[Témoignages] Les essais nucléaires de Reggane : les plus atroces crimes coloniaux

[Témoignages] Les essais nucléaires de Reggane : les plus atroces crimes coloniaux

bombe-fr-essai-gb.jpgLes essais nucléaires menés par la France coloniale le 13 février 1960 dans la région saharienne de Reggane (extrême sud), étaient au centre d’un forum régional ouvert samedi à Adrar et ayant pour thème « les effets des radiations ionisantes sur la santé humaine ».

De l’avis tant de témoins que d’historiens et spécialistes, ces essais restent l’un des « plus atroces crimes contre l’humanité commis en Algérie », par la force coloniale.

Cheikh Si Mohamed Reggani est un témoin encore vivant de l’horreur du crime perpétré dans la paisible région de Reggane, au sud de la wilaya d’Adrar.

Né en 1932 à Reggane, infirmier depuis la fin des 1950 aux services d’assistance médicale française dans la région, Cheikh Reggani se rappelle encore:  »tout a commencé en 1957 par le déploiement de près de 4.000 soldats français et le transfert de matériels dans la région, avant d’être suivi en 1958 par l’arrivée d’un peloton d’officiers et de cadres militaires colons pour s’enquérir du site  »Terguiya » qui devait servir de base et de camp militaires’.

Les autorités militaires coloniales ont, dès 1959, entamé l’acheminement de matériels militaires dans la région de Hamoudia, à une dizaine de km de Reggane, décrétée  »zone interdite » car abritant une base et des cavernes servant de laboratoires souterrains, raconte-t-il.

Selon Reggani, cette base renfermait un hôpital, doté de toutes les spécialités médicales et supervisé par le capitaine Français  »Bouchot » qui organisait des campagnes de contrôle médicale au profit des populations de toute la région: Zaouiet Kounta, Reggane et les autres Ksour disséminés dans la région.

 »Le général Ailleret, spécialiste dans le domaine nucléaire, s’était déplacé en 1960 dans la région, pour s’enquérir des préparatifs de la base de Hamoudia, où ont été distribués, une journée précédent l’explosion, des équipements aux employés et aux populations de la région, en vue d’un test des effets de la radioactivité », se souvient Reggani. Selon des versions concordantes, les populations locales ont été contraintes par les forces coloniales, la veille du jour  »J », à rester dehors jusqu’à 7 heures du matin, avant que ne soit ressenti un tremblement de terre d’une force incroyable, suivie d’un intense nuage de fumée obstruant la visibilité, et des radiations sur un rayon de 650 km, atteignant la région de Kerzaz, dans la wilaya de Bechar, et celle de Tissalit au Mali.

C’était l’explosion nucléaire. Certaines de ces versions font même état de la présence du général de Gaulle en personne le jour ou ont été menés ces essais. M. Reggani s’est par la suite rendu, en compagnie d’un médecin français, sur le site de l’explosion et dans les Ksour, où ils ont été témoins de l’évacuation de dizaines d’irradiés vers l’hôpital de la base militaire, dont une trentaine de femmes ayant accouché prématurément suite à des effets de la radioactivité.

Ces essais nucléaires ont engendré de dangereuses séquelles sur la vie humaine, l’environnement, la faune et la flore.

Ils sont à l’origine de l’apparition de nouvelles pathologies, méconnues jusque là dans la région, liées notamment au cancer, à la leucémie et à la cécité, dues à l’exposition à la radioactivité, estiment des témoins et des spécialistes.

Pour M. Reggani, il existe un « lien » entre ces essais nucléaires et l’émergence dans la région, de maladies cancéreuses et ophtalmiques, ainsi que des fausses couches et des malformations.

Ces effets des essais nucléaires à Reggane, le Dr. Mustapha Ousidhoum, médecin à l’hôpital de Reggane, les confirme en mettant en évidence les conséquences de l’exposition à la radioactivité sur les populations sahariennes, par un constat de maladies du cancer, de cécité, de leucémie, de malformations et de multiplication des accouchements par césarienne.

Il a indiqué que les « maladies de leucémie et de la thyroïde, rarement observées dans la région, et le nombre de personnes affectées démontrent, une fois de plus, les effets radioactifs des essais français à Reggane ». Pour le médecin, le nombre limité de patients victimes des essais nucléaires, recensés à l’hôpital de Reggane, ne peut, toutefois, occulter l’ampleur des dégâts, humains et matériels, occasionnés par les essais dévastateurs. Plusieurs irradiés, poursuit-il, furent enterrées ou ont quitté la région sans subir de dépistage médical.

Près de 85 cas confirmés de cancer ont été dépistés entre 1996 et 2009, selon les statistiques de l’hôpital de Reggane qui font état d’une moyenne annuelle entre 5 et 10 cas, dont la majorité des sujets dépassant l’âge de 15 ans.

Pour prévenir de la radioactivité pouvant se dégager encore du site de l’explosion, la direction de l’environnement a pris des mesures pratiques, dont la réalisation, en 2008, d’une clôture autour du champ d’expérimentation de Hamoudia (60 km au sud de Reggane) sur un linéaire de 12 km, selon M. Ammar Tabek, directeur de l’environnement d’Adrar.

Cette action a été suivie d’opérations similaires pour contenir les autres sites d’expérimentation des trois explosions (gerboises bleue, blanche et rouge), alors que le quatrième et dernier site est en voie de l’être, a-t-il ajouté.

La contamination de l’environnement par les radiations est également revenue dans les propos du président de la chambre de l’agriculture d’Adrar qui a relevé un « recul sensible de la production agricole dans la région de Reggane », du fait, dit-il, de la radioactivité provoquée par les essais nucléaires français.

Le recul de la production de la tomate, vocation de la région, a entraîné la fermeture de la conserverie de Reggane, a ajouté M.Salem Balleul qui signale aussi l’apparition, ces dernières années d’une maladie rare donnant à la tomate une couleur jaunâtre. Les conséquences de l’exposition à la radioactivité sont relevées pour d’autres cultures, à l’instar des dattes.

Constatant, par ailleurs, une baisse dans le débit des ressources hydriques, le responsable de la chambre d’agriculture, a convié les hydrologues et experts à contribuer à l’examen des causes du tarissement de puits et foggaras dans la région de Reggane.

Pour le président de l’association  »13 février 1960 » de la wilaya d’Adrar,  »la question aujourd’hui n’est point une affaires d’indemnisation des victimes irradiées par les essais nucléaires français de Reggane, mais plutôt celle de la reconnaissance des crimes commis contre des populations innocentes et leur pays, et de la réhabilitation d’une région meurtrie dans les tous les secteurs ».

 »L’indemnisation des irradiés des essais nucléaires de Reggane a été moult fois soulevée sans, toutefois, atteindre le but escompté par l’association », a souligné M. Abderrahmane Kessasi.

L’association, poursuit-il, appelle les parties concernées à « exercer une pression sur la France pour qu’elle reconnaisse ses abominables crimes, y compris ceux des essais nucléaires menés au Sahara algérien, contre le peuple algérien ». Elle demande à ce que toute la lumière soit faite sur les circonstances de ce dossier qui renferme encore beaucoup de zones d’ombre », a-t-il soutenu.

Agences