Casbah d’Alger: L’agonie silencieuse de l’envoûtante Médina

Casbah d’Alger: L’agonie silencieuse de l’envoûtante Médina

Evenem1.jpgDans la ville de Sidi Abderrahmane, une petite promenade à La Casbah servira à rafraîchir la mémoire. Un petit voyage dans le temps pour revivre les milles et une nuits et les histoires anciennes. A l’heure actuelle, les contes de fées et les légendes du passé se confrontent à la réalité du présent.

 A Alger c’est facile de remonter dans le temps pour revenir à l’âge des sultans. Revenir aux sources et aux origines. Flâner dans les ruelles étroites et monter les interminables escaliers. Les maisons chaulées et colées les unes aux autres. Une méthode de construction antisismique ancienne, les maisons par cette technique deviennent «solidaires», elles s’appuient les unes sur les autres. Des maisons paraissant petites de l’extérieur sont en réalité spacieuses à l’intérieur.

Une cour centrale de villégiature appelée squifa, décorée de verdure, centrée parfois d’une fontaine ou d’un puits. Depuis la Haute Casbah le visiteur a une vue imprenable sur la grand bleue. Une baie classée parmi les plus belles au monde et de la Méditerranée. La ville européenne s’embellit depuis la Haute Casbah avec la vue sur la mer et le ciel bleu, et ressemble d’un coup à une autre Venise avec ses pieds dans l’eau. En descendant vers la Basse Casbah nous nous rapprochons de la ville du type européen construite sur les gravas des douerates par le colon pour édifier sa ville à la française. La ville de Sidi Abderrahmane s’est vite réveillée, devenant un dortoir oubliant ainsi ses légendes et les histoires de grand-mères.

La Casbah… au croisement de l’histoire

La Casbah, une ville aux cinq portes, Bab Dzira, Bab el Oued, Bab el Bhar, Bab Jdid et Bab Azoun, respectivement en français portes de l’île, de la rivière, de la pêcherie ou de la mer, et porte neuve. Ces portes formèrent les principaux accès de la ville fortifiée et n’existent aujourd’hui que par leurs noms. Bologhine Ibn Ziri a fondé la première ville d’Alger en 960 sur les vestiges du comptoir phénicien. Les Carthaginois, les Romains, les Byzantins et les Arabes (à partir du VIIe siècle) ont tous contribué à enrichir cette ville par leurs passages. La chute de Grenade a engendré la reconquista, Alger a souffert des attaques espagnoles avec ses buts expansionnistes.

Deux frères corsaires, d’origine turque, ont entendu l’appel des Algériens et couru à leur secours. Baba Aroudj et Kheir el Dine Barberousse luttèrent con-tre les Espagnols sous les ordres de la sublime porte. Contrairement aux relations tourmentées au Moyen-Orient entre Turcs et Arabes, en Algérie et à La Casbah une relation fraternelle y est née. Barberousse fonda sa capitale à Alger suite à sa victoire contre les Espagnols au lieu baptisé Djazaïr ou les îlots Béni Mezghena. Les turcs ont contribué à l’enrichissement de cette architecture, apportant un savoir-faire raffiné.

Les Français, à leur arrivée, pour ériger leurs villes à l’européenne ont sacrifié les maisons de la Basse Casbah. Pour aménager des structures administratives, des casernes ou même des lieux de culte, des palais furent occupés et des mosquées converties. La mosquée Ketchaoua a été détournée de la voie de l’Islam à celle du christianisme pour devenir la cathédrale d’Alger au nom de Saint Philipe.

Devant les différentes facettes

Pour une journée, nous avons voulu nous rendre dans cette médina visiblement différente de toutes les autres vieilles villes du Maghreb. Dans le but de goûter à l’atmosphère des houmates (quartiers) passant par le point le plus proche de la mer (Bab el Bhar) au point culminant de Bab Jdid, découvrir cet endroit incontournable pour un touriste et profiter de l’occasion pour admirer la vue de la ville européenne depuis les hauteurs de La Casbah. Sous le ciel dégagé, nous avons parcouru les ruelles sinueuses de La Casbah.

Le seul endroit à Alger où existe jusqu’à l’heure actuelle l’ânier, l’homme et l’âne coude-à-coude pour ramasser les ordures vu les chemins non carrossables. Le costume traditionnel est en voie de disparition à l’exemple du haïk, remplacé par des voiles non conformes au goût traditionnel de la médina.

Le martèlement, ce bruit causé par les artisans attire les passagers intrigués. Les marchands de tapis et toutes les personnes qui enrichissent ce patrimoine. Une dame âgée portant le haïk a remarqué notre présence et cherché à savoir le but de notre visite. «Nous ne reconnaissons plus La Casbah, mon mari pleure quand il voit la médina qui abritait les moudjahidine pour notre libération, dégradée et agoniser en silence», a-t-elle répondu à notre question sur l’état actuel de la vieille ville. De nombreux petits commerces ont disparu, laissant place à des petits cafés ou des buvettes mal aménagés.

Une ville et un saint

Le nom de La Casbah d’Alger a épousé coutumièrement le nom de son saint patron, Sidi Abderrahmane. Sidi Abderrahmane Al Thaalibi a contribué, depuis son jeune âge, à la propagation de l’Islam dans la région connue sous le nom de Dzair Beni Mezghena. Contrairement à ceux qui pensent que Sidi Abderrahmane est né à Alger, en réalité il a vu le jour à Thaalba, dans les Issers en Kabylie. Un savant très ancré dans les sciences traditionnelles.

Selon une légende, il enseignait une classe de mille enfants le matin et une autre le soir. Le mausolée dédié à sa mémoire est situé à La Casbah, et est entretenu régulièrement afin de donner au lieu paisible un engouement particulier. Le lieu reçoit de façon journalière les fidèles de tous âges, des personnes en quête de quiétude et de repos spirituel. Il est à rappeler que même la reine d’Angleterre Victoria s’est rendue au mausolée lors de sa visite à Alger.

Elle a offert des lustres en cristal qui décorent toujours la salle en remerciements à un vœu qu’a exaucé le saint patron. L’intérieur de la salle dégage atmosphère où les pratiques religieuses se mêlent aux traditionnelles, à l’instar des effluves du bkhour (l’encens) et les chants religieux qui envoûtent le visiteur.

Entre la mort et la résurrection

Au moment de l’indépendance, La Casbah comptait 1 200 maisons de type traditionel et 420 de type colonial. Ce chiffre n’est plus le même. Aujourd’hui l’effondrement a fait chuter le chiffre à quelques centaines de maisons, à peine debout. Depuis l’indépendance, les maisons se sont vidées de ces anciens occupants.

Les nouveaux habitants venus pratiquement de l’intérieur du pays en manque de citadinité, ne l’ont pas entretenue , comme le faisaient leurs prédécesseurs. La densification de la ville à cause du colonialisme d’abord, et les années 1990 pour fuir le terrorisme dans un tissu urbanistique chagrin, a aggravé l’état dégradé. La Casbah subit, depuis l’arrivée des Français, une décadence laissant la ville abandonnée à son propre sort.

Aujourd’hui, la médina est en voie de ghettoïsation et la spéculation de l’immobilier aggrave l’état précaire de La Casbah. Sous le patronage du président de la Turquie, un don a été fait pour restaurer la mosquée Ketchaoua et l’ex-résidence du gouverneur. Certains palais ont été restaurés mais de nombreux autres sont méconnus et tombent dans l’oubli. Nous avons visité les hauteurs de La Casbah, où un pic de dégradation et d’anarchie a été constaté. La couleur blanche n’est plus éclatante et les vieilles portes en bois, par manque d’entretien, ont été remplacées par des portes en fer. Une situation qui est en infraction avec la loi sur la protection des biens culturels et les cahiers des charges exigés par l’Unesco.

La ville se ghettoïse vu le désordre et l’anarchie qui y règnent. Les locataires assoiffés de quitter les maisons ancestrales cherchent à obtenir un logement social. Ces derniers endommagent volontairement les bâtisses pour être relogés. Des palais tels que celui de «Lala Khedaouj el Amia», ou de «Mustapha Pacha» ont bénéficié d’une chirurgie esthétique mais l’opération n’a pas profité à toutes les bâtisses. Rien qu’un scanner pour détecter toutes les tumeurs et les soigner de façon efficace, une solution qui permettra à la ville de devenir un circuit touristique et du coup survivre.

M. M.