tour d’ivoire- il faut sans doute revenir au point de départ de son aventure humaine. A savoir la poésie. Car poète, il le fut dès 17 ans, comme un clin d’œil du destin à Rimbaud. Un poète devenu rare, au fil du temps et des avanies de l’édition de la poésie en Algérie. Et dire que Jean Sénac annonçait, en 1971, son recueil Après la main ! Or, il faudra attendre 2015 pour qu’il puisse sortir enfin des limbes.

Et ce, dans une publication à Deux voix en compagnie de son ami Marc Bonan, grâce à l’éditeur et poète Lazhari Labter ! Il était temps, avant le terme de son destin sur terre. En fait, non seulement Hamid Nacer-Khodja était devenu un poète rare, il n’évoquait sa poésie qu’exceptionnellement. Comme si pudiquement, il voulait tourner la page sur ses écrits de jeunesse. Dans le secret de son intimité, des gerbes de vers doivent attendre le lecteur. Car la vraie passion de Nacer-Khodja est demeurée la poésie. Pour preuve, l’essentiel de son travail universitaire et éditorial a concerné des poètes. En premier lieu, bien entendu, Jean Sénac. Hamid Nacer-Khodja a fait partie de cette génération au destin tragique dont le cours de la vie a oscillé entre « le mal de vivre » et « la volonté d’être », selon le grand Bachir Hadj-Ali. Faut-il les citer tous ? La liste est longue et pathétique. Poètes trop tôt disparus. Assassinés pour certains, tel l’éveilleur, lui-même, Sénac, Tahar Djaout, Laadi Flici, Youcef Sebti… Et d’autres, ravis précocement à la vie par la maladie, Djamel Amrani, Messaour Boulanouar, Ghaouti Faroun, Chakib Hamada, Hamid Skif, Youcef Sebti pour ne citer que ceux-là.

Une radioscopie ombrageuse et solaire

« … La poésie algérienne, témoin et conscience de la nation, n’est pas que circonstancielle et évènementielle. » A proximité de chantres engagés ou non dans l’action, inféodés ou non à une idéologie, vivent des poètes du dedans aux idées et registres différents. D’errances oniriques en itinéraires personnels, entre sourdes confidences et moi hypertrophiés, avec une évidente clarté ou une grâce abstraite, ces auteurs inquiets ou sereins réalisent une radioscopie à la fois ombrageuse et solaire de l’Algérien. Journal de bord d’une patrie en mouvement, journal intime d’une identité d’homme, telle est la dualité porteuse de la poésie algérienne », écrivaitHamid Nacer-Khodja dans la préface qu’il a eu l’obligeance de rédiger pour Diwan du jasmin meurtri, anthologie de la poésie algérienne de graphie française (selon la formule de Sénac) que j’ai eue le bonheur de faire paraître à Chihab Editions, en 2016. Mais hélas, juste au lendemain de son décès.

Consolation, il était au courant de sa prochaine parution et s’en réjouissait. Voilà par lui la définition de la veine poétique en laquelle il se reconnaissait et se rattachait. Une poésie loin du pathos et de l’illusion lyrique. Djamel Amrani, ce môle insubmersible de la poésie algérienne, l’avait très tôt compris : « Un voyage au-dedans où la parole se meut, où se partage une infusion de tendresse et d’espoir, rythmée par l’appel irrésistible de la lumière ». Au-dedans, le même mot sous la plume de Djamel Amrani et celle de Nacer Hamid-Khodja. A deux moments différents dans le temps.

Dans sa course contre la maladie et la mort, plus qu’une coïncidence, une préscience poétique (« Quelle écriture quelle foi /Sinon fendue/ Quetzal/ Que je pleure »), Hamid Nacer-Khodja nous a laissé Jumeau, un ultime et grave récit plein d’accents autobiographiques, où se mêlent humour, dérision et introspection sur fond de discours social critique. Un récit paru en 2012 chez Marsa Editions, et réédité en 2016 dans une nouvelle version sous le titre Jumeau ou un bonheur pauvre à la maison d’édition Kalima. Un récit où plane l’ombre tutélaire de Jean Sénac, le « maître constant ». Et l’interrogation « Que peut la parole » ? Cette interrogation était au cœur de l’existence de Hamid Nacer-Khodja.

« Le crépuscule tombe sur notre génération », disait Robert Desnos. Hamid Nacer-Khodja a rejoint la farandole de ses frères poètes disparus dont les fertiles paroles et écrits continueront d’habiter les vivants et les mémoires.