Cafés littéraires: Histoire et devenir

Cafés littéraires: Histoire et devenir

Lieu de sociabilité, de convivialité, de propagation culturelle mais aussi d’échanges en tout genre.

Les cafés littéraires tout comme les cafés de quartier sont surtout des lieux riches en histoires. Ce sont ces histoires que Sid Ali Sekhri a revisitées, samedi dernier, lors d’une rencontre qu’il a animée à la librairie Chaïb-Dzaïr à Alger. Pour en parler, Sekhri en maître des lieux, a choisi de débuter sa communication sur les aires d’El qahwa w letey d’El Hadj M’rizek, Coffee Cantata de Jean-Sébastien Bach et Nathalie de Gilbert Bécaud. Trois morceaux musicaux atypiques qui ont comme lien, le café. En effet, avant d’évoquer les cafés littéraires en tant que lieux culturels, Sid Ali Sekhri s’est d’abord interrogé sur l’histoire du café, en tant que breuvage. «L’origine du mot Qahwa (café) est arabe, selon certains linguistes.

Les Arabes lui ont attribué ce nom, car sur le plan sémantique du mot, il fait référence à El Qawi (fortifiant, énergisant)», dit-il. Avant de poursuivre : «Pour ce qui est de sa découverte, des historiens racontent que c’était un berger éthiopien qui, en se rendant compte que ses chèvres s’agitaient après avoir brouté les feuilles et les baies rouges d’un arbuste, découvrit le café. D’autres historiens l’incombent à un autre berger arabe, dont le feu de bois s’est vu parfumé par les feuilles d’un arbre à café qui était tombé…» «Toutes les civilisations ont voulu s’approprier la découverte du café. Bien que ce soit les Arabes qui ont développé l’art de la torréfaction et qu’aujourd’hui, les Italiens ont sont les maîtres…», ajoute Sekhri.

L’école du savoir

«Ayant pris une grande ampleur dans le monde arabo-musulman, le café a failli être interdit, car considéré comme étant un substitut du vin. Toutefois, il deviendra aussi le breuvage préféré des soufis, car il leur permet de veiller tard en pratiquant leur culte», indique Sekhri. Le conférencier enchaînera, ensuite, sur cet art de préparer le café et de le déguster qui a permis ensuite, la création de lieux de convivialité. «Le premier ‘’café des lettres’’ a vu le jour à Istanbul en 1555 et très vite, cette mode s’est répandue en Europe puis dans le monde».

Appelés «écoles du savoir» au coeur de l’Empire ottoman pour devenir «bureaux académiques» à Venise, Paris et Londres, les cafés littéraires sont devenus au fil du temps, des lieux riches en échanges où se forment des patriotes et des lieux de rencontre de grands intellectuels. «En Europe, ces cafés ont joué un rôle très important dans la contestation, à l’instar du café Procop à Paris, le café de Flore pour les existentialistes et le Cyrano des surréalistes. La Révolution française est presque née dans ces espaces-là. L’impact de ces foyers d’agitation intellectuelle est la même dans le monde, à Damas, Istanbul, Le Caire, Paris, Beïrout, New-York, Berlin, Alger…».

«Les cafés, ce Parlement du peuple»

Par ailleurs, Sekhri évoquera aussi le café littéraire L’île- lettrée qu’il a ouvert il y a 7 ans. Un endroit riche en échanges culturels et ouvert à tous les sujets, qu’il finançait de sa poche, mais qui a dû fermer, car boudé par les mauvaises langues. De son côté, le journaliste et écrivain Hocine Mezali s’étalera sur le rôle de ces lieux de l’oralité pendant et après la période coloniale.

Il dira dans se sens que seuls d’anciens militaires ayant fait la Premiere Guerre mondiale se voyaient attribuer des licences par le colonisateur français pour l’ouverture de cafés, et dont le seul but était de travailler pour eux en espionnant ceux qui y venaient. «C’était un camouflage. Dans des moments intenses, préinsurrectionnels et même au temps du colonialisme, on imposait aux propriétaires des cafés de collaborer avec les Français en les sommant de leur signaler les nationalistes, et même les intellectuels qui lisaient le journal, car à l’époque, lire le journal était un acte de subversion. On leur exigeait beaucoup de choses et ils étaient obligés de les signaler l’après-midi au commissariat… et ce fut le côté sombre de ces cafés», a-t-il souligné.

Mezali dira aussi que des cafés extraordinaires qui existaient à Alger ont disparu et se sont vus changer d’activité. «Les cafés où on servait Qahwet El Djezwa ont disparu», dira-t- il. Il citera, par ailleurs, des cafés connus d’Alger et de la Casbah tels que Qahwet El Fnardjya (lanterne), Qahwet El Gourari, le café du CCA, Tontonville, Café Malakoff, Qahwet Tlemsani…

«Tous ces endroits ont un côté historique où nos patriotes venaient s’y retrouver et parler de la Guerre de libération nationale comme le faisait Ali La Pointe à Qahwet El Gourari et Tlemsani». Les conférenciers ont en outre, évoqué les Hakawati qui venaient vulgariser des livres, des récits, des poèmes ainsi que les Nawadi (clubs) musulmans et sportifs. Il ont, toutefois, regretté que ces endroits ne soient pas fréquentés par les femmes et appellent les sociologues à faire des études sur le phénomène des cafés, cafés terrasses qui fleurissent un peu partout dans la capitale.