Bienvenue à Alger… place des Martyrs/place Al-Jounaina

Bienvenue à Alger… place des Martyrs/place Al-Jounaina

n-PLACE-DES-MARTYRES-large570.jpgPlace de la Jounaina, place Louis Philippe, place de la Régence, place du Cheval ou mème Blasset Al-3oud pour la population « autochtone », et enfin place des martyrs…

Ces appellations résument en elles seules pas moins de 500 ans d’histoire, et éventuellement plus, d’un hectare de terrain de la basse Casbah, ou l’Outa (الوطأ), au sein duquel s’est joué le destin de la capitale algérienne et avec lui celui de toute l’Algérie.

Bien avant l’arrivée des frères Barberousse Arrouj et Kheireddine, le palais du gouverneur/seigneur d’Alger, dit palais de la Jounaina (قصر الجُنَيْنة), existait déjà et donnait son nom à tout le quartier depuis au moins le règne de Salim Attoumi durant les premières années du 16 ème siècle.

Un quartier qui allait connaitre une expansion sans précédant sous les Ottomans, aussi bien urbanistique que socio-économique et politique.

Haoumat Al-Jounaina, qu’on voit sur le tableau ci-dessus, allait devenir le quartier qui englobait environ 14 marchés (Souq سوق), répartis sur une surface d’un hectare, sur les 40 qui existaient dans la ville de Sidi Aththaalibi, dont Souq Al-Bachmaqdjiyya (سوق البشْماقجية), Souq Al-Mqaissiyya (سوق المْقايْسية), Souq Al-Ghzal (سوق الغزل) et souq Al-Hawwatine (سوق الحُوَاتين).

Au moins des dizaines de boutiques où l’on trouvait tout ce qui se produisait et se vendait en Algérie, en Afrique subsaharienne et en Europe.

Un Badistan ou marché aux esclaves, souvent des captifs européens, à quelques pas de l’entrée actuelle de Al-jami3 Al-Jadid.

Un à deux Foundouq/Hôtel remplissant des fonctions d’espaces de repos et loisirs et servant également de magasins de produits importés ou à exporter, ainsi que des espaces de négociations des transactions commerciales nationales et internationales.

Au sein de notre actuelle place des martyrs, il y avait également sept mosquées, dont Jami3 Assayyida (جامع السيدة), Jami3 Al-Chchouach (جامع الشُّوَاشْ), Al-Jami3 Al-Jadid (الجامع الجديد) et al-Jami3 Al-Kabir (الجامع الكبير).

Puis il y avait aussi le palais du gouverneur ou le Pacha d Alger connu de Al-Jounaina (à gauche dans le même tableau) surmonté par une sorte de minaret face à la mosquée Al-Jadid), les Koutchk كُشْك/kiosques sièges des officiers supérieurs de l’armée, le Bait Al-Mal ou institution des finances publiques, Attarsana ou arsenal, quelques forts pour veiller sur la sécurité de la ville, et un ensemble de cafés pour les rencontres, les amusements, le règlements des contentieux à l’amiable et même pour les complots politiques autour de verres de thé ou de café.

Les cafés les plus en vogue à l’époque et les plus connus dans cet endroit et dans toute la ville furent Al-Qahwa Al-Kbira القهوة الكْبيرة (le grand café) et Al-Qahwa Essghira القهوة الصغيرة (le petit café), ainsi que Qahwat Bjaia قهوة بجاية (Café de Béjaia )…

Cette place ancestrale n’a pas manqué de réserver un de ses plus beaux coins à la culture, et dont on ne parle jamais assez. En son sein, il y avait aussi les libraires du quartier Al-Kissariyya, les écoles et zaouiya, telle que Azzaouiya al-3inaniyya (الزاوية العنانية), ou instituts ou se rencontraient les intellectuels de la ville et de tout le pays, ainsi que leurs hôtes étrangers qui venaient du Maroc, de la Tunisie, d’Égypte ou même d’ailleurs, dont des poètes, jurisconsultes, scientifiques, étudiants nationaux et étrangers, comme il y avait aussi quelques bains maures ou Hammam (حَمَّام) et d’autres infrastructures….

Au dessous de la place Al-Jounaina, un tunnel secret permettait aux Pachas d’Alger de quitter discrètement la ville en cas de nécessité et d’accéder au port au dessous de l’enceinte de la ville (au Qaa Essour قاع السُور) à Bab Al-Jazira, ou Bab Dzira, pour prendre le bateau…

Les colonisateurs français arrivés brutalement en 1830, avaient très peu de respect, pour ne pas dire qu’ils n’en avaient pas du tout, pour le patrimoine architectural et urbanistique local et furent incapables de saisir la finesse et la beauté de l’art et la manière de vivre locale au sein de Bahjat Al-Jazair Al-Mahroussa billah qui fut l’une des merveilles de la méditerranée du 18 ème siècle, que Braudel qualifiait de la plus belle de toutes les villes de la Mare Nostrum.

Le génie militaire français rasa pratiquement toute la basse Casbah, les deux tiers de la médina d’Alger, commençant par le quartier Al-Jounaina.

Subitement, plus de Souqs, plus de zaouiya, plus de kiosques des officiers de l’armée, plus de mosquées, à l’exception de Al-Jami3 Al-Jadid et Al-Jami3 Al-Kabir, échappées de justesse et par pur hasard au massacre urbanistique et culturel.

Et depuis, ses deux beaux édifices religieux se retrouvent orphelins et certainement dépaysés au milieu des masses de bétons ponctuées de « trous » de rats, selon l’expression du fameux architecte suisse Lecorbusier, qu’on appelle habituellement appartements.

L’hectare dit de nos jours « place des martyrs » fut quasiment vidé de ses infrastructures, et par ailleurs de son âme, pour en faire une place d’armes pour les rassemblements des troupes françaises colonialistes face au pauvre palais Al-jounaina devenu une vulgaire caserne.

Tant pis si c’est le prix à payer par les autochtones pour qu’ils puissent voir et « admirer » la puissance des colonisateurs dans toute sa « splendeur », son « prestige » et dans toute sa force dissuasive.

Les démolitions commencèrent « …dés les semaines qui suivirent l’occupation… », affirme André Raymond en 1981, et se poursuivirent durant les années 1831 et 1832.

En 1848, ce cœur battant de notre ville, notre hectare qui faisait la vie d Al-Jazair, n’est plus que le rectangle qu’on voit sur le tableau ci-dessus.

On ne l’appelait presque plus Al-Jounaina, tout comme Al-Bahja meurtrie n’avait plus de bahja ni comme joie de vivre ni comme dénomination, et son nom Al-Jounaina allait céder sa place à un autre nom intrus qui allait être désormais: la place Louis Philippe (roi de France). Place entourée de dizaines d’arbres intrus importés souvent de France, mais aussi d’Australie ou d’ailleurs des autres colonies françaises.

Du coté nord de la place, on construisit l’hôtel de la Régence et un autre bâtiment adjacent ou, quelques décennies plus tard, venaient admirer « l exotisme oriental » sous les arcades de l’immeuble sur la terrasse du café Apollon des artistes et des écrivains français et Européens, tels que Louis Bertrand qui ne cessait de louer « l’oeuvre civilisatrice » de la France en Algérie.

Bertrand, qui habitait « Assouaredj » السْوَارَجْ, quartier situé au dessus de Haoumat Soustara et qui descendait et montait quotidiennement les escaliers du boulevard Gambetta/Ourida Meddad (l’ancien fossé entourant l’enceinte de la ville), comme je le faisais moi même tous les jours pendant mon enfance pour aller à l’école Maihes/Ben Chergui baraka dirigée aujourd’hui par le valeureux Rachid Khellassi frère du journaliste Noureddine Khelassi, et comme le faisait mon père aussi pour aller préparer ses fournils dans la boulangerie de Ammi Amor Anser, (n est ce pas Farid Anser?), ce Louis Bertrand le familier de ce boulevard dit aujourd’hui Essdjiourattes, était de ceux qui croyaient profondément au « fardeau de l’homme blanc »; « The burden of the white man » pour les Anglo-saxon.

Les « Bicots » de la place?, à part quelques Muphtis et « notables », ils devinrent des marchands de légumes à la sauvette, des vendeurs de la Chemma sur des cartons crasseux, ou des enfants misérables qui marchaient pieds nus dits les Yaouleds (يا وَلَدْ) porteurs de couffins pour les colons ou cireurs de chaussures.

La colonisation leur avait décidé en 1830 un autre destin.

La place Louis Philippe, ou place de la Régence, retrouva sa liberté le 5 juillet 1962. Le cheval de la place, la statue du Duc d Orléans, est déboulonnée et renvoyée en France, où le Duc put retrouver une place légitime et plus honorable chez lui à Neuilly-sur-Seine.

L’hôtel de la Régence n’existait plus déjà en 1962, le café Apollon non plus d’ailleurs, et cela depuis environ la fin de la deuxième guerre mondiale.Pour cette place de la Jounaina, la liberté est bien retrouvée, mais plus jamais l’âme étouffée en 1830.

Aujourd’hui, on tente de la doter d’une autre, moderne, adaptée a l’air du temps, bâtie sur les décombres, disant les restes archéologiques,des bâtisses des béni Mezghenna, des hammams ottomans, églises romaines ou byzantines, de l’arsenal de Kheireddine et Al-3euldj Ali, et des palais des seigneurs algériens de la mer….

On verra ce que ça donnera… Certainement, d’autres écriront la suite….