Situation en Libye,Les terroristes grands gagnants ?

Situation en Libye,Les terroristes grands gagnants ?

Yves Bonnet et Eric Denécé, deux spécialistes français du renseignement, ont analysé, hier, la situation politique et sécuritaire au Maghreb et au Sahel suite à l’intervention de la France et de l’Otan en Libye. Une action — contestée sur le plan du droit et des «valeurs fondamentales» — qui, à terme, profitera aux groupes terroristes.

Le constat du préfet Yves Bonnet est sans appel : la France a bafoué toutes ses valeurs fondamentales en se faisant le fer de lance de l’intervention étrangère en Libye.

«On m’a récemment demandé ce que la France avait à gagner et à perdre dans son aventure en Libye. A mon avis, elle a gagné des marchés, des débouchés économiques. Mais cela n’est pas durable. Par contre, ce qu’elle a perdu est du domaine de l’intangible, de l’immatériel. C’est la grandeur de notre message, c’est la valeur éternelle de nos grands principes révolutionnaires. Je considère que rien ne justifie l’oubli de nos principes», a affirmé, hier, le préfet Yves Bonnet, lors d’une conférence animée dans le cadre d’une rencontre-débat sur la «menace terroriste à la lumière de la situation en Libye». L’ancien patron de la Direction de la surveillance du territoire, l’ex-service français de contre-espionnage, qui s’est rendu en Libye ces derniers mois, s’interroge, encore, sur les raisons qui ont mené Paris à engager une action contre un dictateur qui avait réussi à se réconcilier avec les Etats occidentaux. «On a demandé au colonel Kadhafi de lutter contre Al Qaïda, il l’a fait. On lui a demandé de lutter contre l’immigration clandestine sub-saharienne, il l’a fait. On lui a également demandé de barrer la route à l’islamisme radical, il l’a fait aussi. Comme l’ont fait d’ailleurs, Ben Ali et Moubarak.

Il ne faut tout de même pas être amnésique. Je ne sais pas ce qu’a fait Kadhafi pour mériter autant d’attention, mais aujourd’hui, on se souvient de l’image de deux amis (Sarkozy et Kadhafi), qui s’enlaçaient. Finalement, l’un a planté son poignard dans le dos de l’autre. On le voit, les enjeux sont énormes en termes de biens matériels et de marchés et j’oserai dire en termes de partage d’une dépouille», a-t-il indiqué. Pour Yves Bonnet, l’argument de l’ingérence humanitaire est, dans ce cas précis, fallacieux. «Voyez ce qui se passe en Corée du Nord, pourtant nul n’a l’idée d’aller intervenir militairement dans ce pays», ironisera Bonnet qui dirige aujourd’hui le CIRET/AVT, un centre de recherche sur le terrorisme.

Alliance «Occidentauxdjihadistes»

De son côté, Eric Denécé, directeur du Centre français de recherche sur le renseignement, estime que la situation en Libye «constitue un facteur de propagation énorme du terrorisme dans ce pays, au Maghreb, dans la région sahélo-sahélienne et, probablement, même dans le Bassin méditerranéen ». «Aujourd’hui, nous sommes, occidentaux, dans une alliance contre-nature avec des djihadistes qui prônent des valeurs totalement contraires aux nôtres. Nous avons créé une situation extrêmement grave. Tous les groupes terroristes qui ont commencé à baisser la tête sous les coups de boutoir des Occidentaux mais aussi de pays comme l’Algérie sont en train de redresser la tête et de profiter de l’afflux massif d’armes en provenance de Libye», a insisté Eric Denécé. «Je n’ai aucun état d’âme à propos du sort de Kadhafi. Mais dans le contexte actuel, nous devons reconnaître que le remède sera pire que le mal.» Selon son analyse de la situation, les membres «pro-américains » et «démocrates» du Conseil national de transition (CNT) seront les premiers à être «avalés» par les membres des factions islamistes de cette instance.

T. H.