74E Mostra de venise: La Palestine et l’Algérie distinguées…

74E Mostra de venise: La Palestine et l’Algérie distinguées…

Soudain la tempête qui s’abat une nuit sur l’île du Lido, où se déroule le festival… Tout se détraque et la WIFI avec et qui devient pour les festivaliers, l’objet d’une chasse permanente… Alors de guerre lasse, on opte pour le round up lorsque tout sera rentré dans l’ordre…

Mais, alors que le festival tire sa révérence, on reste sur son impression première: pour sa 74e édition, le plus vieux festival de cinéma, avait, d’emblée, annoncé la couleur… Etre à l’écoute du monde et de sa part la plus fragile, son humanité, du moins son vecteur essentiel, l’humain, devenu, par les temps qui courent une espèce de plus en plus menacée. Et le jury présidé par la comédienne américaine Annette Bening, n’y est pas allé par quatre chemins pour confirmer cette tendance…

D’abord, en couronnant «The Shape of Water» de Guillermo del Toro, «Nous avons débattu le plus sincèrement possible», a-t-elle tenu à préciser. Un conte fantastique dans le genre «La Belle et la Bête», sauf que cette dernière est le résultat, en aquarium, de manipulations génétiques… Un film aussi attachant que… gluant. En tout cas, il partait favori dès l’entame du festival. Confirmant aussi la propension de Alberto Barbera, le manitou en chef de la Mostra, à choisir en ouverture des films latino-américains, limite fantastique comme ce fut le cas précédemment avec «Graviti» (2013) de Alfonso Cuaron, «Birdman» (2014) de Alejandro G. Inàritu, «La Région sauvage» (2016) d’Amat Escalante. A signaler également que Venise a, ces dernières années, plutôt réussi aux réalisateurs de ce continent, en primant le Vénézuelien Lorenzo Vigas, l’Argentin Pablo Trapero…

«L’important est d’avoir la foi et de rester purs»

Cette année Guillermo Del Toro n’aura donc pas omis de dédier son Lion à tous les réalisateurs latino-américains et mexicains: «L’important est d’avoir la foi et de rester purs» ne manquera-t-il pas de souligner, par ailleurs, livrant ainsi son secret de l’alchimie amoureuse qui a fonctionné entre ses improbables héros de ce conte amoureux… Il s’est aussi agi de formule quantique, osons le mot, dans le cas de «L’Insulte, l’affaire n°23», ce puissant film du Libanais Ziad Doueiri. Un véritable coup de poing au plexus que l’on reçoit en découvrant cette histoire basée sur ce qui de tout temps a servi de levier propice aux petites guerres qu’aux grands conflits…

Installé depuis l’âge de 18 ans hors de son pays, s’est donc fait l’écho, de cet état de l’Homme, errant, dans sa tête ou dans une géographie imposée, faisant penser à cet «Homme qui marche», fixé pour l’éternité, dans un mouvement inachevé par le sculpteur Giacometti… Toni, chrétien libanais, (Adel Karam, très convaincant) arrose les plantes de son balcon. De l’eau s’écoule accidentellement sur la tête de Yasser (Kamel el Basha), palestinien et contremaître du chantier attenant. Une violente dispute éclate. Ils se retrouvent au tribunal. Yasser portant une blessure profonde datant du massacre de Tell Zaâter (immortalisé à la scène par le dramaturge Noureddine Aba) et Toni, se gargarisant dans son atelier de mécanique, de discours de Bachir Gemayel, le plus extrémiste de la famille dynastique qui a pesé de tout son poids politique des décennies durant… Ce Gemayel qui avait l’oreille de Sharon, le boucher de Sabra et Chatila. La blessure de Toni? Une cicatrice qui remonte au massacre de ce village chrétien de Damour…

Le discours intégriste

Il la taira longtemps. Comme Yasser qui ne fera jamais état de ce traumatisme profond causé par le massacre, par Hussein de Jordanie, de milliers de réfugiés du camp palestinien de Tell Zapatero… Ce qui donna naissance au mouvement «Septembre noir»… Ce mouvement a marqué toute une période de la résistance palestinienne et auquel le nom de l’Algérien Mohamed Boudia, lui sera éternellement associé…

Tout cela semble relever, aujourd’hui, de l’archéologie de l’Histoire, pour beaucoup… Il est vrai que le discours intégriste aura, depuis, tout fait, du moins tenté pour effacer les hauts faits de cette Résistance…

Et c’est là que le film de Ziad Doueiri aura joué pleinement son rôle d’éveilleur des consciences et de rafraîchir les mémoires… Pour cela il usera d’une trouvaille, diabolique en diable, tant son efficacité aura été amplement prouvée. Le cinéaste choisira de confier la défense de Toni, le Maronite, à un ténor du barreau de Beyrouth redoutable dans ses interventions que dans ses questionnements… Mais en face, Doueiri, confiera, la défense du Palestinien, Yasser, à une avocate, blonde, frêle d’apparence… et qui s’avérera aussi précise qu’un tireur à l’arc…

Et pour montrer que ce conflit, politique, aura traversé des communautés, et même des familles, les divisant pour longtemps, Ziad Doueiri choisira de faire des deux défenseurs, les mêmes membres d’une même famille: père et fille!

Le coup de théâtre est révélé, en pleine cour, par une juge qui mène le débat avec bienveillance et fermeté (Julia Boutros, plus que juste!)…

C’est dire combien le Prix d’interprétation masculine attribué au Palestinien Kamel el Basha est amplement mérité par ce bouleversant comédien de théâtre (essentiellement) car il salue aussi le travail méritoire de toute une équipe, autour de Ziad Doueiri, qui aura porté ce film au plus haut. Le jury récompensera également et plus d’une fois le jeune cinéaste français, Xavier Legrand pour son secouant «Jusqu’à la garde». Pour Legrand cette histoire est celle d’un couple, les Besson, qui divorce. Pour protéger son fils d’un père qu’elle accuse de violences, Miriam en demande la garde exclusive. La juge en charge du dossier accorde une garde partagée au père qu’elle considère bafoué. Pris en otage entre ses parents, Julien va tout faire pour empêcher que le pire n’arrive. Bouleversant!

Par contre, le Jury n’a pas cédé à la pression médiatique transalpine, qui poussait, le poussif «Mektoub, my Love» du très attendu Abdelatif Kechiche… Un long clip, avec les «ingrédients», lassant à la longue, qui étouffe, une histoire, que l’on se surprend à chercher à la bougie, dans le vacarme assourdissant de dancings qui se ressemblent tous… Ce qui fera sans doute des économies aux décorateurs et dont profitera aussi le budget «Costumes», tant les centimètres carrés ont été réduits à l’extrême, ce qui aura par contre des effets, négatifs, sur l’argument même du film, qui au bout de trois heures de «récit» erratique, débouchera sur une séquence, finale qui serait en fait le teaser de la deuxième partie du triptyque déjà annoncé. En attendant, Kechiche, qui a été obligé de s’autoproduire, semble s’être tiré, avec ce film, une balle au pied…

Seul, espoir quand même, pourvu qu’elle soit à blanc! C’est tout le mal que l’on souhaite à ce cinéaste, que l’on sait pourtant surdoué, mais qui semble être parti en roue libre, cette fois… D’une autre façon, au plus keatonien des cinéastes marocains, Faouzi Bensaïdi, il est arrivé presque la même chose, avec «Volubilis», présenté à «Orrizonte»… En voulant faire un film dénonciateur du mépris que cultiverait la bourgeoisie marocaine à l’encontre du prolétariat du Royaume, le cinéaste meknessi, a gardé ses gants (blancs) et nous maintenant nous aussi à distance, presqu’indifférent, au sort, pourtant, révoltant de ce jeune couple aux prises avec des employeurs aussi impitoyables qu’arrogants…

Ce qui n’est pas le cas de l’Algérienne Sofia Djama qui aura mis ses mains dans le cambouis national, pour parler de ces «Bienheureux» qui, si tel était le cas, auraient une idée complètement fausse du bonheur. Pariant, toutefois, que c’est de l’humour noir. Ne préjugeons pas de la bonne volonté et de la fougue de la jeune cinéaste, qui aura tout, de même, permis de sortir du lot maghrébin, ce film, même si la production belge lui aura dénié la nationalité algérienne, (du moins sur papier) et ce, en dépit des protestations de la réalisatrice, bien seule, nous imaginons, dans ce bras de fer…

Les places sont chères…

Reste que Lyna Khouidri aura ramené du Lido, un joli Prix d’interprétation pour ce film, dans cette section «Orrizonte» et où les places sont chères… Nadia Kaci, de plus en plus impressionnante dans son jeu, pourra aussi être fière, avec Salima Abada et les autres interprètes, d’avoir contribué à l’obtention des deux autres récompenses qui ont salué le travail de ce trublion, néanmoins cinéaste, Sofia Djama. «Les Bienheureux» a, également, en effet, été l’heureux récipiendaire du «Brian Award» qui récompense «une oeuvre qui défend les valeurs de respect des droits humains, de la démocratie, du pluralisme, de la liberté de penser, sans les distinctions habituelles fondées sur le genre ou l’orientation sexuelle»; et du Prix «Lina Mangiacapre», du nom de la figure du féminisme italien, destiné à une oeuvre «qui change les représentations, et les images des femmes au cinéma»… Une bonne cuvée sur laquelle nous reviendrons en détail.

Sélection officielle

Lion d’or: The Shape of Water de Guillermo del Toro

Lion d’argent de la mise en scène: Xavier Legrand pour Jusqu’à la garde

Grand Prix du jury: Foxtrot de Samuel Maoz

Coupe Volpi du meilleur acteur: Kamel El Basha pour L’Insulte de Ziad Doueiri

Coupe Volpi de la meilleure actrice: Charlotte Rampling pour Hannah d’Andrea Pallaoro

Prix du meilleur scénario: Martin McDonagh pour Three Billboards Outside Ebbing, Missouri

Prix spécial du jury: Sweet Country de Warwick Thornton

Prix Marcello Mastroianni du meilleur espoir: Charlie Plummer for Lean on Pete d’Andrew Haigh

Prix Luigi de Laurentis – Lion du futur de la

1ère oeuvre: Jusqu’à la garde de Xavier Legrand

l Section Orizzonti

Meilleur film: Nico, 1988 de Susanna Nicchiarelli

Meilleur réalisateur: Vahid Jalilvand pour No Date, No Signature

Prix spécial du jury: Caniba de Véréna Paravel et Lucien Castaing-Taylor

Prix de la meilleure actrice: Lyna Khoudri pour Les bienheureux de Sofia Djama

Prix du meilleur acteur: Navid Mohammadzadeh pour No Date, No Signature de Vahid Jalilvand

Prix du meilleur scénario: Les versets de l’oubli d’Alireza Khatami